Tunisie : la démocratie naissante se fait sans les Français
Alors que les premières élections démocratiques tunisiennes auront lieu le 23 octobre prochain, Fatma Bouvet de la Maisonneuve, élue PS, et Anne-Claire Jarry-Bouabid, ancienne élue PS, nous font remarquer que la France est bien absente dans les moments clés que vit actuellement ce pays. Gérant de surcroit les réfugiés libyens, la Tunisie se débat toute seule pour mettre en place un processus démocratique.
La Tunisie est en train d’accoucher de la première démocratie maghrébine , et cela ne semble plus intéresser personne en France. Pourtant, tant de leçons pourraient être tirées de ce qui s’y déroule.
Plusieurs semaines passées en Tunisie nous ont montré ce que signifie une mise à nu d’une conscience politique, citoyenne et intellectuelle. Les esprits, décapés du vernis Benaliste et tourmentés par l’inconnu, font preuve d’une prolixité sans tabous, oscillant parfois d’une tendance vers une autre au gré des multiples débats télévisés qui ont remplacé le foot et les feuilletons égyptiens. On y trouve des radicalistes musulmans comme de fervents militants de la laïcité.
Certaines femmes y mènent des combats idéologiques au péril de leurs vies : c’est bien à travers elles que la Tunisie ira vers le progrès ou régressera. Mais quels repères, quels guides, quels conseils, quels échanges ? La colonne vertébrale administrative reste miraculeusement solide, malgré quelques grèves. Ce consensus tunisien durera-t-il longtemps ? Néanmoins, si lors du passage en douane la peur a disparu , la pratique du bakchich perdure. Malgré l’augmentation des salaires des policiers, certains n’ont pas repris le travail et l’insécurité et les incivilités augmentent. L’armée, très respectée, est aujourd’hui garante de la stabilité du pays. Avec l’évolution du conflit libyen, elle va pouvoir « quitter » la frontière sud-tunisienne et réintégrer les villes. Les Tunisiens ne comprennent pas certains verdicts de la justice, trop cléments à leur goût, rendus à l'encontre des anciens du régime dans une période que d'aucuns qualifient de "transition opaque ». Sur le petit écran, des spots didactiques présentés par des personnalités de la société civile tunisienne ont incité tout l’été les citoyens à s’inscrire sur les listes électorales. Malgré les premières inquiétudes, un nombre croissant de tunisiens, 52%, se sont rendus dans les mairies ouvertes tous les jours pour l’occasion.
Mais que se passera-t-il après le 23 Octobre prochain et l’élection de l’Assemblée Constituante chargée de définir la nouvelle constitution du pays? Les partis tentent un travail pédagogique de fond, cependant ils sont plus de 100. Comment les Tunisiens vont-ils choisir? Et d’ailleurs comment fonctionnent ces partis, comment sont-ils financés? Est venu se rajouter à ce tohu-bohu généralisé le conflit libyen. Après avoir reçu des dizaines de milliers d’Egyptiens, Sri lankais, Africains à travers sa frontière de Ras Jdir au printemps dernier, la Tunisie a accepté sans ciller un million de réfugiés libyens, des deux camps. Cela a pu entraîner des différends sur son sol entre pro et anti-Kadhafi dont la violence a parfois nécessité l’intervention des forces de l’ordre tunisiennes. Mais la cohabitation s’est globalement bien passée. Cette arrivée massive s’est également soldée par des pénuries ponctuelles et artificielles de produits aux prix administrés (lait, sucre) que certains commerçants n’hésitaient pas à revendre au prix fort au marché noir. L’eau minérale et l’essence sont devenues rares, le carburant étant en fait acheminé par camions vers la Libye pour alimenter les belligérants.
Les Tunisiens, pourtant peu coutumiers de ces faits, se sont pliés au rationnement sans protester, par solidarité avec leurs voisins qui leur demanderont certainement demain de les aider à reconstruire leur pays. Pourtant qui nous tient informés de ce qu’est devenue la Tunisie depuis le 14 janvier et des premières élections démocratiques, le 23 octobre prochain? La vie privée du président Sarkozy comme le retour de DSK nécessitaient-il plus d’attention qu’un peuple qui écrit l’Histoire de la région pour leur consacrer autant de temps et d’espace médiatique? Des semaines passent sans éditorial ni tribune sur ce qui se passe à nos portes, sur l’autre versant de la Méditerranée . Les Tunisiens, francophiles, ne demandent ni la charité ni qu’on leur donne des leçons. Ils cherchent un soutien et veulent gagner du temps pour ne pas tomber dans les mêmes écueils que nos démocraties plus anciennes. Ils attendaient peut-être des échanges de pratiques à la fois sur le fonctionnement des partis, les campagnes de proximité ou la tenue des bureaux de votes. D’autres sont venus leur en parler, pas tellement les Français. Aujourd’hui, la Tunisie se débat toute seule avec son passé et son avenir incertain. Toute seule, elle gère localement les conséquences du conflit Libyen. Toute seule, elle met en place un processus démocratique dont l’enjeu principal à nos yeux, en tant que démocrates progressistes, est de valoriser nos idées pour faire barrage aux intégristes islamistes, qui dans leur double discours ciblent surtout l’intégrité du droit des femmes. Eux sont soutenus : ils nourrissent leurs réseaux internationaux depuis de nombreuses années et bénéficient d’échanges pour optimiser leur campagne. En face, les démocrates sont ignorés par les partis républicains français, et c’est à tort. Il semble que notre pays n’ait pas encore pris la mesure de ce qui se passe là-bas. A quoi bon alors créer une Union pour la Méditerranée si nous sommes absents dans les moments clé que vivent ces pays ? Aujourd’hui comme hier, il est toujours aussi difficile pour leurs ressortissants, y compris leurs étudiants les plus brillants, d’obtenir un visa pour la France. Avons-nous réfléchi aux échanges équilibrés que nous pourrions établir ensemble? Car c’est bien en s’alliant notamment à la jeunesse démocrate tunisienne qu’une partie de la stabilité dans la région sera acquise, et ce dans l’intérêt de tous. Non, le silence de la France est décidément incompréhensible.
Fatma Bouvet de la Maisonneuve et Anne-Claire Jarry-Bouabid
(Source : Marianne 2)
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la France n'intervient pas et c'est tant mieux pour les tunisiens , au nom de quoi elle le ferait , le fiasco français en Libye est criant , une nouvelle colonisation qui commence au nom du pétrole ...et la position de la France pour la Palestine n'est ce pas un manque de courage et de lucidité ou bien 2 poids 2 mesures . Alors vivement que la France de Sarkozy, Juppé , Guéant et BHL reste à l'écart et n'intervienne pas en Tunisie.
Un article trés véridique ,mais l'europe égoïste vit dans sa torpeur ,bien qu'elle est très riche a peur de laisser les 20000 "harragas" tunisiens ramasser quelques miettes sur leur sol et ce n'est que provisoire;elle est mal à l'aise dans sa peau,elle se sent en perte de vitesse,déboussolée,ne sont pas rassurés du lendemain incertain ...peut être que sa richesse est en train de changer de camp tout simplement! Concernant le tsounami, initié par la tunisie, certainement ce phénomène est appélé à avoir une porté moyen-orientale sinon mondiale car il ne faut pas perdre de vue que le monde est un village,qui a les mêmes soucis et les mêmes problèmes et aspire aux mêmes défits. La femme tunisienne detient la clé de l'avenir de ses enfants: un avenir ouvert sur la modernité,la tolérance et le progrès ou bien s'enterrer pour ne plus voir la beauté de la lumière de l'univers et nous avec!
Merci pour cet article,lucide et informé qui brasse d'un coup d'oeil beaucoup de nos contradictions et déplore à juste titre l'attitude d'absence d'une France absente qui vit la Crise mais qui doit savoir qu'une partie de la solution sera dans les nouveaux rapports avec les pays arabes(et pas seulement des grands contrats en libye)
La Tunisie est en train de faire son apprentissage pour la démocratie et elle le fait très bien. Il suffit de suivre les débats transmis en direct sur les 3 chaînes de télévision du pays pour se rendre compte de la maturité de tous les intervenants et pour être convaincu que la Tunisie n’a pas besoin que l’on parle d’elle ou bien d'un « coup de main » de l’extérieur pour bâtir une nation démocratique. Tous ceux, de France et d’ailleurs qui s’y intéressent de près, trouvent matière dans les nombreux médias et sont fascinés par l’intelligence avec laquelle se déroulent les débats.
Merci pour cet article qui rappelle certaines vérités, notamment le déséquilibre flagrant entre les partis et les conséquences que cela peut avoir sur le scrutin. Il était temps que quelqu'un tire la sonnette d'alarme. J'espère que cela contribuera à faire bouger les choses avant qu'il ne soit trop tard.
La démocratie naissante se fait sans les français....Quel bonheuuuuuur !
Une démocratie naissante et des élections ? Remarquez : 1/ la carte d'électeur est abrogée et remplacée simplemet par la carte d'électeur, donc une personne qui n'a pas voté peut être inscrite comme votante , sans possibilité de vérification !! 2/ scrutin sur listes , ce qui recèle beaucoup de défauts dont l'impossibilité pour beaucoup de militants de créer des listes 3/ Observation et contrôle limités et reglés par la formation !! et non par le désir de controler !! 4/ le principe de décentralisation n'est pas bien respecté et le ministère de l'interieur est remplacé par une instance non populaire et étroite 5/ le gouvernement impliqué dans l'organisation de ces élections est belliqueux. Il a décidé sans consulter le peuple d'assister les rebelles llibyens. 4/ 2/
"Démocratie tunisienne sans les français" mais ou est le problème?si nous avons des problèmes , nous pouvons les gérer . nous ne voulons l'intervention de la france ou de n'importe quel autre pays européen. on est majeurs vaccinés
Vaincre ou mourir,la valeur n'attend point le nombre des années,aux armes citoyens...Les tunisiens ,du moins pour ceux qui ont retenu leur "leçon" sauront s'en sortir tous seuls,puisque Sarko est allé en courant en Libye,alors que les conflits sont en cours,et la Tunisie(qui n'a pas de gaz et de pétrole)a été "programmé"pour un prochain voyage.
C'est avant la révolution que la France aurait dû aider l'opposition et ne pas cautionner le régime. Maintenant les Tunisiens sont assez grands pour aller eux-même vers la démocratie et ils ne souhaitent l'ingérence de personne.Ils ont raison. L'Europe aide sur le plan technique et cela paraît suffisant. La seule façon pour les français d'aider c'est de se rendre en Tunisie , de faire vivre le pays et de faciliter les échanges personnels et économiques. Tout le reste est bavardage.
Il n'est nullement souhaitable que la France se mêle des affaires de la Tunisie et c'est très bien ainsi- La révolution tunisienne, grâce à la nature de sa population, plus ouverte, plus instruite, plus pacifique et plus féminisée(au bon sens du terme) est, semble t il, la seule capable de pleinement réussir son évolution vers une véritable démocratie au sein du monde arabe d'aujourd'hui.Cela implique bien sûr une absence d'ingérence étrangère, mais aussi une cohérence démocratique gouvernementale sans compromission(ou coalition) avec les forces de la régression(Ennahdha & Cie)
Les Tunisiens vivent courageusement leur période de transition politique , j'ai pu constater sur le terrain durant mes vacances ces derniers jours en Tunisie leur solidarité et leur maitrise de la situation difficile. Les promesses d'aide tenues par les européens tardent à venir et le peuple continue à se serrer les coudes pour réussir sa révolution , quelques rares troubles sont maitrisés par le service d'ordre ... Les voisins Libyens sont très nombreux en Tunisie et l'ambiance générale montre une sérénité sans faille. il est temps pour l’Europe de sortir de son égoïsme et de montrer plus de solidarité réelle en aidant plus ce pays matériellement et politiquement pour qu'il ne sombre pas aux mains des opportunistes extrémistes qui le guettent.....
Vraiment tant mieux . Qui serait étonné que les chinois (par exemple ) ne mettent pas leur nez ...?
J'espère que la Libye, donnera la priorité pour l'emploi aux tunisiens qui ont réalisé de très grand sacrifices pour accueillir les réfugiés de ce pays. J'espère aussi que les jeunes tunisiens cesse de croire à un Eldorado européen et entreprennent sur place au redressement du pays
enfin on est vraiment independant
l'article en question est fort intéressant mais il émane de rédactrices qui de près ou de loin ont été de tout temps impliquées dans ce qui se passe en Tunisie avant comme après la révolution. C'est l'attitude de tout Tunisien immigré de vouloir que les politiques et les médias du pays où il vit en fassent plus pour sa propre cause. Ce qu'ils ne feront jamais car leur attitude est dictée par leurs préoccuptions de garder un pouvoir ou une position dominante, leurs propos ne sont que pour assoir cette parano qu'ils infligent à leurs citoyens (qui risque de perdre quelque chose en regardant ailleurs), assoir un choix économique qui les dépasse eux mêmes. La Tunisie est donc un épiphénomène pour eux qui arrive forcément loin après les frasques de Mr DSK, elle ne représente aucune source de matière première à sucer ni autre valeur marchande qui rapporte. On peut se gargariser de mots sur les droits de l'homme sur les droits des peuples à décider de leur devenir et sur le terrain manifester une totale indifférence voire même empêcher que cela se fasse car quel intérêt immédiat pour Israel de changer d'interlocuteurs (le monde est un petit jardin a-on-dit!). Le tissu social tunisien ne connait pas l'assistance mais il connait la solidarité, la période de la révolution l'a montré, il n'a donc besoin de personne pour les leçons et doit mener sa barque tout seul ou solidaire avec les peuples qui ont exprimé la même volonté d'épanouissement que lui. Tracer le premier sillon est très difficile. Je ne peux cacher mon optimisme car les débats sont devenus de qualité et les journalistes apprennent vite à devenir professionnels plutot que porteurs de leurs propres opinions politiques. La femme tunisienne est, et sera, la pierre angulaire de ce virage historique il faut qu'elle se libère elle même des éblouissements idéologiques qui l'innodent issus de cet orient tant vénéré et qui nous a constamment entrainés vers l'échec l'enfermement et la régression. Le rôle que pourrait jouer l'immigré tunisien en Europe ou ailleurs est de participer, de provoquer, de créer des manifestations en étroite collaboration avec les associations diverses et variées pour parler de la Tunisie et enlever des têtes l'amalgame systématiquement fait entre les problèmes des banlieus et les pays du Maghreb, un travail de terrain indispensable que chacun selon sa situation et son pouvoir d'influence pourrait faire, et notre article va dans ce sens! La démocratie est exigeante et demande une maturité et recul par rapport aux évènements de tous les jours. Les tunisiens piochent dans leur histoire et dans l'histoire du monde ce qui pourrait les aider à réussir et n'ont besoin de personne pour décider de leur avenir. Un précieux acquis qu'il ne faut pas perdre. il est fragile. vive la Tunisie démocratique et vivent les tunisiens qui oeuvrent pour qu'elle le soit.
je penses que l attitude de la france actuellement est raisonable vu quelle est aussi dans une periode transitoire jusqu a la fin des elections 2012 .