News - 09.09.2019

Omar Bouhadiba: Les leçons d’un globe-ttrotter de la finance

Omar  Bouhadiba: Les leçons d’un globe trotter de la finance

40 ans de sauts de puce d’une banque à l’autre sur quatre continents laissent des marques. Des souvenirs, quelques cicatrices, mais aussi beaucoup de leçons. Des leçons qui prennent la forme de schémas répétitifs, s’avérant de plus en plus vrais à mesure que l’on avance dans sa carrière. Loin des explications rationnelles de la théorie économique ou psychologique, l’expérience est un grand fournisseur d’observations, qui, à force de se répéter, deviennent des règles. Chaque observation supplémentaire, chaque anecdote, renforce la véracité de la règle empirique, la raffine et en fait votre loi propre de gestion et de stratégie.

La première de ces leçons se décrit en deux mots très simples: “Soyez logiques”!

La théorie économique dicte que “l’être humain est un être économiquement rationnel”. C'est à dire qu'il poursuit son intérêt économique de façon logique et rationnelle. C’est faux. L’être humain, dans l’immense majorité des cas, n’est pas mu par la rationalité, mais par ses émotions.

En prenant la direction d’une nouvelle institution, vous faites l’objet d’un grand travail d’investigation par vos subordonnés. Ce travail, qui se veut discret n’en est pas moins criard à l’œil exercé. Des dizaines de vos employés essaient de savoir ce que vaut le nouveau patron et surtout, ce qu’il veut. A t-il un ego sur dimension, préfère-t-il les gens de sa nationalité, ou de son village, a t-il sa clique, et dans ce cas comment l’intégrer?… En gros, quels sont les leviers de sa personnalité que l’on puisse activer pour sécuriser son job, et avancer sa carrière? Etonnamment, on pense à tout sauf à celui que dicterai la logique: Satisfaire les clients, générer des profits et assurer une croissance de qualité. Communiquer de tels principes, pourtant simples, à un groupe de gens, même très intelligents, n’est pas toujours facile, car il se heurte au scepticisme. La vie est autrement plus compliquée se disent-ils en leur fort intérieur. Dès lors qu’ils sont convaincus, il y a deux réactions possibles. La vaste majorité, soulagée par la relative simplicité de la tâche, se met au travail avec enthousiasme et la bataille est gagnée. Une minorité perplexe continue à chercher, souvent parce que, politiciens de l’entreprise, ils ont dû leur survie à la manœuvre et leur succès au zigzag. De ceux-là, il convient de se séparer car leur apport à l'entreprise est négatif.

Etre logique implique aussi la cohérence. Si les buts sont clairs, on se doit de récompenser ceux qui les atteignent. L’objectivité est la partie la plus difficile dans la gestion d’une banque, car nous avons tous nos têtes. Promotions, bonus et augmentations doivent aller aux plus méritants, non pas aux plus sympathiques, ou aux plus loyaux. Car c’est la performance qu’on récompense, pas l’amitié. De tous les outils de gestion, la discipline dans le domaine de la récompense est sans aucun doute le plus critique au succès de l’entreprise, mais aussi le plus ardu.

Si l’on ne sait pas où l’on va, disait Henry Kissinger, tous les chemins mènent nulle part. Une des premières priorités est donc de décider où l’on veut aller. Il y a ainsi un travail de réflexion stratégique important auquel tous doivent contribuer. Ce que peu de stratèges de la banque réalisent, c’est qu’il est rare que l’on fasse des profits deux ans de suite de la même façon. Car les marchés restent rarement immobiles. La difficulté vient donc de la nécessité de réinventer une nouvelle stratégie chaque année. C’est sur cette base que l’on fixe ses objectifs. Ceux-ci doivent être ambitieux, et autant que possible, quantifiés. Car il faut éviter la contestation quand il s’agira de déterminer qui a eut une bonne performance et qui ne l’a pas et surtout, à qui doivent aller les dinars de bonus. L’ambition doit être claire, et la cascade de sous objectifs atteindre les coins les plus reculés de l’institution, ou alors on n’a rien fait.

Un nouveau patron est toujours accueilli avec une dose d’angoisse, bien souvent justifiée. Beaucoup viennent avec leur équipe, et, un clou chassant l’autre, un changement au sommet est souvent suivi par un carnage dans l’équipe de direction. Cette approche est souvent injustifiée. Tout changement produit une déstabilisation de l’organisation, laquelle déstabilisation est couteuse en temps comme en argent. Par ailleurs on se doit de donner à chacun sa chance, car rares sont les entreprises où l'on ne trouve rien de bon. Que de fois une équipe démotivée et peu performante ne s’est-elle transformée en une star de l’organisation, parce qu’on leur a donné respect et récompense pour leur succès. L’expérience montre que, pour autant qu’on les place dans un bon environnement opérationnel, 90 % des employés d’une entreprise ont le potentiel d’être bons et 50% parmi ceux-ci, très bons.

Il n’en reste pas moins que dans la vie de l’entreprise, les séparations sont parfois inévitables. Que ce soit pour des raisons économiques, stratégiques ou de performance, il faut parfois faire face à ces situations, jamais faciles, parfois douloureuses. Etonnamment, les gens comprennent souvent les raisons et acceptent leur sort, tristement mais avec philosophie. Ce qu’ils ne pardonnent jamais et oublient rarement, c’est la manière. Quand des employés perdent leur emploi, ils sont souvent confrontés à des situations familiales et financières extrêmement difficiles. Plus que jamais, on doit les traiter avec dignité et humanité. Lehman Bros en 2008 est un exemple, malheureusement assez représentatif, de ce qu’il faut éviter. Les gens étaient appelés un par un aux ressources humaines, et escortés à leur desk où ils avaient 15 minutes pour ramasser leurs effets personnels. Ils étaient ensuite conduits par deux agents de sécurité à la porte où ils se voyaient confisquer leur carte d’accès et leur téléphone professionnel, puis pousser dans la rue. Pendant des semaines, la presse était pleine de photos de jeunes femmes en larmes dans la rue, désorientées, une pauvre boite en carton dans les mains contenant photos des enfants et quelques souvenirs de la carrière qui venait de s’achever.

La théorie des vitres brisées, rendue fameuse par l’écrivain Malcom Gladwell, argumente que l’environnement influe sur le comportement de l’individu. Les enfants qui vivaient dans un quartier industriel de New York avaient l’habitude de jeter des cailloux sur les vitres des entrepôts pour s’amuser. Ceux-ci n’étaient jamais réparés. A quoi bon disait-on? Jusqu’au jour où quelqu’un décida que tout carreau brisé serait immédiatement remplacé. Graduellement, les bris de verre diminuèrent pour disparaitre entièrement. Nulle part est ce principe plus vrai que dans une banque. Si l’atmosphère est au laisser-aller, tout le monde s’y met. Les contrôles se relâchent, les erreurs se multiplient, les cravates restent à la maison et les clients traités par dessus la jambe. Il se fait que les affaires d’argent s’accommodent mal d’une attitude dilettante, car les clients le sentent tout de suite. Un vieux banquier avait coutume de dire “quand je vois un agent mal rasé derrière un comptoir, quand je vois des toilettes sales ou que j’entends un téléphone sonner sans que personne ne prenne la peine d’y répondre, je sais qu’il y a des problèmes dans le portefeuille de crédit”.

Mais la principale leçon d’une longue carrière, reste que l’être humain fondamentalement veut bien faire. C’est un trait que partage l’homme d’où qu’il vienne. La satisfaction de l’employé et sa productivité sont à leur summum quand il a le sentiment de connaitre le succès. Telle est la nature humaine. Il échoit au management de créer les conditions qui permette cela, car gérer ne consiste pas à tirer le maximum de ses gens, mais de les aider à découvrir qu’ils sont vraiment bons. 

Omar Bouhadiba
 

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