Opinions - 07.12.2013

Finances publiques: Compensation et partage équitable de la charge fiscale

Des économistes tunisiens, «libéraux» de stricte observance comme il se doit, ont cru devoir prendre le train gouvernemental en marche pour stigmatiser avec fracas le coût prohibitif de la «compensation» des prix des carburants et de l’énergie et son caractère «inique» sur le plan social.

Sur le second point et en appui de leurs dires, ils ont avancé des données quantitatives très précises quant au bénéfice inégal que tirent les diverses catégories socioprofessionnelles de cette compensation. Mais sachant que le débat sur le bénéfice inégal tiré par les CSP de la compensation des produits de base, aspect comparativement plus maîtrisable sur le plan statistique et économétrique, continue encore aujourd’hui à faire débat entre les spécialistes les plus sérieux, la hardiesse méthodologique et médiatique de ces économistes à propos de la compensation des carburants et de l’énergie n’apparaît que plus hasardeuse et orientée.

S’il s’agit pour eux d’appeler par ce biais à une politique de «vérité des prix», pourquoi pas après tout. Mais il ne faut pas alors qu’ils passent sous silence le fait que le salaire est aussi un prix, le prix du travail, et que l’autorité publique ne peut pas laisser tous les prix déraper, dont celui des produits de première nécessité et de l’énergie, tout en maintenant le prix du travail déconnecté ou en retard, quelquefois même en termes nominaux. Dans un pays qui a été laissé pendant un quart de siècle sous la domination exclusive d’une telle politique, se caractérisant, qui plus est, par une répartition primaire et secondaire des richesses produites inique et par une injustice fiscale flagrante, l’appel à continuer les mêmes errements confine à l’aveuglement et souscrit, qu’on l’avoue ou non, au démantèlement délibéré de ce qui reste de l’unité nationale et de la solidarité sociale.

Ce scénario est d’ailleurs totalement irréaliste sur le plan politique et dangereux sur les plans économique et social, sans oublier ses conséquences directes quant à l’aggravation des tensions exercées sur les équilibres financiers des régimes de retraite, un point sur lequel il faut s’arrêter un instant. Le montant de la retraite est certes globalement corrélé avec le salaire déclaré (ou le revenu déclaré), mais cette corrélation n’efface pas pour autant le fait qu’à législation constante et à effectifs déclarés constants,  le taux d’équilibre des retraites (des pensions pour être exact) du régime général de la CNSS par exemple est directement dépendant du taux d’accroissement du salaire moyen déclaré. Autrement dit, dans une phase où les effectifs déclarés n’augmentent pas significativement en raison de la crise économique, des sous-déclarations  et du chômage, le salut viendrait de la masse salariale déclarée et des efforts qui devraient être consentis pour combattre la fuite « sociale ». Dans le cas contraire, on n’aura d’autre choix que d’augmenter les taux de cotisation aussi bien pour les salariés que pour les entreprises. Dans la conjoncture actuelle, on admettra qu’un tel scénario est à éviter.

Il n’est évidemment pas nécessaire de revenir sur le coût politique et social d’une augmentation sensible des prix des carburants et de l’énergie encore que certains minimisent son impact sur la hausse anticipée ou résiduelle de tous les autres prix et par conséquent sur le pouvoir d’achat de l’immense majorité de la population, particulièrement sur celui de la population défavorisée et celui des salariés (75% de la population active occupée). Ce qui est malsain, c’est  jouer sur les termes et  monter les catégories socioprofessionnelles les unes contre les autres. Les CSP identifiées par l’INS sont au nombre de douze, mais l’homogénéité à l’intérieur de chaque CSP n’est guère probante même à coups de pondération. Ainsi les agriculteurs qui constituent la 7ème CSP de l’INS ont un niveau de consommation en 2005 s’élevant à 1 281 dinars en moyenne par personne, niveau assez proche finalement de celui des travailleurs agricoles (1 020 dinars pour la même année) et des travailleurs dans le domaine non agricole (1 263 dinars). Quant à considérer l’ensemble des exploitants agricoles comme une entité, on sait que c’est dérisoire en raison des grands écarts qui caractérisent les surfaces exploitées et leur rendement. De même, la définition retenue par l’INS  des classes moyennes en se basant sur un critère exclusif de niveau de consommation (7 niveaux) et en élaguant les deux niveaux extrêmes n’a pas beaucoup de sens. Il ne permet pas en tout cas d’identifier les classes moyennes sur la base de ce seul critère alors que le revenu et le patrimoine peuvent très bien le remettre en cause. 

En fait et nonobstant la question de savoir qui bénéficie réellement de la compensation en matière énergétique, les arguments avancés par le gouvernement et certains spécialistes pour justifier la hausse des prix des carburants et de l’énergie sont opaques et parfois même contradictoires. Les données chiffrées fournies par la Direction générale de l’énergie sur la production nationale de pétrole brut et le gaz, le taux de couverture des besoins (s’agit-il d’un taux qui se réfère aux quantités ou à la valeur ?), la répercussion d’une hausse d’un dollar par baril sur les prix à la consommation et sur le montant de la « compensation » ainsi que sur d’autres aspects de la problématique énergétique ne sont pas convaincants. Il en est de même de la répercussion de la hausse des prix de l’énergie sur l’ensemble des prix et sur les recettes fiscales. Après tout, le système des prix de l’énergie à la consommation est lui-même inflationniste sur le plan fiscal puisque les finances publiques recueillent en impôts directs et indirects une part non négligeable des montants dépensés pour soutenir ces prix.
 
Un effort de pédagogie et de clarification s’impose donc. C’est une obligation à laquelle aucune démocratie ne peut déroger. Que la situation des finances publiques soit critique, c’est incontestable.

Qu’il faille la maîtriser, c’est une évidence. Mais que l’on fasse n’importe quoi dans l’urgence, c’est un risque inconsidéré et c’est anti-économique au final. En somme, ce qui est jeté sur la place publique par le gouvernement et certains économistes concernant le bénéfice inégal tiré par les divers groupes sociaux de la compensation doit être tiré au clair. Le moins que l’on puisse dire est que l’approximation et le parti pris caractérisent leur présentation des choses. Quant aux solutions, elles ne doivent pas procéder d’une vision  «libérale» de l’économie et des finances publiques. Le dogme «droitier» en la circonstance est aussi puéril et inopérant que le dogme «gauchiste». Et pour que les mesures soient acceptées par l’opinion publique, il faut qu’elles soient justes et que tous participent à l’effort demandé à la mesure de leur revenu et de leur patrimoine, à commencer par l’Etat, le gouvernement, l’ANC et la présidence de la République.

H.T.

Tags : Finances   Habib Touhami  
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