Opinions - 03.07.2013

Sur les bords du Nil, le fiasco du slogan « l'islam est la solution » doit faire reflechir nos gouvernants et les députes de l'ANC

A l’heure où le général Rachid Ammar parle d’une « somalisation » du pays et que l’ANC offre un spectacle agité aux Tunisiens, à l’heure où un parti rêve d’instaurer le califat et que des baigneurs sont pris à partie par des barbus près de Raf raf, les énormes manifestations contre le pouvoir des Frères Musulmans sur les bords du Nil et son funèbre cortège de 16 morts et de 800 blessés devraient faire réfléchir nos décideurs et les amener à tout mettre en œuvre pour éviter à notre pays une telle lutte fratricide. 

Mohamed Morsi a été élu avec 15 millions de voix et un taux d’abstention record, conséquence d’un duel qui a dégoûté un grand nombre d’Egyptiens devant choisir entre la peste et le choléra, entre un islamiste et un ancien ministre de Moubarak.

Dimanche 30 juin 2013, anniversaire de l’élection de ce président par défaut, 22  millions d’Egyptiens ont signé une pétition demandant son départ.  Initialement, le choix des Frères s’était porté sur le millionnaire Khairat al Chater. Ce « saint » homme était l’ennemi des syndicats et le fervent partisan du libéralisme le plus débridé. Il a été écarté de la présidentielle par décision de justice.    La présidence Morsi s’est révélée catastrophique à tout point de vue. Elle a installé le chaos sur les bords du Nil. Ainsi, fin mai 2013, la route Abou Simbel-Assouan a été coupée par des paysans qui réclamaient de l’eau d’irrigation pour leurs champs,  prenant  en otage  plus de 500 touristes.  Pour l’ingénieur Morsi, la fidélité clanique passe avant les compétences. L’Egypte est un « butin » que la Providence a mis entre les mains des Frères et qu’il s’agit d’exploiter… comme le faisaient Jamel Moubarak et les siens ? « Les Frères Musulmans ont utilisé les élections  pour monopoliser le pouvoir, dénigrer les adversaires et affermir les liens avec les islamistes radicaux » écrit l’éditorialiste du New York Times (01 juillet 2013)

L’Egyptien aujourd’hui attend entre 3 et 5 heures pour parvenir à faire un plein d’essence. Les coupures du courant électrique désorganisent la vie des gens et frappent d’impuissance l’économie. Les touristes fuient le pays et le pouvoir n’a rien trouvé de mieux pour les attirer que de nommer à Louxor - un haut lieu touristique -  un gouverneur lié à des groupes terroristes qui ont assassiné une soixantaine d’étrangers en 1997. L’inquiétude taraude les Egyptiens qui craignent une pénurie de blé et donc de ich’ - Le Caire étant le plus gros importateur de blé de la planète. Le nombre de viols a explosé - pour éloigner probablement les femmes des manifestations populaires - et donné, incidemment  l’occasion à Obama de se mêler des affaires de l’Egypte par son appel téléphonique à Morsi lundi soir. Lundi premier juillet, face aux millions de manifestants et face à la dévastation de leur luxueux local du Moqatam au Caire, les responsables de Frères Musulmans n’ont rien trouvé de mieux que d’accuser la minorité copte (10 à 15% de la population). Celle-ci  a déploré des dizaines de morts en 2011 (attentat contre une église à Alexandrie le Jour de l’An 2011 et attaque de l’armée rue Maspéro au Caire contre des manifestants coptes réclamant l’égalité d’accès aux hautes fonctions en octobre). Ce faisant, les Frères n’ont qu’une visée : accélérer l’exode  de ces chrétiens qui, avec les laïcs et les femmes, refusent l’inscription de la charia dans la Constitution du pays. Fadéla M’Rabet – la grande romancière algérienne - ne définit-elle pas la charia comme « l’ensemble des lois machistes, décrétées valables pour tous les temps et en tous lieux par des clercs névrotiquement misogynes, qui ont réussi à abolir la mixité» ? (in « La salle d’attente ») En Tunisie, l’urgence est que force reste à la loi et non aux  LPR.

Nous qui chérissons l’Egypte et que ces développements tragiques désolent, ne pouvons que regretter ces drames provoqués par l’aveuglement des Frères. Nous ne pouvons que nous souvenir qu’en ce même mois de  juillet, en  1956, le Colonel Nasser a rendu aux Arabes et aux peuples colonisés leur fierté et porté à l’impérialisme un coup d’une témérité inouïe: la nationalisation du Canal de Suez. Cet acte révolutionnaire provoquera l’agression franco-anglo-israélienne. Les Frères Musulmans à l’époque ne portaient guère Nasser dans leur cœur et n’avaient  qu’une exigence à présenter : le port du  voile pour dix millions d’Egyptiennes alors que la fille du Morchèd suivait les cours de  la Faculté de Médecine du Caire tête nue ! Le double langage et la casuistique des Frères ne datent donc pas d’hier. Aujourd’hui, le résultat de cette parole viciée et de leur politique de gribouille est hélas trop onéreux pour le peuple égyptien dont 50% vit avec à peine deux dollars par jour tandis que l’eau de cuisson des fèves – fèves qui constituent aliment de base - se vend, m’a confié un ancien ministre ! Les prix de certains produits alimentaires ont augmenté de 30%. Triche et faux semblant ne sauraient résoudre les problèmes dans lesquels se débat le peuple, ce peuple qui, comme le nôtre, a pris la parole et n’a plus peur ni des moukabarat ni des baltajia ni des foulouls. Les Frères sont aujourd’hui dépassés par ces masses qu’ils prétendaient représenter. Deux ans après la chute du dictateur, de sa clique et de ses médias, quelle dégringolade pour ces Frères qui attendaient la prise du pouvoir depuis 80 ans! Mohamed Morsi et les Frères,  comme tous ceux qui veulent dépouiller la jeunesse arabe de sa révolution pour s’éterniser au pouvoir, devraient méditer cette pensée de Karl Marx : « L’histoire ne fait rien ; c’est l’homme réel et vivant qui fait tout. »
Imposer une camisole de force islamiste au pays se révèle impossible et ne résout aucun des fléaux de l’Egypte moderne.

Imposer une Constitution concoctée à la va-vite  par les Frères et qui ignore les aspirations profondes à la modernité du pays de Saâd et Safia Zaghloul est une hérésie. « Le printemps arabe n’est pas promis à l’hiver islamiste » écrivait à juste titre un journal parisien mardi matin. La Constitution promise par Morsi devait se construire sur le consensus et non sur la préservation des intérêts des Frères. Les Egyptiens se sont sentis trahis par le sectarisme de Morsi et le manquement à la parole donnée. Par millions  ils ont alors battu le pavé pour exprimer leur frustration en criant « Justice sociale » et « Stop à la violence d’Etat ».

 Jaber Salah –connu sous le sobriquet de Jika par ses amis- n’avait que 16 ans quand il a été assassiné, en décembre 2012,  lors d’une manifestation qui immunisait Morsi de toute poursuite judiciaire. Juste avant de partir pour manifester, il a écrit sur sa page Facebook : « Si je ne reviens pas, je demande aux gens d’entretenir la flamme de la Révolution et d’exiger nos droits. » (The Guardian, 02 juillet 2013)

La monopolisation de la vie politique au bénéfice des seuls Frères a été massivement condamnée par les manifestants du Caire à Alexandrie et de Port Saïd à Assouan. Même si des éléments de l’ancien régime y mettent leur grain de sel toxique  pour récupérer leurs prébendes. Depuis la chute de Hosni Moubarak, écrit Jack Shenker, envoyé du Guardian de Londres au Caire, « les militaires, l’appareil sécuritaire, les ploutocrates se sont efforcés de protéger  de l’agitation révolutionnaire le statu quo égyptien » alors que,  de leur côté, « les Frères Musulmans ont fait de leur mieux pour maintenir et conserver le caractère autocratique de la politique égyptienne et de mettre de côté les demandes des révolutionnaires mais, ce faisant, ils ont fait éclater l’étincelle de la réaction brutale de la population. » (The Guardian, 02 juillet 2013)

Mohamed Morsi – tout comme certains chez nous aussi - brandit à tout bout de champ sa « légitimité » sortie des urnes. Las ! Cette « légitimité » aura accouché d’un bâton de général et risque d’enterrer la démocratie en  ramenant  les militaires au pouvoir- militaires dont la gestion, il y a à peine dix mois,  s’est révélée fort calamiteuse après la chute de la maison Moubarak.  Pour le révolutionnaire français Robespierre, la révolution est fondamentalement illégale… mais légitime parce que accomplie par le peuple, seul détenteur de la souveraineté. Si le peuple délègue sa souveraineté, il est en droit de la récupérer lorsque les magistrats qu’il s’est donnés menacent ses droits inaliénables - reconnaissance claire du droit à l’insurrection.

« L’islam est la solution » n’a malheureusement aplani aucune des difficultés de l’Egypte. L’Islam est foi. Il n’a rien à voir avec les affaires de ce bas monde où certains font de la politique qui « exige beaucoup de mensonges » affirme l’ancien Premier Ministre français Michel Rocard.

 Gardons-nous en Tunisie de refaire les mêmes terribles erreurs que Morsi et  ses amis et donnons son sens noble à la direction des affaires de la Cité : la politique au profit des jeunes, des régions oubliées et fortifions la société civile,  la culture et le sentiment démocratique.

Quant à l’Egypte, notre cœur bat à l’unisson du sien et notre souhait le plus vif est que le dialogue prévale et que cesse l’effusion de sang…le sang de tous les Jika dont l’Egypte et le monde arabe ont tant  besoin.

Mohamed Larbi Bouguerra
 
 

Tags : ANC   Egypte   G   Mohamed Morsi   tunisiens  
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