Opinions - 21.10.2008

Consolider les atouts d'une économie émergente

"La place de la Tunisie dans le système financier international sera tributaire de sa capacité à consolider son tissu économique sur la base de la productivité et, partant, de l’innovation technologique et du développement des ressources humaines."

 

 
Libéralisation à outrance, déréglementations en tout genre, hypertrophie des marchés financiers placés sous la dictature des profits et des taux de rentabilité. Le résultat est là : une grave crise financière internationale. Au passage, qui peut encore aujourd’hui légitimer la montée du parasitisme et de l’immoralité de la rentabilité financière avec la perversité amplifiée du fric pour le fric ? En effet, la crise financière qui a éclaté depuis l’été 2007 à partir des Etats-Unis et qui continue de défrayer la chronique fait l’objet de nombreux commentaires, soit rassurants, soit, au contraire, alarmistes. En réalité, alors qu’on reconnaît son ampleur et sa nouveauté, cette crise serait révélatrice de la gravité nouvelle de la spéculation du capital financier mondialisé. Au-delà de sa portée immédiate, ce sont les suites du processus et sa grande portée au plan économique et social qui sont en cause. Au stade actuel des choses, peut-on affirmer que la crise financière aura des répercussions perceptibles sur l’économie tunisienne ? 
I - La portée immédiate de la crise financière
 
Selon certains analystes, comme le marché financier tunisien n’est pas au même niveau que ceux des Américains, des Européens et des Asiatiques, nos entreprises ne peuvent pas subir de chocs et les établissements financiers et les banques ne seront pas touchés. En ce qui concerne les retombées de la crise financière sur l’investissement, il y a lieu de remarquer que les banques tunisiennes sont peu tournées vers le marché financier international et disposent de peu d’actifs à l’étranger. Elles ne sont pas directement concernées par la crise des crédits et des subprimes. Les institutions financières tunisiennes n’utilisent pas de façon massive les techniques qui ont été à l’origine de la crise et du décalage entre la sphère réelle et la sphère financière à l’instar des produits de titrisation structurés. La Tunisie n’a aucun placement auprès des établissements tombés en faillite, en raison de leur précarité, de leur position vis-à-vis de la crise du subprime. Il importe de souligner, par ailleurs, que les investissements américains en Tunisie et les échanges commerciaux entre les deux pays restent très faibles. Enfin, en ce qui concerne la Bourse de Tunis, il y a lieu de noter que la part des étrangers dans la capitalisation boursière, évaluée à seulement 25%, est détenue par des actionnaires de référence et non par des investisseurs financiers, ce qui lui confère une certaine stabilité et la met à l’abri des risques de contagion. A tous ces facteurs, il faut ajouter que le dispositif financier du crédit immobilier jouit d’une solidité reconnue, étant donné que la majorité des Tunisiens sont propriétaires de leurs logements et que l’acquisition d’un logement peut se faire au moyen d’une épargne à moyen ou à long terme.
 
Dans ce même ordre d’idées, il importe de souligner la gestion rigoureuse du système financier par l’Etat. Au niveau de la gestion des réserves en devises du pays, les autorités bancaires ont déjà décidé de ne pas programmer de sortie sur les marchés financiers internationaux en 2008 et en 2009. L’objectif est d’orienter les placements en devises de la Banque Centrale de Tunisie vers les instruments d’investissement les plus sûrs, à savoir les bons et obligations du Trésor en euros et accessoirement en dollars émis par les principaux pays industrialisés disposant d’une notation financière AAA.
 
Par ailleurs, la Banque Centrale de Tunisie a recommandé de mobiliser les ressources nécessaires au budget de l’Etat exclusivement sur le marché local, d’autant que le pays connaît, sur le plan interne, une situation de surliquidité depuis le début de 2008. En outre, on peut mentionner la démarche progressive sur la voie de la convertibilité du dinar, conformément à une approche qui donne toute la priorité aux opérations directement liées à l’activité productive et qui procède de manière graduelle en ce qui concerne les opérations du compte capital. Au fond, la principale des conclusions qu’on peut tirer de la crise financière est que la croissance indispensable pour faire reculer la pauvreté et instituer un développement durable réclame un Etat fort et une politique de développement hardie. C’est ainsi que l’Etat national n’a cessé de se départir de sa mission de garant entre les lois du marché et les aspirations à une société juste, équilibrée et solidaire.
 
On peut estimer, en effet, que plus l’économie croît, plus une administration publique, active et pragmatique a un rôle crucial à jouer, avec notamment des investissements publics dans les infrastructures, l’éducation et la santé, ainsi que contre l’insécurité économique. C’est là qu’il faut saisir toute la dimension humaniste du choix politique consistant à allouer près de 80% du budget de l’Etat à l’éducation, à la santé, à l’habitat, à l’alimentation, à la sécurité sociale, à la formation professionnelle, à l’emploi et à l’animation culturelle. La Tunisie est, en effet, un pays où 80% de la population fait partie de la classe moyenne, 99% des enfants sont scolarisés, où le taux de pauvreté est réduit à moins de 3,8%, où les augmentations salariales ont été maintenues tout au long des deux dernières décennies et où la croissance économique dépasse les 5% pendant la décennie. Le grand mérite que l’Histoire retiendra du Président Ben Ali, c’est précisément cette lucidité et cette vision prospective.
 
II - La portée à plus long terme
 
Certains analystes soutiennent l’idée que la débâcle financière n’aura que peu d’effets sur les conditions de vie des Tunisiens, sur les salaires et les emplois. Comme si préexistait une sorte de déconnexion entre la sphère financière et la sphère réelle de notre économie. C’est tout le contraire. La finance, loin d’être neutre, pourrait étouffer l’activité et détruire les richesses. Ainsi, les banques tunisiennes, plus internationalisées, éprouveront davantage de difficultés à trouver des financements à terme sur le marché interbancaire.
 
Si l’actuelle crise financière se transforme en crise économique, suite à une forte baisse de la consommation aux Etats-Unis et en Europe, consécutive à la limitation des crédits, ses conséquences affecteront la Tunisie. Si la crise devient d’ordre économique et touche l’Europe, le rythme de croissance de l’économie tunisienne risque de ralentir étant donné que nos échanges économiques se font à 80% en euros. Nous n’en sommes heureusement pas là.
 
Quant à l’évolution du flux des investissements directs étrangers (IDE), il y a le risque de voir des entreprises qui avaient l’intention de venir s’installer en Tunisie décaler leurs investissements. D’autre part, dans un contexte de récession mondiale, des produits comme le textile ou les phosphates pourraient aussi se retrouver de nouveau en crise, suite à la diminution des commandes en provenance de l’étranger, alors que les touristes européens, confrontés à une baisse de leur pouvoir d’achat, viendront moins en vacances en Tunisie.
 
III - Pour un système bancaire favorisant les investissements utiles
 
Tout en étant engagée dans un processus de libéralisation, la politique économique tunisienne est suffisamment prudente pour se protéger justement contre les chocs. Les choix économiques définis par le Président Ben Ali ne laissent pas les banques agir au seul objectif de spéculation, de profit financier immédiat sur le dos des services publics et des entreprises. Pour répondre à l’impératif de développement durable, notre pays a besoin de banques tournées vers un modèle de développement qui donne la priorité au financement d’investissements créateurs d’emplois et respectant l’écologie. Le système bancaire doit s’investir davantage dans les domaines du développement des PME, du financement du logement social, de la politique des transports, de la politique industrielle et de l’aide à l’innovation. L’essentiel est de réorienter le crédit pour le mettre au service d’une nouvelle croissance créatrice d’emplois et respectueuse de l’environnement. Les banques doivent favoriser, par des taux sélectifs, les investissements utiles, et pénaliser ceux qui vont à la spéculation. En lien avec des fonds publics qui pourraient prendre en charge tout ou partie des intérêts des crédits pour les investissements matériels ou de recherche des entreprises, le système bancaire pourrait favoriser ces investissements et faire pression sur l’ensemble des banques pour obtenir leur concours. C’est l’articulation entre les décisions politiques pour des investissements utiles aux populations et la pression d’un pôle public financier sur l’ensemble des institutions financières qui peuvent faire reculer la spéculation.
 
IV - Consolider les atouts d’une économie émergente
 
Pour rompre avec les risques persistants de la crise financière internationale, notre pays, idéalement placé au cœur du bassin méditerranéen, est appelé à faire preuve à la fois de plus d’audace et de prudence, plus d’adaptabilité et plus de réaction à la concurrence. L’économie réelle, celle de la terre, de l’usine, de l’entreprise, des services, doit garder davantage son importance dans les choix économiques du pays. La place de la Tunisie dans le système financier international sera tributaire de sa capacité à consolider son tissu économique sur la base de la productivité et, partant, de l’innovation technologique et du développement des ressources humaines. Or, ce que démontre le rapport mondial sur la compétitivité 2008-2009 du Forum de Davos, c’est que la Tunisie arrive à maintenir son positionnement international et régional. L’économie tunisienne a été classée 1ère au Maghreb et en Afrique sur un total de 134 économies développées et émergentes. La Tunisie est classée 8e pour la priorité accordée aux technologies de l’information et de la communication (TIC) dans la politique du gouvernement. Dans la rubrique de la sophistication des affaires, la Tunisie est classée 2e en Afrique, 3e dans le monde arabe et 40e au niveau mondial.
 
Armée du patriotisme de tous les partenaires sociaux et riche des atouts d’une «économie solide et bien gérée», la Tunisie a objectivement la capacité de répondre non seulement aux besoins à court terme mais aussi à long terme de son développement économique et de relever les défis qu’imposent les aléas d’une conjoncture mondiale pour le moins difficile.
 
Belhassen TRABELSI
 
in La Presse de Tunsie, 21 octobre 2008 : http://www.lapresse.tn/index.php?opt=15&categ=1&news=80800
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