News - 10.09.2022

Tunisie: Réduire les inégalités et promouvoir la bifurcation écologique un objectif de salubrité publique

Tunisie: Réduire les inégalités et promouvoir la bifurcation écologique un objectif de salubrité publique

Par Pr Samir Allal. Université de Versailles/ Paris-Saclay

1- Des mesures concrètes pour un changement radical de cap

Les propositions de l’UGTT au gouvernement, enrichies par l’avis de personnalités compétentes engagées dans les causes d’intérêt général, apportent une vision globale pour sortir le pays de la crise dans un monde en mutations irréversibles, d’incertitudes totales, de destructions sociales et des bouleversements climatiques.

Notre pays est en difficulté au moment où nous entrons dans une ère d’incertitude sur tous les cycles naturels fondamentaux pourtant indispensables à la vie du citoyen et l’activité économique. La société et l’État se disloquent, minés par les inégalités et l’abandon des plus défavorisés.

Il n’y a aucune fatalité à l’état de délabrement insupportable des conditions de vie quotidienne du citoyen. Réduire les inégalités des revenus et des conditions de vie et promouvoir la transition écologique et énergétique doivent être un objectif de salubrité publique.

Nous pouvons régir. Tel est le sens de la démarche participative de l’UGTT qui peut accueillir une large adhésion. Je m’inscris positivement dans ce projet en relation avec l’action des mouvements de la société tunisienne. Il me semble que c’est à partir de l'urgence écologique et climatique que doit se (re)penser la nouvelle donne économique du pays.

2- 0rganiser l’activité économique autrement

Avec le changement climatique s’ouvre une ère de très grandes incertitudes pour la Tunisie. (Région de hot spot climatique). Notre pays fait face à une réalité : le changement climatique. Il est irréversible. Il faut à la fois le freiner pour garantir notre survie et nous adapter à cette nouvelle donne.

Nous allons faire face à davantage d’événements extrêmes, à la modification du régime des pluies, à la sècheresse, à l’élévation du niveau de la mer, à la perturbation du cycle de l’eau, etc.…

Ces changements sont en train de bouleverser tout ce que nous avons connu pendant des générations. Ils sont quasi imprévisibles. Nous devons donc choisir notre façon de réagir et organiser différemment nos activités économiques. Des chantiers urgents et globaux doivent être lancer dans de nombreux domaines: transport, énergie, logement, déchets, numérique. Nous avons un savoir-faire et des moyens humains et techniques de premier plan.
La façon dont nous regardons notre environnement doit changer. L’eau, l’air, la biodiversité, la forêt sont des biens communs. Il est vain de vouloir régler quoi que ce soit en comptant sur le marché et sa sacro-sainte «concurrence libre et non faussée».

Puisque le marché et la concurrence ont montré leur incapacité à relever ces défis, ma recommandation est «la planification écologique».

3- L'impératif de sobriété implique un plan d'envergure à «coût- bénéfice» important

Le déploiement de politiques publiques incitant au développement d’activités à l’empreinte écologique faibles, nous oblige de modifier notre production et notre consommation dans le sens d’une plus grande sobriété, grâce à des changements de pratiques individuelles, mais surtout grâce à des transformations structurelles obtenues par des investissements massifs dans les énergies renouvelables, la rénovation thermique des bâtiments, les alternatives aux transports thermiques et l’agriculture, notamment.

Il ne s’agit en effet rien de moins que de reconstruire toute notre économie sur de nouveaux fondements et de nouvelles valeurs, de dérouler les différentes étapes d’une planification écologique, d’en détailler les bienfaits et les « coût-bénéfice » en matière de santé, de sécurité, de solidarité, et de mettre en évidence son caractère profondément désirable.

La bifurcation écologique nécessite des investissements massifs pour changer notre mode de production, d'échange et de consommation. Mais elle crée des milliers de nouveaux emplois de qualité pour mettre en œuvre ces changements.

L'État en dialogue avec les partenaires économiques et les communes doit planifier la mobilisation générale.

4- La planification écologique pour réussir la bifurcation : L’enjeu est la reconquête collective du temps long

La planification écologique peut être une revendication forte dans le programme de l’UGTT, une idée qui désormais fait son chemin dans plusieurs pays économiquement comparables à la Tunisie. L’enjeu est la reconquête collective du temps long. Son but est de gouverner par les besoins.

Partout nous devons mettre la logique de l'intérêt général à la place de la loi du plus fort. Les services publics doivent garantir à chaque citoyen l’égalité d’accès aux droits et aux réseaux essentiels à la vie actuelle. Et pour cela, il faut en répartir le coût avec justice.

L‘indépendance du pays n’est pas le repli sur soi. C’est la maîtrise de nos interdépendances dans la région et dans le monde. Elle est d’abord une garantie de notre propre liberté.

Nous pouvons dans ce cas, animer une diplomatie économique sur ces priorités et se faire respecter (sommet de la francophonie, dialogue euro-méditerranéen, COP 27..). Ce sera la meilleure contribution de la Tunisie à la paix, à la lutte contre le dérèglement climatique et au codéveloppement dans la région.

Notre pays n’est pas isolé, ni embarquée dans des conflits menés au profit des seuls grandes puissances en déclin.

5- Des propositions pour changer radicalement de cap et réussir la transition

1. Mettre en œuvre d’une loi instaurant la planification écologique et démocratique coordonnant les niveaux (national et local)

2. Création d’un conseil national à la planification écologique

3. Relever les ambitions climatiques de la Tunisie avec pour objectif une baisse significative des émissions et les rendre public avec un bilan annuel

4. Création d’une Agence pour les relocalisations dépendant du Conseil  à la planification écologique, chargée de recenser les secteurs industriels indispensables à la souveraineté nationale et à la bifurcation écologique, et d'établir un plan de relocalisation pour chaque filière ou production stratégique identifiée

5. Impliquer pleinement les travailleurs et les communes dans les décisions et la mise en œuvre des investissements de la planification écologique

6. Instaurer un bouclier douanier via une taxe spécifique en faveur des productions locales à faible empreinte carbone.

7. Appliquer le principe de la préférence nationale et nouer des partenariats commerciaux équilibrés avec les voisins régionaux

8. Protéger la biodiversité exceptionnelle du pays et promouvoir des plans d’autonomie énergétique et des territoires bas carbone.

9. Favoriser l’installation d’entreprises, d’artisans, d’activité commerciale par la mise en place d’aide spécifique dans les quartiers et zones défavorisées

10. Investir et rétablir des pôles publics dans l’énergie, les transports et la santé afin de réindustrialiser le pays par des plans de filières au service de la bifurcation écologique.

11. Développer les transports publics écologiques, repenser la mobilité individuelle. Créer un pôle public des transports et de la mobilité et refuser la mise en concurrence des lignes de transport.

12. Renforcer les dotations de l’État pour les territoires et régions en retard de développement économique et social.

Pr Samir Allal
Université de Versailles/ Paris-Saclay

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