News - 15.06.2022

Tunisie: sans vision et sans stratégie socioéconomique, vers où se dirige notre pays ?

Tunisie: Sans vision et sans stratégie socioéconomique, vers où se dirige notre pays ?

Par Riadh Zghal - Nombreuses sont les études réalisées par des équipes d’universitaires et d’experts, que ce soit dans le cadre des activités de think tanks ou commandées par des organisations internationales actives dans des projets de développement. Une récente étude réalisée par la GIZ et conduite par le professeur Sami Aouadi et son équipe a pour titre «Les inégalités sociales et territoriales en Tunisie à l’épreuve des crises économique et sanitaire et face aux impératifs du développement régional inclusif et du dialogue social». Cette étude relève l’inefficacité historique des politiques de développement régional pour plus d’une raison dont je soulignerai les suivantes:

La centralisation qui refuse à la région de former «une unité décisionnelle autonome qui gère des préoccupations et élabore les orientations futures»;

La détermination par le gouvernement du prix des produits agricoles et d’élevage alors que leurs inputs industriels, en majorité importés, sont libéralisés. Ainsi les agriculteurs-éleveurs sont-ils contraints de subir les augmentations continues des inputs sans pouvoir les répercuter sur les prix de revient de leurs produits et attendent le bon vouloir du gouvernement d’augmenter le prix de vente des produits de première nécessité. Il en résulte un appauvrissement non seulement des agents économiques mais des régions rurales de l’intérieur du pays; 

Le déficit d’investissement industriel de transformation des produits agricoles et de maîtrise de la chaîne de valeur des produits finis;

La faiblesse des échanges inter-gouvernorats malgré l’apparition épisodique de velléités de découpage du territoire en districts censés réunir des gouvernorats voisins; 

Le maintien des mêmes paradigmes à la base des politiques économiques d’avant 2011.

Alors que depuis le soulèvement de 2010-2011 le zoom est dirigé vers le domaine juridique et les institutions gouvernementales, ces dysfonctionnements perdurent et les crises économiques et sociales se multiplient en s’amplifiant. La crédibilité de la classe politique émergente mais divisée et conflictuelle est en chute libre. L’illusion de l’idéologie, du populisme et du juridisme «salvateur», en plus de l’exclusion, bloque l’émergence de leaders nationaux visionnaires, compétents et crédibles, en mesure de concevoir et de persuader la population d’une stratégie adéquate de sortie de crise.

Il est clair que le pays se place actuellement à un tournant décisif. Soit il se dirige vers une nouvelle dictature davantage préoccupée par la concentration des pouvoirs que par le bien-être de la population, soit il s’oriente vers une poursuite du processus démocratique et la mise en œuvre d’une stratégie véritable de sortie de crise à court terme et de développement à long terme. Tous les ingrédients sont présents si le choix s’oriente vers la première option. En effet, les expériences d’autres pays en développement montrent que le processus de démocratisation a été ponctué de coups d’Etat militaires et de guerres civiles débouchant souvent sur des dictatures parfois sanguinaires et souvent corrompues.

Quant à la seconde option de poursuite du chemin vers la démocratie, elle a, par contre, des exigences bien plus complexes. Tout d’abord, elle nécessite l’émergence d’une nouvelle classe politique, sinon le fusionnement de partis et d’institutions de la société civile en une structure cohérente et soudée en vue de constituer une masse politique critique, capable de neutraliser les forces qui poussent vers la désaffection de la démocratie et l’avènement d’une nouvelle dictature. Quelle que soit la stratégie adoptée par une telle option, elle devra se fonder sur un changement de paradigme à la base des politiques de développement. C’est à cette condition que sera engagée une véritable révolution au sens où les changements sont réels et profonds.

L’histoire des révolutions dans le monde depuis le 17e siècle montre que l’instauration de régimes démocratiques est loin d’être aisée. Certes, notre pays a échappé à la violence extrême car sa culture plutôt orientée vers la conciliation et l’attachement à la vie y a été déterminante. De plus aujourd’hui, au 21e siècle, les problématiques de la démocratie ont subi une mutation au sens où il ne s’agit plus de se suffire d’élections libérales érigeant des tenants du pouvoir au sommet, mais d’y associer la participation de la base à la décision. Donner de la voix à la base constitue désormais une revendication brandie par les populations des plus vieilles démocraties. Le Tunisien peut espérer qu’il est possible à son pays d’avancer vers une démocratie participative en sautant les étapes meurtrières des guerres civiles et des dictatures militaires. Mais le pays en a-t-il les moyens ? La réponse sera sans conteste par l’affirmative à condition que les décideurs actuels abandonnent les improvisations aléatoires sur fond de querelle avec les adversaires. Il est clair qu’après tant d’échecs des politiques adoptées depuis 2011, vouloir tout régler par décret est illusoire, de même que le temps des idéologies « révolutionnaires » est révolu et le pragmatisme est de rigueur.

Le traitement des crises multidimensionnelles qui frappent le pays nécessite une recherche des leviers efficaces pour actionner les changements souhaités par un peuple en souffrance. Les décideurs peuvent les puiser dans les diagnostics et les recommandations des nombreuses études appliquées à la Tunisie ou à des pays comparables. Il s’agit d’études consacrées aux inégalités dans la distribution des richesses, l’économie informelle, le développement inclusif, la lutte contre la pauvreté et la corruption... Encore faut-il que les décideurs daignent les consulter et se pencher sur le traitement méthodique des problèmes socioéconomiques.

Une politique orientée vers le renforcement de la démocratie par le développement et non vers le pouvoir personnel demeure encore possible. Pour l’appliquer, il faudra s’écarter des idéologies désuètes, du populisme d’Etat et s’employer à mobiliser les compétences, là où elles se trouvent, autour d’une stratégie et des objectifs rigoureusement élaborés et acceptés par le plus grand nombre de citoyens.

Le pays est mal parti depuis le renversement du régime en 2011. L’un des maux les plus graves qui s’est installé depuis cette rupture brutale, c’est le climat de méfiance à l’égard de l’Etat et des institutions étatiques ou autres. Un tel climat affecte également les rapports sociaux dans un contexte de turbulences, d’instabilité et d’absence de vision de quoi l’avenir sera fait. Cela a eu pour conséquence le blocage des dynamiques socioéconomiques dont l’investissement, ajouté au rejet de la diversité. Plutôt que la réunion des forces vives afin de servir l’intérêt général, on a attisé les conflictualités et les violences, autant de menaces de déstructuration des liens sociaux et de la solidarité nationale. L’absence d’une stratégie nationale, face à ce climat social délétère, ne peut que renforcer la méfiance, le scepticisme quant aux bienfaits de la démocratie, ébranler le sens de l’Etat et celui de l’intérêt général, une combinaison de facteurs qui risque de mettre en danger la paix sociale.

Riadh Zghal

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