News - 01.05.2020

Riadh Zghal : A quoi sert l’examen du bac ?

Riadh Zghal : A quoi sert l’examen du bac ?

Aujourd’hui à l’occasion de l’ébranlement du planning de l’éducation nationale en raison de la pandémie du Covid-19 et du confinement qui s’en est suivi avec un arrêt des cours, il faudra saisir l’opportunité qui s’offre pour revisiter notre système d’éducation et de formation tous niveaux confondus et nous interroger sur la finalité de l’école. Au lieu de cela, il semble que les décideurs se réfugient dans le bricolage. Pour certains niveaux on programme les examens sur les cours dispensés aux premier et second semestres de l’année scolaire, pour le niveau bac on projette de reprendre les enseignements en pleine saison de la chaleur avec des masques en sus, des salles de classes non climatisées, des élèves et des enseignants désabusés après un mois et demi environ de confinement. Et les examens du bac porteront sur toutes les matières du programme de terminale, les élèves devront tout réviser et l’on sait dans quelles conditions pour beaucoup déjà pauvres et davantage appauvris par l’arrêt obligé des activités de leur mère, de leur père ou des deux à la fois.

Posons-nous la question : bien performer aux examens de toutes les matières est-ce vraiment nécessaire pour réussir un cursus universitaire ? Et si certaines matières servent à améliorer une moyenne générale alors que le niveau dans les matières principales laisse à désirer, en quoi cela est-il utile si l’élève par exemple projette de se spécialiser dans le domaine correspondant à la filière du  secondaire qu’il a choisie ou vers laquelle il a été orienté?

Il y a des pays qui organisent autrement l’examen de fin du cycle secondaire pour l’accès à l’université. En Grande Bretagne les examens portent sur les programmes des deux dernières années du secondaire et les élèves choisissent 4 à 5 matières, en Italie l’examen comporte une épreuve de culture générale, aux USA le diplôme de fin d’études secondaires n’autorise pas l’accès à l’université. La possibilité de choix des matières à passer invite à une responsabilisation et une précision de la vocation de l’élève, l’épreuve de culture générale et la prise en considération des acquis des deux dernières années du lycée permettent d’évaluer la capacité des élèves d’appropriation des connaissances et de leur intégration en un savoir réfléchi et durable.

Cela est aux antipodes du bachotage ou, selon le terme de Boris Cyrulnik, du « perroquetage », autrement dit apprendre par cœur les cours qui s’y prêtent et « dégurgiter » une partie de son contenu à l’examen selon le cher principe tunisien « بضاعتكم ردت إليكم » « votre marchandise vous est rendue », comme si le savoir transmis par l’enseignant lui appartenait. Quant aux matières qui ne se prêtent pas au « parcœurisme » comme les mathématiques par exemple, on multiplie le traitement de séries, les cours particuliers aidant, jusqu’à développer une sorte de mécanique intellectuelle et à l’examen, on procède par analogie avec tous les risques de se tromper sur le modèle faute d’attention à de petits détails dans l’énoncé. Néanmoins le « parcœurisme » est encouragé du fait que toutes les matières font l’objet de cours particuliers où la reproduction du discours prime sur la réflexion, l’approfondissement des connaissances, l’esprit critique et l’imagination.

Qu’attendre d’une telle approche pédagogique qui encourage à la passivité plutôt qu’à la responsabilité, à la reproduction plutôt qu’à la créativité et l’éclosion des talents, à l’inégalité sociale entre ceux qui bénéficient de soutien scolaire de « qualité » – ou plutôt assurant la réussite aux examens- et ceux qui ne peuvent y accéder ? N’oublions pas que lorsque l’école fonctionnait comme ascenseur social dans notre pays, elle drainait les intelligences et les talents des localités les plus reculées et les plus pauvres, l’intelligence étant la chose la mieux partagée entre les humains. Seulement certains ont la bonne méthode pour l’entretenir et la développer, d’autres ne l’ont pas. 

Un examen du bac avec une inflation de matières cloisonnées, sans épreuve orale, sans épreuve de culture générale constitue-t-il réellement le bon laisser-passer pour l’accès à des études universitaires qualifiantes ? Les jeunes qui réussissent à ce bac sont-ils bien préparés au monde du travail qui les attend lorsqu’ils devront gagner leur vie ?

Si tous les bacheliers doivent accéder à l’enseignement supérieur et par suite à des emplois de cadres supérieurs, de professions libérales, ou se destinent à l’entrepreneuriat, ils auront à s’insérer dans l’économie de la connaissance qui est celle d’aujourd’hui. L’économie de la connaissance est tirée par la recherche scientifique, la recherche et développement et l’innovation qui se réalisent généralement en équipe et en réseaux. Afin de s’intégrer et d’évoluer dans une telle économie, le savoir spécialisé ne suffit plus, il y a nécessité de capacité de compréhension des systèmes, de capacités de travail collaboratif dans un cadre pluridisciplinaire, de communication souvent dans plus d’une langue et bien d’autres « soft skills ».

Il est évident que l’on ne peut réviser dans l’immédiat notre système éducatif. Par contre, vu les conditions difficiles dans lesquelles vont se dérouler les examens du bac, on peut, sans trop de bouleversements interdits par le conservatisme ambiant, introduire une petite dose de simplification par la réduction du nombre de matières obligatoires et la concentration sur les matières principales de chaque filière, et une petite dose de responsabilité en permettant aux candidats d’opérer un choix d’une ou deux matières parmi les autres celles qui les intéressent le plus. Ce qui est à craindre si on ne fait rien c’est le décrochage scolaire en masse, un risque que notre pays qui a toujours misé sur son capital humain ne peut se permettre. 

Riadh Zghal   

  
 

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7 Commentaires
Les Commentaires
Akrout Mongi - 01-05-2020 10:17

Approche très pertinente , merci Mme Ryadh

Abdelkader Maalej - 01-05-2020 10:58

l'article est intéressant mais il me semble que l'auteur a oublié de parler du système allemand qui parait le plus apte à former des têtes bien faites et non des têtes bien pleines.N'est ce pas la raison pour laquelle l'Allemagne est l'un des pays les plus avancés industriellement.

Glissa samia - 01-05-2020 13:13

Tout à fait d'accord...Notre enseignement mise sur le bachotage et le par coeur,il n'epanouit nullement l'élève, il les invite davantage à la fraude et aux cours particuliers...La situation est alarmante!Il faut revisiter notre système éducatif et ce fameux baccalauréat qui a été obtenu par des élèves incultes et professionnels de la" fausse copie" ...et d'autres le ratent bêtement parcequils sont sujet à la peur ou à des troubles psychiques ( phobie,bipolarité...).

Habib OFAKHRI - 01-05-2020 13:23

Autant que l'éducation sociale,l'enseignement se construit par paliers progressifs.Le système éducatif constitue le reflet que chaque communauté entend assigner à ses potentialités intellectuelles et manuelles pour contribuer au développement pluridisciplinaire. Ayant fait son temps,le système éducatif oriental a été supplanté par un autre occidental ,lequel privilégie l'ouverture assumée sur l' extérieur et l'émergence d'une personnalité marquée par le sens critique,l'expérimentation et l'innovation.Moins de parole,plus d'action. Après l'indépendance, ce système a misé sur la qualité et l'efficience soutenues par une "coopération americano-francaise ". ( professeurs du peace-corps et objecteurs de conscience pacifistes). Avec l'évolution du pays, le système continue de fonctionner au plan quantitatif avec l'adjuvant de l'enseignement privé. Première erreur : le diplôme n'est plus valorisé pour sa valeur ajoutée mais en tant carte d'accès à un salaire régulier, de préférence dans l'administration. Deuxième erreur :Au stade intermédiaire du développement, le pays a souffert du manque de métiers intermédiaires qualifiés. Pis , les formations pratiques ont été destinées à l'émigration où leur apport est plus valorisé. Troisième erreur: Chaque ministre de l'éducation prétend imprimer son empreinte au système de l'enseignement faisant des cursus scolaires un laboratoire cacophonique.Un semblant de maîtrise de tout et de rien! Reste que la digitalisation rampante et la courbe ascendante des diplômé(e)s chômeurs devraient susciter une réflexion globale sur les modalités d'examen de l'incontournable Baccalauréat en corrélation avec un schéma de développement durable et profitable à toutes les classes sociales. Sans démagogie, la Tunisie en a-t-elle les moyens?...

Aouani - 01-05-2020 23:27

Trés bonne analyse parfaitement on doit bouger mme zghal et surtout parfaire lla culture générale élément essentiel que 90%ou plus de nos enfants ignorent ou ne maitrisent pas .

Ahmed - 02-05-2020 16:06

Un bel Article. Dommage des pointures pareilles ne soient pas impliquées dans l'implémentation de nouvelles approches éducatives pour le Tunisie de Demain. j'étais en charge d'inspecter des centres d'examens au début de ma crarière. j'étais temoins au sein de certains établissements de fraudes d'une ampleur inégalée. Le directeur, certains enseignants de ces régions et même certains individus en dehors de la sphère éducative se sont associés pour faire réussir les enfants de "la région". Bref, les motifs étaient à vomir ' Nos enfants n'ont pas la chance de ceux du Sahel et d'autres grandes agglomérations." . Il faut noter, que les grandes mutations des enseignants touchent les régiosn du centre, du sud en général. Même les enseignants originaires de certaines régions dites déshiéritées mettent le cap vers les régions côtières. Actuellement je travaille sur des projets de Data Analytics pour le compte de certaines entreprises et je peux vous assurer que le Problème majeur de Notre éducation c'est pas seulement les Curricula Obsolètes mais c'est bien l'absence d'un système d'evaluation juste et efficace .

samir ben rehouma - 19-05-2020 10:22

pourquoi la matière arabe obligatoire et coefficient 3 dans les sections Maths et Technique et Sciences . ça sert uniquement à faire travailler des cours particuliers pour les profs d'arabe pour qu'ils rattrapent leurs confrères scientifiques sur le plan pécunier. ( "Moi aussi je veux ma part")

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