News - 24.01.2020

Netanyahou instrumentalise l’holocauste pour déshumaniser les palestiniens

Netanyahou instrumentalise l’holocauste pour déshumaniser les palestiniens

Benjamin Netanyahou n’est certes pas le premier à exploiter l’Holocauste pour en tirer un bénéfice politique. Il n’en demeure pas moins cependant que, comme bien d’autres politiciens israéliens actuels, son exploitation de l’Holocauste- bien que très importante- atteint néanmoins des tréfonds de profondeur insoupçonnée.

D’après Haaretz, le Premier Ministre d’Israël veut instrumentaliser le 5ème Forum Mondial de l’Holocauste- qui se tient cette semaine à Jérusalem pour marquer les 75 ans de la libération du camp d’Auschwitz [par les Soviétiques] -pour appeler les dirigeants du monde à publiquement soutenir la position israélienne intéressée qui veut que la Cour Pénale Internationale (CPI) n’ait pas   compétence sur les territoires palestiniens occupés.

Netanyahou a commencé cette manœuvre 48 heures à peine après la déclaration de la procureure de la CIP, Fatou Bensouda, le mois dernier, après cinq années d’examens préliminaires disant qu’elle était prête à ouvrir une enquête concernant de possibles crimes de guerre en Cisjordanie et à Gaza, sous réserve de la compétence territoriale de la Cour.

Sans perdre du temps, Netanyahou a répondu que « de nouvelles ordonnances sont édictées contre le peuple juif- les ordonnances antisémites de la CIP. »

Ce recadrage cynique est intellectuellement et moralement ahurissant.

Les Palestiniens qui vivent sous l’occupation d’Israël constituent un peuple privé de droits. Depuis des décennies, leur existence a été gouvernée par le bon vouloir et l’arbitraire de leurs occupants. Ils ne peuvent voter pour le gouvernement qui contrôle le moindre des aspects de leur existence. Ils n’ont point d’armée pour se défendre. Ils ne peuvent contrôler les frontières de leur propre territoire. Ils ne peuvent voyager à l’étranger. Ils ne savent pas combien de temps il leur faudrait pour aller vers la ville palestinienne la plus proche- ni du reste s’ils seront autorisés à faire ce déplacement.
Ils ne peuvent avoir recours à la justice au moyen des mécanismes israéliens légaux. Les procureurs et les juges israéliens dans les territoires occupés animent un « système judiciaire » dont le taux de condamnation frôle le 100%. Dans le même temps, ce système travaille de manière à assurer l’impunité aux forces de sécurité israéliennes qui tuent, abusent et torturent les Palestiniens.

Pour ces derniers, la CIP est, littéralement, leur dernier recours. Pourtant, Netanyahou, avec le soutien de toute la classe politique israélienne, est en train d’essayer d’étouffer même ce pâle et vague espoir de justice caressé par les Palestiniens.

Comme il est déshumanisant de peser pour dénier ce dernier recours d’un peuple voulant accéder même à une justice incertaine, tardive et minimale. Comme il est dégradant d’agir ainsi alors qu’on est juché sur les épaules des survivants de l’Holocauste et que l’on insiste que l’on agisse ainsi, en quelque sorte, en leur nom.

Il faut une sacrée dose d’absence de mémoire historique et de repères moraux pour ignorer la leçon principale que le monde a tiré des cendres des années 1940 : que nul ne devrait jamais, quelles que soient les circonstances, être laissé sans droits, précisément parce que la Déclaration Universelle des Droits Humains nous dit : « que la méconnaissance et le mépris des droits de l’homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l’humanité. »

Mais Netanyahou va encore plus loin, prétendant que ces mêmes cendres conduisent à la conclusion opposée : qu’il y a un peuple- le peuple palestinien- qui doit demeurer sans droits- quelles que soient les circonstances.

Une existence dénuée de droits soit pour la terre, pour le vote, pour la CIP comme pour la justice. Une existence pour laquelle la liberté de mouvement a pour limite le prochain check point. Une existence dans laquelle les soldats font irruption dans les maisons à tout moment. Une existence dans laquelle la constante est le peu de contrôle que l’on a sur sa propre vie.

Honte à vous, Premier Ministre Netanyahou. Honte aussi à tout dirigeant international qui accompagne cette mascarade consistant à considérer comme antisémite la tentative d’un peuple en quête de justice.  Adopter cette lâche attitude trahit non seulement les espoirs des Palestiniens pour la liberté et la justice mais contribue à la mort lente des leçons qui ont guidé l’humanité au cours des 75 dernières années et qui sont actuellement noyées par la vague autoritaire naissante qui déferle sur le monde.

Ce n’est pas le monde que l’humanité a essayé de bâtir à la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, suite à l’Holocauste. Ce monde est celui de Poutine et de Trump, de Modi et d’Orbán, de Netanyahou et de Bolsonaro. En vérité, nous vivons déjà dans un nouvel univers, pleutre et couard. Et pourtant, reste entre nos mains d’abord la décision de faire en sorte que les pénibles leçons du passé ne soient mises sens dessus dessous pour tracer la voie à une nouvelle oppression. Il nous incombe de demeurer loyaux vis-à-vis d’une vision de liberté et de dignité, de justice et de droits pour tous.

Hagai El-Ad
Directeur exécutif de l’ONG israélienne des droits de l’homme B’Tselem

Lire sur le site de Leaders son intervention au Conseil de Sécurité (Leaders, 25 octobre 2018)
Haaretz 23 janvier 2020

Traduction de l’anglais de Mohamed Larbi Bouguerra. 







 

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