News - 16.12.2019

La cinématographie arabe: l’adaptation en question

La cinématographie arabe: l’adaptation en question

Il faut admettre qu’il est difficile d’opérer un retour dans le passé pour suivre la genèse de la cinématographie arabe et souligner la place qu’elle réserve à la littérature. Ce qui aurait eu, évidemment, le mérite d’offrir au lecteur des clefs pour jauger ce qui peut l’être en matière d’adaptation et tenter de comprendre ces multiples prismes culturels au travers desquels les cinéastes et les romanciers arabes, ensemble, se perçoivent et perçoivent le monde.

Pour autant, un excellent ouvrage vient de combler quelque peu ce manque. Intitulé Les cinémas arabes et la littérature, il est coordonné par deux chevilles ouvrières : Ahmed Bedjaoui et Michel Serceau, deux spécialistes en la matière, qui avaient déjà publié en 2016 à Alger, aux Editions Chiheb, une première version de cet ouvrage comprenant des articles en français et des articles en arabe. Ils viennent de remanier l’ensemble en y incorporant une lumineuse introduction,  des traductions d’articles, de nouvelles contributions et plusieurs riches annexes portant sur les filmographies des différents pays arabes.
L’ouvrage (262 pages),est une judicieuse approche dans l’ensemble du monde arabe, une sorte de panorama, fort original, s’étalant de l’Irak jusqu’au Maroc ;un long périple, on le devine, nécessité par le souci des deuxauteurs de présenter un éventail aussi large que possible des tendancesayant émaillé le cinéma et le roman arabes.

Il est structuré enquatre grandes parties : ‘D’un pays à l’autre’, ‘En perspective’, Etudes de cas’ et ‘Annexes’. Dans la première, figure, entre autres, une longue intervention fort détaillée de Ahmed Bedjaoui: ‘ Les adaptations d’œuvres littéraires dans le cinéma algérien : une histoire riche mais inachevée’, où il souligne en conclusion : « le nombre impressionnant de films qui, en Algérie ou ailleurs, ont été tirés d’œuvres littéraires ayant une forte relation avec l’histoire ou la société algérienne ». (p.35).

Toujours dans cette première partie, on découvre avec plaisir une intéressante contribution du Tunisien Kamel Ben Ouanès : ‘Le cinéma et la littérature en Tunisie : timides interférences’.Cet universitaire bien connu y fait preuve d’un regard plutôt sévère non seulement vis-à-vis du Tunisien, qui « n’est pas un lecteur assidu du roman », mais également du cinéaste « qui a beau afficher son aura d’artiste intellectuel, il est peu attiré par la littérature nationale. Ce qui laisse croire qu’il est coupé de l’imaginaire de ses concitoyens écrivains. Réciproquement, rares sont les littérateurs qui soient vraiment des cinéphiles avertis ». (p.69)

Kamel Ben Ouanès justifie toutefois son jugement :

« Cette absence d’échange, d’interférences entre cinéastes et écrivains a pour conséquence de créer une certaine fissure ou plus précisément une frontière entre les deux domaines. Cette remarque est d’autant plus importante qu’elle s’applique aussi à l’ensemble des acteurs culturels et artistiques du pays, à l’exception bien sûr de quelques cas isolés. Cette constatation générale est d’autant plus regrettable que la discrète audience de la production littéraire en Tunisie est en net contraste avec sa richesse et sa vitalité croissante, notamment depuis les années 1990… » (p.69).

Dans la seconde partie, ‘En perspective’, on note en particulier l’analyse, brève mais succincte, du critique égyptien Joseph Fahim, ‘Les adaptations littéraires dans le cinéma arabe : le chapitre perdu’ où il salue l’avènement au XXIe siècle de ‘l’âge d’or’ pour la littérature arabe, notant au passage, que chaque pays a fini par acquérir une identité littéraire propreainsi qu’un « développement du septième art comme forme d’expression et comme langage ». (p.85)Mais il regrette néanmoins que « vu la quasi inexistence de politiques d’archives dans la région et le peu d’attention prêté au nouveau produit, il est plus impératif que jamais de situer cette part oubliée de l’histoire du film arabe dans son contexte et de bien la situerparmi les référents du film arabe (…). (p.87).

Dans la troisième partie, ‘Etudes de cas’, Ahmed Bedjaoui signe deux longues contributions: ‘Essia Djebar, l’écriture, le cinéma…’ et Mouloud Mamméri, la littérature, le cinéma et la culture amazigh’, un  vibrant hommage « à la première femme algérienneà être admise à l’Ecole Normale Supérieure et … l’une des premières femmes (tout court) à entrer à l’Académie (française)» (p.175) et à « l’écrivain et anthropologue de grand talent, (qui) a étél’un des premiers auteurs à être porté à l’écran dans le jeune cinéma algérien ». (p.187)

Toujours dans cette troisième partie, Najeh Hassen, un critique jordanien, analyse ‘l’histoire de l’original et de l’image dans l’adaptation de la nouvelle de Naguib Mahfouz Image’.Il s’agit de la réalisation du premier film expérimental du cinéma égyptien, un long-métrage de fiction, par le défunt Madkour Thabet.

La quatrième et dernière partie, ‘Annexes’est une série de filmographies portant sur quelques pays arabes dont la Tunisie.La première, celle de l’Algérie, est établie par Ahmed Bedjaoui qui précise :
« Si on trouve iciun nombre important de films produits par la RTA (Télévisionnationale algérienne) c’est qu’elle a été- le cas est spécifique-un acteur institutionnel du développement d’un cinéma qui était un cinéma d’état. On ne peut comptabiliser le nombre de films produits dans le pays sans en tenir compte ». (p.221)

Toutefois, la filmographie la plus fournie est, bien entendu celle de l’Egypte, établie par Michel Serceau. Elle vient en complément à celle publiée en 1994,à l’occasion de la deuxième Biennale des cinémas arabes (Paris, IMA)dans ‘Cinémas arabes et littérature’sous la direction de Magda Wassef : ‘ Liste des films égyptiens adaptés d’œuvres littéraires’.

La filmographie, ‘Le Cinéma tunisien et la littérature arabe’, établie par Kamel Ben Ouanès a, pour point de départ, ‘Le Fou de Kairouan’, de Jean-André Kreuzi, paru en 1939 (d’après l’histoire de Qays et Leila). Elle se termine en 2013 par le film ‘Une vie meilleure’ de Chiraz Bouzid (d’après la nouvelle Ouahmoun Jamil/Belle illusion de L. Ben Hassine, Tunisie)

L’art, selon Vinci, est à la fois “science” et philosophie, à cause de cette “fenêtre de l’âme” qu’est l’œil, «la principale voie par où notre intellect peut apprécier pleinement et magnifiquement l’œuvre infinie de la nature ». Bien sûr, l’écriture, à la différence du cinéma, est un art qui s’adresse à l’esprit. Or, dire l’indicible est toujours une gageure. L’écriture ne peut suppléer le visuel mais comme elle se trouve à la croisée de plusieurs disciplines, elle semble dominer le cinéma. Alire cet excellent ouvrage, Les cinémas arabes et la littérature, on doute de cette ‘dominance’.

Les cinémas arabes et la littérature, ouvrage coordonné par Ahmed Bedjaoui et Michel Serceau, L’Harmattan, Paris (262pages).

Rafik Darragi



 

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1 Commentaire
Les Commentaires
Laagueb ferid - 16-12-2019 18:48

Le cinéma tunisien a débute' avec le pionnier de cinéma arabe et tunisien à la fois, Albert schammama chekly . c'est tunisien juif avait un vrais talon et grâce à ses efforts et ses relatons que la régence Tunisienne a su le cinéma même avant l'Égypte et ce pionnier a bien étudié la mentalité arabotunisienne avant de realiser ses deux long meterage :la fille de cartage en1923 et zohra en 1925.notant bien qu'a l'époque les juifs tunisiens etaient parmi les leaders de la renaissance culturelle en tunisie. Je crois que monsieur Kamel ben wanness a négligé ces efforts. Voir mon ouvrage publication CPU en octobre2017 intitulé l'histoire de multim

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