Opinions - 11.09.2015

Le projet de loi sur la réconciliation nationale: A l’épreuve des règles de la démocratie représentative

Le projet de loi sur la réconciliation nationale: A l’épreuve des règles de la démocratie représentative

Face à certaines oppositions que le projet de loi initié par le Président de la République sur la réconciliation nationale a suscitées, il nous paraît utile de revisiter certains fondamentaux du fonctionnement démocratique des institutions de l’Etat en nous penchant tout d’abord sur les paradigmes de la délibération politique dans une démocratie représentative et en mettant en garde ensuite contre ce qui la menace.

La conformité de projet de loi aux règles  de la délibération démocratique

La démocratie fait de la loi l’expression de la volonté générale du peuple qu’incarnent – en démocratie représentative– ses représentantes et ses représentants élus au suffrage universel. Elle implique que la loi votée par l’assemblée parlementaire selon la majorité et les formes requises par la constitution, elle-même loi suprême, exprime la norme générale. La démocratie n’existant pas sans l’Etat de droit, cela implique que la loi même délibérée et adoptée par le parlement n’exprime au final la volonté générale que dans le respect des dispositions  formelles et matérielles de la constitution et ce, suite à un contrôle de sa constitutionnalité.
 
Partant de ces trois fondamentaux, schématiquement brossés, dans quel  processus s’insère le projet de loi sur la réconciliation nationale ?
 
il y a lieu de relever dès l’abord  que la Constitution du 27 janvier 2014 a conféré au Chef de l’Etat le droit de présenter des projets de loi à l’Assemblée des représentants du peuple ( ARP), au même titre que le Chef du gouvernement ou dix députés au moins ( qui ont la possibilité de présenter des propositions de lois); étant précisé que les projets de loi (du Président de la République et du Chef du gouvernement «ont la priorité» (article 62 §1). La Constitution n’a imposé de surcroît aucune limite matérielle à l’initiative législative du Président de la République en ne lui assignant aucun domaine. Par conséquent, tout ce qui relève du domaine de la loi (ordinaire ou organique), tel que défini, entre autres par l’article 65 de la Constitution, peut faire l’objet d’une initiative législative présidentielle. Il ressort des articles précités que rien n’interdit au Président de la République de présenter un projet de loi sur la réconciliation nationale.
 
Enfin, le projet présidentiel sur la réconciliation a été délibéré en Conseil des ministres  conformément à l’article 93§4 de la Constitution en vertu duquel «tous les projets de loi font l’objet de délibération en Conseil des ministres». Par conséquent, même les projets initiés par le Président de la République doivent recevoir l’aval de l’ensemble du gouvernement avant d’être soumis à l’ARP. Cela est bien compréhensible car l’exécution de la loi relève de la compétence du gouvernement et engage sa responsabilité. Sur ce point, il n’y a également rien à dire quant à la régularité de l’initiative présidentielle sur la réconciliation nationale. Le projet est actuellement entre les mains de la représentation nationale élue sur la base d’un suffrage honnête et transparent en octobre 2014, assurant en son sein majorité et opposition.
 
La procédure législative suivra en toute logique son cours. Après examen par la ou les commissions parlementaires compétentes, le projet sera transmis à la séance plénière qui seule détient le pouvoir de décision, c’est-à-dire qui, soit  l’adoptera avec ou sans amendements, soit le rejettera en partie ou en totalité. Une fois la procédure législative terminée, le projet de loi voté par l’assemblée plénière passera à la phase de la promulgation. Celle-ci peut intervenir très vite à deux conditions:

  • si le Président de la République n’exerce pas son droit de renvoi du projet de loi à l’Assemblée pour une seconde lecture conformément à l’article 81§2
  • si un recours en inconstitutionnalité n’a pas été formé devant l’Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des projets de loi (IPCCPL ) par l’une des parties habilitées à cet effet, soit le Président de la République, le Chef du gouvernement ou trente députés (loi organique n°2014-14 du 18 avril 2014). Logiquement, si recours il y a, il ne peut être introduit que par les députés qui ont d’ores et déjà fait connaître leur hostilité au projet de loi.


Si l’IPCCPL rejette le recours en déclarant la loi conforme à la Constitution, la loi sera promulguée et revêtira sa force exécutoire. Elle est dès lors «parfaite» du point de vue des mécanismes institutionnels de la délibération démocratique de la norme en régime représentatif. Si au contraire, l’IPCCPL déclare le projet de loi voté par l’ARP non conforme partiellement ou totalement à la Constitution, le projet sera, soit abandonné par son initiateur, soit amendé à la lumière des conclusions de l’Instance de contrôle et soumis de nouveau à l’ARP ainsi que cela a été fait dans le cas du projet de loi organique relative au Conseil supérieur de la magistrature.

Toutes ces règles, somme toute formelles et de simples procédures, sont en vérité au fondement même de la démocratie. Car c’est par elles que survient la délibération politique : l’assemblée étant en démocratie l’arène du débat politique et public sur les normes du vivre ensemble.

Les menaces à la démocratie par le contournement «populiste» du jeu démocratique

Il est sans conteste admis en démocratie de s’opposer aux lois. Cette vocation à s’opposer est même le propre de la démocratie qui repose sur les libertés d’opinion, de pensée et d’expression garanties par la Constitution (article 31). A défaut de quoi les parlements et les assemblées ne seraient que des boîtes d’enregistrement et non des espaces de délibération publique et de débat  démocratique.  Mais le jeu démocratique a ses lois. Comme tout jeu, il a ses règles du jeu sans lesquelles il n’y a plus de jeu. 

Que les partis et les acteurs se mobilisent par tous les moyens pacifiques dans le respect de la loi et de la liberté des autres pour créer un courant  favorable  à leurs idées  et faire pression sur les décideurs pour retirer, adopter ou rejeter le projet de loi selon leurs vues et tendances est une saine pratique du jeu démocratique. Au-delà, il y a péril en la demeure démocratique!

C’est justement de ce péril que participent  les menaces d’appel à la rue en cas d’adoption du projet de loi  ou de saisine a priori  d’instances internationales, du reste incompétente, pour invalider une loi nationale sans même aller jusqu’au bout du processus institutionnel démocratique. Mettre dos à dos légitimité démocratique des instances représentatives à laquelle le pays est parvenu après un long cheminement de transition parfois périlleux et opinion «de la rue», est un jeu dangereux qui risque d’emporter les institutions constitutionnelles du pays. Il est malheureux pour nos jeunes démocraties de  voir des leaders politiques continuer à ne croire que dans la pression de la rue  et de bouder le débat institutionnel au point de broyer les instances de la seule légitimité démocratique  obtenue par les urnes.

 

Rafâa Ben Achour
Professeur émérite

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