Nouvelle économie, nouvelle banque
L’étape ‘du collectivisme’ avait le mérite de placer la Tunisie face à son principal défi. A savoir le grand problème de l’intérieur rural et agricole. Un problème à la fois démographique, économique et social, qui va en s’amplifiant depuis même l’avant protectorat français.
Les statistiques mondiales continuent de montrer que le dépeuplement rural perdure chez nous. Récemment, de 1960 à nos jours, il a touché 30% de la population tunisienne. Un taux excessivement élevé.
Chacun d’entre nous sait lier ce phénomène aux méfaits de la paupérisation, du coûteux encombrement des villes, de l’économie informelle, de la régression morale et intellectuelle qui lui sont tous associés. Malgré cela rien n’est réellement entrepris pour repêcher nos 30% de la population qui sont le vrai baromètre social et économique de la Tunisie.
Un baromètre vivant qui, faut-il le rappeler, s’est déclaré à maintes reprises. Il a marqué, hélas tragiquement et dans le sang, toutes nos grandes dates sociales et politiques contemporaines.
Pourtant Kheireiddine nous a bien montré la solution.
Certainement avec l’aval du Trône Husseinite, il a commencé à enraciner les Tunisiens dans leur pays rural. Il a lancé un grand programme de distribution de parcelles agricoles, de 30 hectares en moyennes, prises sur les terres dites princières. Il a commencé par la région de Zaghouan. Les événements et la perte de souveraineté du pays ne pouvaient aider à la poursuite de l’une des grandes et capitales œuvres de Khereiddine.
Les banques, quel rôle?
S’inspirer de la démarche de Kherreddine reste d’actualité. En effet, faire passer les terres domaniales à des régimes de propriétés individuelles et privées est une action nationale autant prioritaire que primordiale à lancer.
Une conscience collective doit nous habiter tous et nous rassembler autour du problème. Nous devons vite nous rendre compte que l'époque où les Etats étaient propriétaires d’exploitations agricoles, producteurs ou loueurs soient-ils est révolue. De tels Etats; il n’en reste d’ailleurs qu’un nombre réduit, principalement en Afrique. Ils tendent tous d’ailleurs à se défaire de ce rôle qui n’est pas le leur et dont les chiffres et l’expérience ont montré leurs incapacités à l’assumer.
Priorité nationale est, donc, que de faire passer au régime individuel et privé tunisien la totalité des terres et des fermes agricoles domaniales.
Prioritaire et urgent aussi que d’assoire les fondements de toute une économie régionale bien viable et bien attractive. Une économie régionale nouvelle, basée naturellement sur l’agriculture, et dont le financement sera assurée principalement par les banques.
29 000 millions de Deutsche Mark /an pour l’Agriculture
L’exploitation agricole, entreprise de production, d’élevage, de stockage et de toute autre aspect agraire ou agroalimentaire, doit être définie et cernée financièrement. Nous avons là un grand retard de formalisation technique que nous pouvons combler en s’inspirant des modélisations financières et bancaires de nos proches amis Allemands, Français ou Espagnols, les meilleurs en la matière.
Les conditions réelles, nécessaires et minimales, à l’attractivité et à la viabilité des régions intérieures en sauront ainsi réunies:
- Transition des terres domaniales vers des régimes de propriétés privées.
- Réflexion en termes d’économie régionale et non en termes de développement régional.
- Afin de les rendre bancables: Mise en place des indicateurs financiers, techniques et de rendement pour toute ‘Entreprise’ - ‘Exploitation Agricole’.
La bancarisation des différents types d’exploitations et de fermes deviendrait alors envisageable. Les objectifs nationaux en terme de suffisances alimentaires ou d’exportation seraient favorisés. En ce sens, les grandes exploitations agricoles qui répondent le mieux aux normes et aux organisations modernes peuvent se consacrer à l’exportation. Les petites à moyennes exploitations couvriront la production pour la consommation locale.
Les banques sauront alors augmenter leurs concours à l’agriculture. Les prix, tant locaux qu’internationaux y plaident et les retours sur investissements dans l’agriculture sont devenus intéressants.
Par paliers, le financement bancaire de l’agriculture peut aller jusqu’à 29 000 millions de dinars / an contre des niveaux habituels, faibles et négligeables, de l’ordre des 1 300 millions de dinars / an.
Heureusement que la marge pour le faire existe en Tunisie. Le concours des banques tunisiennes à l’économie est en général dans les 70% du PIB. Suivant les standards internationaux usuels, ce concours pourrait bien passer à 100% du PIB.
Sans toucher à la structure traditionnelle des crédits en Tunisie, les 30% additifs iront à l’agriculture. Soit 29 000 millions de dinars / an à injecter avec intelligence, rigueur et pragmatisme dans la rentable et nouvelle économie régionale, principalement dans l’agriculture.
Une agriculture paradoxalement en manque de tous. Les chiffres montrent que notre agriculture manque d’engrais phosphatés, de cultures sous serres, de blé, de formation, de pommes de terres, de main d’œuvre, de saisonniers, de viandes et de cheptels, de tracteurs et de machineries agricoles, de pistes agricoles et on en arrête là.
Ce financement bancaire tuniso-tunisien sera un grand pari sur l’avenir des régions intérieures, sur notre 30% essentiel qui est depuis toujours en manque de vrai travail et d’utiles occupations.
Un pari et une nouvelle et nécessaire économie à assoire car nous devons tous prendre la responsabilité qui est la notre de trouver les solutions à ce grands et ancien problème qui a toujours plombé le pays.
Rien ne nous manque pour le faire. Commençons par ce qu’a fait Kheireddine et finissons comme ont fait nos amis Allemands après la chute du mur de Berlin pour la RDA qui était moins développée que la RFA. Ils y ont investi à flot dans les industries de pointe et les effets de cette politique sont nettement percetibles aujourd’hui.
En clair, la configuration gagnante est bien tracée. Il s’agit d'être conscient des problèmes et la nécessité de les résoudre pour redresser une Tunisie aujourd’hui bousculée et en mal de jambes. Il faut le faire vite surtout que, heureusement, les calculs pragmatiques montrent que nous avons de la marge pour le faire car nous sommes capables de gagner et de réussir. L’histoire l’a toujours prouvé dans le passé.
Osons espérer et travaillons pour qu’elle le prouve de nouveau.
Par Mohamed Abdellatif Chaïbi
Banquier - Statisticien ISUP Paris
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