News - 25.05.2024

Production et consommation du fromage en Tunisie

Production et consommation du fromage en Tunisie

Par Ridha Bergaoui - Quoique la Tunisie ne soit pas connue particulièrement pour ses fromages ou que le Tunisien ne soit pas très friand de fromages, n’empêche qu’une certaine tradition de fabrication artisanale de fromage, notamment des fromages à partir du lait de brebis, dans les régions de Béja-Testour et de Mateur, existe et qu’une trentaine d’usines modernes de fabrication de fromage à partir du lait de vache existent également et travaillent à plein rendement. Dans les rayons des grandes surfaces, l’offre en fromages est riche et très diversifiée avec de nombreuses marques et produits allant de la rigotte aux fromages à pâte pressée en passant par les fromages frais.

Rappel sur les principes de fabrication des fromages

A l’origine, le fromage était un moyen de conservation du lait. Ce dernier est un produit très riche en eau (le lait de vache contient environ 90% d’eau), très sensible, fermente et se dégrade rapidement. Jadis, les éleveurs, ne disposant pas d’installations frigorifiques et se trouvant loin des villes et centres de consommation, devaient transformer le lait en fromage pour le conserver plus ou moins longtemps en attendant de l’écouler.

Le principe de fabrication du fromage revient à éliminer le maximum d’eau pour ne garder que l’extrait sec formé de protéines, matières grasses et minéraux. Ceci est obtenu en trois étapes i) d’abord par la coagulation des protéines du lait après ajout d’enzymes (comme la présure issue de l’estomac de la vache), ii) l’élimination du liquide (petit lait) après découpe du caillé, iii) la mise du caillé dans des moules adaptées de taille et forme variables et l’égouttage. A ce stade, 20 à 30% d’eau aurait été éliminée et le produit peut être commercialisé comme fromage frais. Au petit lait, on ajoute un peu de lait, ce qui permet de nouveau la coagulation de l’ensemble. Le caillé obtenu est récupéré dans des moules spéciales qu’on laisse égoutter pour obtenir la rigotte appelée également ricotte ou rigouta. Fromage frais et rigotte doivent être consommés dans les jours qui suivent.Pour assurer une conservation plus longue, il est nécessaire de saler les boules de fromage (directement ou en les trempant dans une solution salée) et les laisser sécher au frais plus ou moins longtemps. On obtient alors un fromage à pâte molle. Il est encore possible de réduire le pourcentage d’eau dans le fromage en faisant passer les moules contenant le caillé sous une presse pour obtenir un fromage à pâte pressée. Pour ces fromages, la pâte pressée peut être cuite. Le caillé est alors chauffé à des températures supérieures à 50°C, ce qui donne au fromage, après affinage, un caractère particulier et un gout particulier.

A partir de ce principe de base de fabrication du fromage, plusieurs variantes peuvent se présenter comme l’utilisation du lait cru ou pasteurisé, lait complet ou demi-écrémé, lait de vache ou lait de mélange (vache et brebis ou chèvre), l’ajout de ferments, le retournement et l’affinage. Ceci explique l’existence d’une multitude de types de fromage (la France, par exemple, compte plus de 1 200 fromages différents) avec des textures et des saveurs riches et variées.

L’affinage du fromage, plus ou moins long (allant jusqu’à une à plusieurs années), se fait dans des conditions de température et d’humidité déterminées. Avec le lavage et le retournement, l’affinage permet la maturation du fromage, son séchage homogène tout en garantissant sa bonne conservation (formation d’une croûte dure externe) et une forme régulière du produit. Pour certains fromages, au cours de l’affinage, on favorise le développement du mycélium d’un champignon spécifique au fromage qui donne encore plus de saveur particulière au produit fini.

Les fromages à pâte pressée se conservent très bien et très longtemps. Les fromages à pâte pressée cuite ont une teneur en extraits secs encore plus élevée, contiennent le plus d’éléments nutritifs et sont particulièrement très riches en calcium. Au cours de la maturation, les ferments lactiques utilisent tout le lactose du lait. Un fromage affiné ne contient plus de lactose et convient bien même aux personnes intolérantes au lactose.

Fromage et préparation alimentaire

Depuis quelques années, sur les rayons des grandes surfaces et chez les épiciers des quartiers sont apparus de nouveaux produits qui ont l’aspect et la couleur du fromage mais n’ont en réalité rien à voir avec les véritables fromages fabriqués à base de lait. Ces produits, présentés à côté des vrais fromages, avec des emballages et des présentations similaires (morceaux, sous forme râpée, tranches, rouleau…), sont appelés «préparation alimentaire» ou «préparation fromagère» ou «fromage analogue». Il s’agit de produits de synthèse fait d’un mélange d’eau, de matières grasses végétales (surtout de l’huile de palme, le moins cher), de la poudre de lait écrémé, de l’amidon, sel, un peu de déchets de fromage si possible et plusieurs additifs alimentaires (stabilisants, émulsifiants, gélifiants, épaississants, régulateurs d’acidité, conservateurs…).L’avantage de ces faux fromages est leur prix très bas, environ la moitié de celui des vrais fromages. Avec la détérioration du pouvoir d’achat, le consommateur est tenté d’en acheter tout en croyant que c’est du vrai fromage, surtout que les informations au sujet du produit sont presque illisibles. Le consommateur ignore souvent qu’il a affaire à une imitation et se fie essentiellement au visuel et au prix. Bien sûr ni le goût, ni le fondant, ni les bienfaits des vrais fromages ne s’y trouvent. Le consommateur doit être informé et doit en acheter de son propre choix. Il faut souligner enfin que les échoppes de pizza, crêpes, sandwichs et autres aliments bon marché utilisent rarement du vrai fromage, beaucoup plus cher.

Production et consommation du fromage en Tunisie

Selon les données du Groupement interprofessionnel des viandes rouges et du lait (GIVLAIT), la production totale de lait en Tunisie pour 2021 se situe à 1 462 millions litres dont 145 millions ont été utilisés pour la fabrication de fromage (soit 10% environ). La transformation compte plus de 45 unités industrielles ainsi qu’un réseau de transformateurs artisanaux. La production de fromage serait d’environ 14 500 tonnes réparties entre 6 000 tonnes de fromage frais et 8 500 tonnes de fromage à pâte molle et à pâte pressée.

La consommation moyenne de fromage serait ainsi de 1,200 kg /habitant/an. On constate une certaine progression dans la consommation du fromage, comme pour le lait et les produits laitiers, puisque la consommation de fromage a été estimée à 0,200 kg en 1985, à peine 0,400 kg en 1995 et 1 kg en 2015. Cette consommation reste toutefois relativement faible par comparaison avec les pays développés et particulièrement ceux de l’Union européenne comme la Grèce où la consommation de fromage est de 27,5 kg/habitant /an ou la France (26 kg/hab/an).

A la production de fromage indiquée plus haut de 14 500 tonnes, il faut ajouter 30 000 tonnes de fromage fondu et de préparations alimentaires. Ces produits sont fabriqués à partir du fromage Cheddar importé auquel on ajoute du beurre ou de l’huile de palme ainsi que d’autres composants.La cuisine tunisienne a toujours utilisé surtout du fromage râpé pour la préparation de différents plats. On peut citer les tajines, les poivrons farcis à la viande hachée, les spaghettis avec une belle couche de fromage dessus. Pour les pizzas, les crêpes, les omelettes et même les bricks, le fromage râpé est un produit incontournable. Les sandwichs et hamburgers sont souvent agrémentés de tranches de fromage. Les petits triangles de fromage fondu en tartines ont été depuis longtemps un coupe-faim important pour les écoliers et lycéens. La rigotte est également utilisée pour la préparation de nombreux plats traditionnels. La consommation augmente sensiblement durant le mois de Ramadan où le Tunisien se régale et aime multiplier et diversifier ses plats.

La consommation du fromage après repas n’est toutefois pas une habitude courante. Sous d’autres cieux, le fromage se déguste à toutes les occasions et à tout moment de la journée, au déjeuner, en fin de repas en apéro… Le plateau de fromage, avec une variété de fromages présentés d’une façon alléchante, est une façon conviviale de partage en famille et entre amis et fait partie de l’art du savoir-vivre et de la gastronomie. «Le fromage est le supplément d'un bon repas et le complément d'un mauvais» (Eugène Briffault).

A part l’absence d’une tradition de consommation du fromage, la faible consommation peut également être imputée à son prix devenu très élevé comparé au pouvoir d’achat du consommateur qui ne cesse de se détériorer.

Le fromage, un produit pour riche?

Le prix du fromage en Tunisie est très élevé. Il faut compter au moins 45 dinars le kg. Une petite portion individuelle de 60g de fromage vous coûtera ainsi 2,700 dinars, soit pour une famille de 4 personnes à déguster en fin de repas, il faut compter près de 11 dinars ; ce que la plupart des Tunisiens ne peuvent se permettre. La goutta en pot de 180 g vous coûte 3 dinars, soit plus de 16 D/kg. La portion de fromage fondu vous coûtera presque 0,500 D, la même chose pour une petite tranche de fromage burger cheddar.

En France, le kg de fromage vous coûtera en moyenne 16,89 € (soit environ 57 DT) pouvant aller de 8€ à 34€. Soit environ le même prix que chez nous, alors que le pouvoir d’achat et la qualité sont incomparables.En comptant qu’il faut de 7 à 10 litres de lait de vache pour produire 1kg de fromage, et à raison de 1,500 DT/litre, le prix du lait, qui est l’unique constituant du fromage, ne représente que 25 à 30 % du prix de vente. Il est vrai qu’il y a également les frais de fabrication, des taxes diverses et de la TVA. Toutefois, les marges semblent trop importantes et exagérées, ce qui n’encourage pas à la consommation et ne profite pas au secteur. Même l’Etat ne semble pas encourager la consommation du fromage puisque la loi de finances 2024 a instauré une nouvelle taxe allant de 1,500 dinar/kg pour la rigotte, 2 dinars/kg pour le fromage fondu et 3 dinars/kg pour le reste des fromages.

Les prix exorbitants des fromages condamnent le consommateur à utiliser les préparations alimentaires de mauvaise qualité ou se rabattre sur les fromages traditionnels confectionnés parfois dans des conditions insalubres pouvant porter atteinte à la santé du consommateur. Des études ont montré que les fromages traditionnels, fabriqués d’une façon artisanale, non pasteurisés, peuvent comporter des germes de brucellose qui représentent un danger pour la santé humaine. Il est conseillé de ne pas consommer du lait ou des produits laitiers provenant d’installations non contrôlées et agréées.

Conclusion

Le fromage, c’est avant tout du lait : disponibilité, qualité et prix. On ne peut dissocier les problèmes du fromage des difficultés que connaît le secteur laitier ces dernières années. Avec le système de compensation, le prix à la production n’est pas suffisant pour garantir la pérennité de l’élevage laitier. De nombreux éleveurs ont quitté le secteur et les effectifs ont sensiblement chuté. Le secteur de l’élevage en général a été sérieusement fragilisé par le changement climatique, les disponibilités hydriques et la sécheresse qui ont affecté les ressources fourragères et alimentaires disponibles pour le bétail.

L’avenir du secteur fromager dépend également du pouvoir d’achat du consommateur et de la situation économique du pays en général. Un marché potentiel existe que ce soit pour les touristes, les Tunisiens résidant à l’étranger qui rentrent souvent au pays et qui ont acquis l’habitude de consommer régulièrement du fromage ou les personnes aisées qui peuvent se permettre de se payer du fromage même à des prix élevés. La baisse du prix du fromage pourrait inciter le Tunisien moyen, d’habitude très ouvert et réceptif, à en acheter et se régaler des bienfaits gustatifs et nutritionnels des divers fromages fabriqués en Tunisie. Effectivement, la Tunisie dispose d’une industrie fromagère jeune et dynamique qui essaye d’innover, de diversifier et d’enrichir la gamme des produits mis à la disposition du consommateur. La qualité semble au rendez-vous et les produits jouissent auprès des connaisseurs d’une bonne réputation.

Les préparations alimentaires ont l’avantage du prix intéressant. Ils conviennent aux différentes préparations culinaires: tajines, pizzas… Il y a toutefois lieu d’informer le consommateur qu’il s’agit de substituts aux vrais fromages et de réserver de préférence un linéaire spécial au niveau des grandes surfaces loin de celui des fromages. Améliorer la qualité et surveiller de près la composition de ces préparations afin de protéger le consommateur demeure indispensable. Bien faites, ces préparations qui ne contiennent ni lactose ni cholestérol peuvent être intéressantes pour le consommateur végétarien ou soucieux de son état de santé. Certes, le fromage est un aliment ni stratégique ni indispensable. Toutefois, ne pas en consommer, c’est se priver de nombreux bienfaits sur le plan nutritif (apports en nombreux vitamines, minéraux comme le calcium et le phosphore et des protéines de qualité) et leurs effets favorables sur notre santé. C’est également se priver du plaisir de goûter à un produit savoureux et agréable qui réveille et met en alerte tous nos sens.  Avec son apparence, sa texture, son odeur et son goût particuliers, le fromage met en action tous nos organes olfacto-gustatifs.  Manger un petit morceau de fromage, c’est se faire du bien, du plaisir, c’est un facteur de bien-être et de bonheur.

Ridha Bergaoui
 

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