News - 09.04.2022

Hedi Ben Abbes - Décadence : prélude au Nouvel Ordre mondial !

Décadence : prélude au Nouvel Ordre mondial !

Rien de tel qu’un désordre mondial généralisé pour mettre en exergue les enjeux géostratégiques allant de la fausse mondialisation heureuse, multilatéraliste chère à Alain Minc et Francis Fukuyama à la multipolarité souverainiste et identitaire identifiée par Robert Kaplan comme la conséquence directe d’une mondialisation qui a perdu ses repères. Avant l’effondrement du mondialisme marchand et l’affirmation du multipolarisme souverainiste et identitaire, nous assistons à la remise en question des valeurs et au désordre mondial, prélude à un nouveau monde dont on peut affirmer qu’il n’aura ni les mêmes valeurs, ni la même distribution des rapports de force que celui qu’on a connu jusqu’alors.

Comme tous les changements majeurs qu’a connus l’humanité et plus particulièrement le 20e siècle, le prochain changement verra le jour sur les décombres du désormais ancien monde et ses prétendues valeurs universelles. La période de turbulence a déjà commencé. Des secousses de fortes magnitudes ont déjà eu lieu (crise économique et financière de 2008 à nos jours, crise sanitaire, pénuries), le désordre mondial est à l’œuvre, il passe d’abord par la désintégration des valeurs fondatrices de l’ancien ordre.

Guerre, menace nucléaire, pénuries, pandémie, des ingrédients indispensables à l’hystérie collective comme prélude à l’avènement d’un nouvel ordre mondial multipolaire, souverainiste et identitaire. En attendant l’avènement de ce nouvel ordre, stratégique, économique et financier, on assiste à l’agonie du mondialisme heureux et ses vieilles recettes comme celle de la manipulation des masses. Ces recettes varient mais visent toujours les mêmes objectifs à savoir la domination totale du happy few au détriment d’une majorité rendue servile malgré elle.

Le 20eme siècle compte trois révolutions majeures qui affectent la vie de l’Homme dans toutes ses dimensions. Au même titre que la fission nucléaire et la révolution numérique, les sciences sociales et plus particulièrement sa composante appelée relations publiques constituent un tournant déterminant dans la gestion de la vie de la Cité.

Propagande et servitude volontaire

Théorisées et mises en pratique par Edward Bernays, les techniques de propagande et de manipulation des masses ont atteint leur apogée à l’aune du digital et de l’intelligence artificielle. Jamais l’humanité n’a été autant soumise à un tel niveau de manipulation faisant des pulsions et des instincts le début et la fin, l’Alpha et l’Omega de la vie humaine.

Il a fallu à peine un siècle (le 20 ème) pour substituer au récit humaniste celui des Lumières, jadis porteur d’espoir et de progrès pour l’humanité, un contre-récit de désenchantement et de régression porté aujourd’hui, par les Think Tank et les cabinets de « Conseil ». Jamais la part maudite chez l’Homme, ses bas instincts, le simulacre et le sommaire n’ont pris autant le dessus sur le rationnel et le subtil. Nous vivons à présent sous le joug de la dictature du virtuel, de l’éphémère, du léger, du rapide et du facile. Plus de place à la réflexion, aux nuances, au terre-à-terre, à l’autonomie de pensée. On pense pour nous, on décide pour nous, on nous dicte jusqu’à nos émotions. Pour ce faire, il fallait avoir une emprise totale sur le cœur même du réacteur humain à savoir ses émotions.

Faust a vendu son âme pour assouvir son besoin de savoir, de nourrir sa raison, aujourd’hui on la vend pour assouvir des désirs sans cesse renouvelés et auxquels on est devenu accroc. Prospero dans La Tempête de Shakespeare, a perdu son royaume dans sa quête du savoir et dans sa volonté de s’élever au-dessus des contingences de la vie quotidienne. Il est destitué par un frère qui avait compris comment manipuler les foules. Prospero avait appris à ses dépens que les sciences, les arts et les lettres, ne résistent pas aux exigences du quotidien.  C’est un prélude à la perte des valeurs au profit d’un machiavélisme rampant. Et depuis, les princes de machiavel pullulent telle une fange. Il fallait alors oblitérer la raison pour que règne en maître l’instinct et augmenter par là-même notre vulnérabilité. Comment parachever cette domination totale ? Comment mettre un terme à un cycle de progrès et boucler la boucle en ramenant l’Homme à l’état nature tout en lui faisant croire qu’il progresse ? Répondre à ses questions nécessite que l’on identifie les moyens et les techniques utilisées pour conquérir et occuper le seul territoire qui vaille : l’intimité profonde chez l’Homme.

Crise des valeurs et règne du simulacre

Pour que cette domination soit totale, il fallait tout d’abord substituer le simulacre au réel. Il fallait vider les choses et les idées de leurs substances. C’est l’objectification de l’Homme décriée par Heidegger, sa déshumanisation dans un monde régi exclusivement par les règles de production « l’homme lui-même ainsi que les choses sont désormais exposés au danger grandissant de devenir une simple commodité à tel point que l’homme livrera son individualité à la production sans restriction. »

C’est ainsi que l’ordre économique et sa main invisible anéantissent toute possibilité de reconnaissance et de réalisation de soi en dehors du cadre fixé.
La crise de valeurs est l’une des caractéristiques de ce monde postmoderne, mondialisé, en quête de l’absolu de la matière pour se donner l’illusion du sens derrière une image en trompe-l’œil qui ne donne pas à voir mais dissimule. Paradoxalement, ce même monde que Heidegger qualifie de monde de « produit » où l’essence de la vie se limite à la production technique et où l’homme n’est pas encore capable de maîtriser sa propre nature, ce monde-là a la prétention de revendiquer cyniquement le progrès comme crédo. 

On ne consomme plus uniquement par besoin, on consomme pour le plaisir et de ce fait, les choses perdent leur valeur en soi au profit d’une valeur « plaisir » sur laquelle nous n’avons aucune emprise. A l’inverse, une valeur telle que la démocratie est vidée de sa substantifique moelle faite de justice et d’égalité, et se trouve remplacée par un simulacre de démocratie où l’illusion démocratique l’emporte sur son exercice factuel. De même, le débat public détourné hors du champ de sa vocation première à savoir la confrontation des récits favorisant l’autonomie de pensée, se trouve aujourd’hui orienté vers des questions subsidiaires sur la forme, sur le cosmétique et l’éphémère. On ne débat plus des idées mais de leur « hologramme » creux, insaisissable et plat.
L’ogre médiatique aplatit tout sur son passage, détruit les aspérités et livre des récits lisses, binaires, simplistes et digestes pour le grand public. Ce grand public qu’il faut tenir par son tube digestif, et relier directement son bas ventre à son cerveau dans une dépendance qui engendre la servitude volontaire.  
« Influenceurs » et « followers » sur la toile, ont remplacé, l’Agora, les philosophes et les disciples. Hugo, Montaigne, Averroès et Al Jahidh ne peuvent plus rivaliser avec la cohorte d’humanoïdes qui prolifèrent sur la toile devenue une hyper-réalité qui domine la réalité tangible. Les écrans font justement écran entre l’individu et son environnement immédiat. L’amitié est virtuelle, les relations, y compris les plus intimes se font et se défont sur la toile, les distances sont écourtées et pourtant il n’y a plus d’intimité. C’est dans un tel contexte socio-culturel fait de délitement des valeurs et de désintérêt pour la chose publique que tout devient possible. Sans verser dans un complotisme primaire, c’est ce constat de fait qui rend l’impensable possible. N’avions-nous pas cédé des pans entiers de nos libertés sous la pression de la peur ? Confinés, contraints de signer un papier pour pouvoir sortir de chez soi et aller faire ses courses ou prendre l’air, fiché, scannérisés, QRcodés, prêts à montrer patte blanche pour pouvoir accomplir des gestes du quotidien. Nous l’avons tous fait avec le sentiment du bon élève soucieux d’être bien vu de ses supérieurs. Qui l’eût cru un instant, il y a deux ans en arrière ?

Un tel conditionnement mental ouvre la voie à tous les projets liberticides articulés autour d’un redoutable triptyque : peur, clivage et émotion. Think Tanks et cabinets de conseil ont de la matière à travailler pour élaborer les projections les plus invraisemblables. L’esprit critique, l’indignation, le dire non, étant en berne, la voie est libre pour le déploiement d’un nouvel ordre qu’il soit drapé du simulacre de la démocratie et de la prise en compte de « l’avis de la majorité » ou emprunt à un ordre autoritaire, le résultat sera le même. On ne gère plus les contestations et les rapports de force, on agit sur la matrice qui les produit et nous voilà tous dociles comme des agneaux.

Hedi Ben Abbes

 

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1 Commentaire
Les Commentaires
Rina - 09-04-2022 11:25

Approche brillante sur les dessous des enjeux internationaux. Merci

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