News - 13.01.2024

Mongi Mokadem: Pour un nouveau modèle bancaire en Tunisie

Mongi Mokadem: Pour un nouveau modèle bancaire en Tunisie

Section I – Pourquoi faut-il un nouveau modèle bancaire?

Il est de plus en plus admis que la participation des banques dans le financement de l’économie reste insuffisante. Cette insuffisance s’explique par les exigences de rentabilité auxquelles les banques sont soumises dans le cadre du modèle de croissance néolibéral en vigueur en Tunisie. En effet, la logique impliquée par ce modèle impose aux banques de privilégier la rentabilité financière et de favoriser les activités rentables. Autrement dit, les secteurs, jugés à haut risque, ne font que susciter leur méfiance et ne peuvent constituer une priorité parmi leurs préoccupations. C’est le cas, notamment, de l’agriculture, des PME et des régions pauvres qui ne peuvent pas constituer, pour les banques, des opportunités pour accroître leurs bénéfices.

Les banques doivent veiller à la consolidation de leur rentabilité financière et, par conséquent, faire en sorte à ce que leurs risques soient minimes. Dans un modèle néolibéral, la recherche d’une rentabilité sociale est inévitablement synonyme de perte. Elle ne peut, en aucun cas, être une priorité. L’expérience des banques spécialisées en Tunisie est, à cet égard, très édifiante. La Banque Nationale Agricole (BNA), qui était spécialisée dans le financement de l’agriculture, n’a cessé de rencontrer des difficultés pour réaliser des bénéfices dans un secteur, certes prioritaire, mais très risqué, puisque tributaire des conditions climatiques. Par conséquent, la question qui se pose: faut-il privilégier la rentabilité financière et réaliser des profits ou donner la priorité à la rentabilité sociale et soutenir les agriculteurs. Tout arbitrage entre les deux types de rentabilité est difficile à réussir. Seulement, la mise en application des choix économiques néolibéraux se traduit par la primauté de la rentabilité financière, la marginalisation du rôle de l’Etat et la régulation de l’économie par le biais des mécanismes du marché. Or, il est important de souligner que le marché est aujourd’hui incapable d’assurer une régulation efficace et un fonctionnement efficient de l’économie à cause des dérives que le marché ne peut s’empêcher de commettre. L’ampleur atteinte par la spéculation, la pénurie des produits de première nécessité, la défaillance des circuits de distribution et la hausse des prix ne sont que des manifestations du dysfonctionnement du marché. C’est, d’ailleurs, ce qui explique pourquoi le marché ne peut avoir des avantages que lorsqu’il est sous la supervision de l’Etat.

Dans le modèle néolibéral en vigueur aujourd’hui, les banques agissent selon les choix dictés par les lois du marché et privilégient, de manière exclusive, la rentabilité financière. Elles changent de statut, mettent fin à leur spécialisation et deviennent des banques universelles qui se livrent à toutes sortes d’activités et réalisent des bénéfices leur permettant d’assurer leur pérennité.

Les composantes de ce nouveau modèle ne peuvent être définis qu’en analysant les principales caractéristiques actuelles du système bancaire tunisien.

1 - La BCT pratique une politique monétaire restrictive qui implique le recours à la hausse du taux d’intérêt directeur. Ce qui rend les liquidités bancaires insuffisantes et chères et les taux d’intérêt des crédits bancaires coûteux.

2 - L’inefficace distribution des crédits bancaires qui se traduit par des parts de créances classées se situant à des niveaux élevés: 13,5 % en 2020, 13,1 % en 2021 et 12,6 % en 2022(1).

3 - Le nombre élevé des banques qui se traduit par un système de banques émiettées et fragiles : au Maroc, il y a 11 banques pour 35 millions d’habitants, alors que la Tunisie compte 30 banques (23 banques résidentes et 7 banques off-shore) pour 11 millions d’habitants.

4 - L’absence de spécialisation des banques constitue un handicap pour le financement des secteurs et des régions prioritaires. Les banques se sont toutes universalisées depuis deux décennies et le problème de financement des activités prioritaires se pose avec acuité.

5 - Une distribution inefficiente des crédits entre les secteurs d’activité qui se fait au détriment de l’agriculture : En 2022, seulement 4,2 % des crédits sont octroyés aux entreprises et aux professionnels de l’agriculture, alors que la contribution de l’agriculture dans le PIB est de 9,5 %. En revanche, l’industrie et les services ont bénéficié respectivement de 42,3 % et de 53,3 % des crédits accordés par les banques.

6 - Un grand déséquilibre au niveau de l’octroi des crédits se fait au dépens du secteur public (7,8 % des crédits) et largement à l’avantage du secteur privé (92,2 % des crédits).

C’est à cause de ces difficultés que l’implication du secteur bancaire dans le financement de l’économie reste modeste. Il est aberrant de constater que les banques tunisiennes sont en train de réaliser des taux de profit à deux chiffres, alors que le taux de croissance de l’économie est négatif. D’où la nécessité de procéder à une restructuration de ce secteur afin de mettre fin à son émiettement, à sa fragilité et à la situation de rente dont bénéficient ces banques et de leur faire jouer le rôle de partenaires actifs.

Les banques tunisiennes doivent s’insérer dans une nouvelle dynamique permettant la construction d’un nouveau modèle bancaire dans lequel le secteur bancaire assume pleinement sa responsabilité sociale et sa citoyenneté et se doter de nouveaux types de banques capables de satisfaire des besoins bien déterminés.

Section II – Pour un ancrage de l’approche citoyenne dans le secteur bancaire

II – 1 – Qu’est-ce qu’une banque citoyenne ?

Les banques dont l’économie tunisienne a besoin doivent remplir pleinement leur rôle dans le financement de l’économie et, à ce titre, elles sont appelées à assumer leur citoyenneté et à s’impliquer dans une responsabilité sociale. Celle-ci est définie comme étant « l'intégration volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec les parties prenantes »(2). Selon la Fédération Européenne des Finances et des Banques Ethiques et Alternatives, le rôle d’une banque à responsabilité sociale est « … d’œuvrer pour le bien commun et d’assurer le droit au crédit à travers une activité bancaire consistant à récolter des fonds et à les réaffecter sous forme de crédits, à des projets culturels, sociaux et environnementaux. Par leur activité, ces banques favorisent l’inclusion sociale, le développement durable, le développement de l’économie sociale et solidaire et l’entrepreneuriat social »(3).

De Clerck(4), co-fondateur de Triodos Belgique et ancien directeur du conseil de surveillance de l'institut des banques sociales, considère qu’une banque sociale est, certes, tenue d’assurer sa viabilité économique de son activité, mais ne vise pas uniquement la maximisation de son profit qui demeure l’objectif prioritaire des banques conventionnelles. Il met donc en valeur trois éléments à prendre en considération pour apprécier la responsabilité sociale de la banque:

• Le profit: il est nécessaire pour assurer la viabilité et la durabilité économique de la banque.

• L’environnement: la banque le prend en considération aussi bien dans son fonctionnement que dans les projets qu’elle finance.

• La société: la banque doit accorder la primauté de la communauté et du progrès équilibré de la société dans son ensemble.

Ces trois éléments doivent inciter la banque citoyenne à concentrer ses activités sur sa première fonction, à savoir la collecte des dépôts et l’octroi de crédits, mais, tout en évitant de faire de la recherche du profit son objectif principal.

Il est de plus en plus admis que le secteur bancaire ne peut être indifférent aux enjeux sociaux et environnementaux. On parle de plus en plus de la responsabilité sociale d’une part et de la banque d’autre part comme étant un duo indissociable. Les banques, citoyennes ou socialement responsables, doivent être sensibles aux questions relatives à la dégradation de l’environnement, à l’exclusion financière, au blanchiment de l’argent sale, aux inégalités sociales et régionales et à la pauvreté. Il s’agit, pour les banques, d’un engagement réel qui ne relève pas du pur conformisme.

Les banques citoyennes sont, par conséquent, tenues d’accorder l’importance nécessaire à une certaine rentabilité sociale. Les crédits qu’elles accordent doivent, certes, générer des bénéfices, mais doivent également créer des richesses et des emplois. Ce qui veut dire que les banques, en pratiquant cette responsabilité citoyenne, doivent viser la réalisation d’un impact positif sur la société tout en étant viable économiquement.

Il faut reconnaître que la mise en œuvre de la responsabilité sociale dans le secteur bancaire n’est pas une tâche facile. Les banques doivent, en effet, se doter d’une véritable culture concernant cette responsabilité sociale. Celle-ci n’est pas une question de morale, ni un exercice de relations publiques, mais une pratique qui constitue une source d’opportunités pour les banques, dans la mesure où ces banques peuvent améliorer leurs performances en cherchant à mieux satisfaire les besoins des clients et, de ce fait, bénéficier d’une amélioration de leur image.

Seulement, les banques citoyennes doivent, dans le cadre de leur fonctionnement, intégrer certains critères, notamment la transparence, l’inclusion sociale et la gestion de risques sociaux, environnementaux et économiques.

Concernant la transparence, les banques doivent contrôler la provenance de leurs dépôts et veiller à ce que ces dépôts ne proviennent pas d’activités illicites, éviter les transactions opaques et publier régulièrement des rapports mettant en exergue ses réalisations dans le domaine social et environnemental.

Pour ce qui est de l’inclusion sociale, l’accès au service bancaire est difficile pour une partie de la population jugée non rentable. Ce qui entraîne de multiples conséquences négatives pour la société. D’où la nécessité pour les banques à responsabilité sociale d’engager les actions à même de favoriser cette inclusion sociale, notamment l’offre de crédits adaptés aux populations défavorisées et le développement de la microfinance en faveur des PME.

Quant à la gestion des risques sociaux, environnementaux et économiques, elle s’opère à travers la destination des crédits alloués qui doivent exclure les secteurs de l’armement, de l’alcool, du tabac, des jeux et de la dégradation de l’environnement. Les banques sont également appelées à favoriser le développement durable et l’économie sociale et solidaire et à s’engager dans des projets concernant, notamment, l’économie d’énergie, l’eau et la gestion des déchets. Il est, toutefois, important de souligner que favoriser les valeurs sociales et environnementales par les banques ne signifie pas l’abandon des exigences financières et l’obligation de réaliser des profits. C’est le seul moyen leur permettant d’assurer leur pérennité. Autrement dit, « pour que les banques soient à l’avenir plus citoyennes, encore faut-il qu’elles soient profitables(5)».

II – 2 - Pour la création de nouveaux types de banque

Pour que les banques puissent remplir pleinement leur rôle dans le financement de l’économie tout en améliorant leur rentabilité sociale, il est nécessaire de les restructurer et d’opter pour un nouveau modèle bancaire.

Cette restructuration doit se faire selon une nouvelle approche qui consiste à mettre au service de l’économie des banques appropriées et conçues pour satisfaire les besoins réels de l’économie en matière de financement. Il s’agit d’opter pour de nouveaux types de banques qui doivent réussir un arbitrage intelligent entre leur rentabilité financière et leur rentabilité sociale.
Conformément à cette approche et selon les besoins, il est possible d’opter pour:

Une banque de la microfinance (Banque Tunisienne de Solidarité),

Une banque des PME (Banque de Financement des Petites et Moyennes Entreprises),

Une banque de l’économie sociale et solidaire (banque coopérative),

Une banque des régions,

Une banque de proximité (Banque postale).

1 – Une banque de la microfinance : Banque Tunisienne de Solidarité

La microfinance est incontestablement un facteur d’inclusion des populations marginalisées. Elle devient, de plus en plus, un mécanisme important de lutte contre la pauvreté des populations qui sont jusque-là exclues des services bancaires. Et c’est la raison pour laquelle l’inclusion financière représente, désormais, la pierre angulaire dans toute œuvre destinée à intégrer les catégories sociales, pauvres et à faibles revenus, et à leur permettre d’accéder aux services bancaires aux moindres coûts.
Contrairement à d’autres pays, la microfinance, en Tunisie, se trouve à l’état embryonnaire et se limite seulement à la fourniture de microcrédits et de micro assurances qui ne peuvent, à eux seuls, rendre possible cette intégration financière, sociale et économique.

Aujourd’hui, les services fournis par la microfinance ne sont pas en mesure de satisfaire les besoins exprimés par des populations nombreuses et de plus en plus pauvres. En effet, les populations exclues totalement ou partiellement du système financier sont estimées à 3 millions. Elles n’ont aucun accès aux services relatifs au crédit, à l’épargne, à l’assurance et au transfert des fonds. D’où la nécessité de concevoir un nouveau modèle de microfinance qui peut contribuer de manière plus efficace à l’amélioration des conditions de vie de ces populations marginalisées. Ce qui exige la mise en exécution de certaines mesures, notamment:

Autoriser les institutions de microfinance à mobiliser l’épargne et ce pour une meilleure maîtrise des coûts de leurs ressources financières et pour une amélioration de la qualité de leurs services, notamment des microcrédits à des taux d’intérêts faibles.

Créer une structure destinée à consolider le pouvoir de négociation des institutions de la microfinance avec les bailleurs de fonds.

Introduire de nouvelles formes de partenariat entre les banques et les institutions de la microfinance pour faciliter l’intégration, par les banques, des clients exclues auparavant et aussi pour l’obtention, par les institutions de la microfinance, de financements bancaires non coûteux.

Créée le 22 décembre 1997, la Banque Tunisienne de Solidarité (BTS) est une banque dont la principale activité est d’accorder des microcrédits bancaires au profit des petits entrepreneurs qui manquent de moyens financiers et qui n’ont pas les garanties exigées par les banques. L’objectif est de leur permettre d’entreprendre des projets dans les différentes régions, les différents secteurs et les différentes activités économiques (petite industrie, artisanat, architecture, professions libérales, cabinet médical…). Ces petits entrepreneurs sont supposés bénéficier de plusieurs avantages: pas d’exigence d’une garantie réelle et pas d’autofinancement élevé (un maximum de 10 % du coût de l’investissement). En outre, le crédit peut aller jusqu’à 150 000 dinars, l’échéance jusqu’à 7 ans et la période de grâce jusqu’à 12 mois. De tels avantages sont de nature à faciliter l’intégration de ces petits entrepreneurs dans les circuits économiques et à leur permettre de créer des richesses.

En outre, la BTS a pour mission de financer les associations de microcrédit qui accordent, à leur tour, des microcrédits aux populations pauvres et marginalisées.

Etant engagée dans un plan stratégique et un contrat-programme durant la période 2021-2025, la BTS est en train de réaliser des résultats financiers positifs. En 2022, avec 28 agences bancaires fournissant tous les services financiers et les moyens de paiement à leurs clients, elle a enregistré(6):
Une croissance de son produit net bancaire de 6 % (par rapport à 2021),

Un résultat net positif pour la neuvième année consécutive,

Un développement considérable du volume des investissements (17,7 %),

Une croissance du volume des crédits (12,5 %),

Une augmentation des fonds propres de 100 millions de dinars à 110 millions de dinars.

Une amélioration de la formation et un développement de ses ressources humaines. En effet, environ 210 collaborateurs (83 % des effectifs) ont bénéficié de formations dans les domaines de l’informatique, la comptabilité, l’audit et la gestion des risques.

Une augmentation du nombre de crédits (2 %). En 2022, le plafond de financement de 15 000 crédits est dépassé, pour la première fois, depuis la création de la banque. En revanche, les crédits douteux représentent 43,1 % du total des crédits accordés aux clients.

Concernant ses perspectives futures, la BTS se fixe comme objectif de poursuivre le développement de son offre commerciale pour attirer de nouveaux segments de clientèle, la digitalisation de son activité pour améliorer la qualité de ses services, l’augmentation du rendement du capital humain, la diversification de ses sources de financement, l’amélioration de sa gestion des risques et de la qualité de son portefeuille de crédits et la consolidation du rôle de la banque dans le financement durable, solidaire et social et dans l’accompagnement des entrepreneurs.

2 – Une banque des PME: Banque de Financement des Petites et Moyennes Entreprises

Créée en 2005, la Banque de Financement des Petites et Moyennes Entreprises (BFPME) est définie par la loi bancaire comme étant une banque de développement universelle.

La BFPME est chargée de financer les petites et les moyennes entreprises avec des crédits qu’elle accorde à des conditions relativement aisées: des montants allant de 100 000 dinars à 5 millions de dinars pour des périodes entre 2 et 12 années et avec un taux d’intérêt de 7 %.

La BFPME intervient dans le financement de tous les secteurs, à l’exception des secteurs du tourisme et de la promotion immobilière, sachant que son financement n’est accordé qu’aux personnes morales et non aux individus.

Depuis sa création et jusqu’à 2022, elle a accordé des financements de l’ordre de 440 millions de dinars à quelques 2000 entreprises. Alors qu’en 2022, la BFPME a approuvé 1644 dossiers de création de projets pour un montant d’investissement de 1,267 milliards de dinars et avec la création de 30 464 emplois(7).

Il est, cependant, important de souligner que la marge d’intervention de la BFPME reste limitée. Elle s’expose à des risques élevés parce qu’elle finance, sans garantie, 80 % des projets de création de nouvelles entreprises et 20 % des projets d’extension d’entreprises déjà existantes et aussi parce que 65 % des crédits qu’elle alloue sont destinés à des projets installés dans les régions de l’intérieur considérées comme risquées. De même, en  accordant des crédits sans respecter la règle de l’obligation d’une garantie réelle, il se trouve qu’en 2022, le taux des créances douteuses s’élève à 82 %, le taux de recouvrement ne dépasse pas 52 % et la rotation des actifs de la banque est estimé à 10,2 ans(8).

Il est à souligner qu’avec le changement récent de ses méthodes d’évaluation des projets, la BFPME est, désormais, en mesure de bien choisir les clients bénéficiaires de ses crédits. Et c’est ce qui explique pourquoi en 2023, le taux de remboursement de ses créances est de 90 % et depuis 2018, aucun crédit n’a été classé.

Ayant la vocation d’une banque de développement, la BFPME doit se spécialiser dans le financement des petites et moyennes entreprises. Seulement, face aux réticences des banques commerciales à fournir aux PME les crédits d’investissement nécessaires et la tendance de ces banques à privilégier les crédits à court terme qui représentent 97 % de leurs activités en 2023, il est primordial pour l’Etat de procéder à une restructuration profonde de la BFPME et de la doter des ressources nécessaires pour financer les investissements dont les PME ont besoin, principalement les crédits à moyen et à long terme.

C’est la voie dans laquelle l’Assemblée Générale de la BFPME, tenue le 14 septembre 2023, s’est engagée en décidant la non dissolution de la BFPME et en l’autorisant à contracter des emprunts extérieurs d’une valeur de 100 millions de dinars sur une année. Ce qui témoigne de la détermination de cette banque à surmonter ses difficultés financières actuelles et à consolider son rôle dans le financement des PME.

3 – Une banque de l’économie sociale et solidaire: La banque coopérative

L’économie sociale et solidaire (ESS) souffre de l’insuffisance des moyens de financement Ses structures actuelles trouvent énormément de difficultés pour se financer auprès des institutions financières nationales et internationales, publiques et privées. Ce sont souvent les conditions exigées par ces institutions qui ne tiennent pas compte du caractère social des activités de l’ESS et qui rendent difficile l’accès aux ressources financières.

Pour se financer efficacement, l’ESS peut recourir aux mécanismes de financement coopératif. Selon l'Organisation internationale du travail (OIT) : « Une coopérative est une association indépendante composée de personnes qui se sont volontairement unies pour réaliser leurs aspirations et besoins économiques, sociaux et culturels communs par le biais d'une société détenue collectivement et une entreprise contrôlée démocratiquement »(9).

Le financement coopératif est pratiqué dans tous les domaines économiques: agriculture, artisanat, industrie, commerce, éducation, logement, services, transports, banque et finance. Il se fait d’emblée par le biais des ressources propres à la coopérative et qui proviennent du capital souscrit par ses membres, des dépôts et de l’épargne collectés auprès de ses membres et également des prêts externes, des dons et des subventions de l’Etat. La coopérative se sert de ces ressources pour accorder le financement nécessaire à ses membres sous forme de prêts bonifiés afin de soutenir leurs activités de production et de distribution, de leur éviter de subir les effets néfastes de l’usure, du marché noir et de la multiplication des intermédiaires.

Etant donné l’insuffisance et la précarité de ces ressources propres à la coopérative, il est de plus en plus question d’assurer le financement coopératif de l’ESS en procédant à la création de banques coopératives.

a – Qu’est-ce qu’une banque coopérative?

Une banque coopérative (ou banque mutualiste) est une banque qui appartient à ses clients qui sont en même temps associés et usagers.

Les banques coopératives ne sont pas fondées sur le principe du profit, mais plutôt sur la satisfaction des besoins de leurs membres et l'amélioration de leurs conditions économiques et sociales. Par conséquent, les banques coopératives ont un rôle important dans la croissance économique à travers la lutte contre la pauvreté et la marginalisation, la réalisation de l'intégration et la création des opportunités d'emploi. Autrement dit, c’est une concrétisation du slogan "le développement de l'homme par l'homme".

Les banques coopératives peuvent combler le vide laissé par le rétrécissement du secteur public, d'autant plus que les interventions de l'État dans les économies libérales restent insuffisantes. Ces banques coopératives peuvent également impliquer de larges secteurs à la campagne et en ville et parmi les femmes, les jeunes et les handicapés dans les programmes de développement. La recommandation n° 193 sur la consolidation des coopératives stipule que : "L'équilibre de la société exige un secteur public et un secteur privé forts, ainsi qu'un secteur coopératif solidaire et fort et d'autres organisations sociales et non gouvernementales. Dans ce contexte particulier, les gouvernements devraient établir une politique de soutien et un cadre juridique conforme à la nature des coopératives et guidé par les valeurs et principes coopératifs(10)».

b - Quels sont les modes de financement propres aux banques coopératives?

La politique monétaire restrictive mise en application par la BCT pour lutter contre l’inflation consiste à relever le taux d’intérêt directeur et, donc, le coût des crédits accordés par les banques. Et ce sont surtout les entreprises de l’ESS qui auront à subir les conditions sévères exigées par les banques en matière de crédits notamment dans le secteur agricole. En effet, en 2022, ces crédits représentent seulement 4,2 %, alors qu’ils sont de l’ordre de 42,3 % pour le secteur industriel et 53,3 % pour le secteur des services(11).

L’économie sociale et solidaire a besoin de banques régies par les principes coopératifs avec notamment comme finalité non pas la rémunération du capital et la réalisation de profits, mais l’amélioration des conditions de vie des populations.

C’est justement pour assurer un financement efficace des entreprises de l’ESS qu’il faut créer des banques coopératives qui échappent aux contraintes du profit et de la rentabilité financière du capital et adoptent des modes de financement destinés à répondre aux besoins de financement non satisfaits par les banques classiques.

Il est évident que toute banque coopérative créée va se trouver inévitablement dans un environnement concurrentiel dans lequel elle est appelée, pour garantir sa pérennité, à réussir à la fois ses actions d’utilité sociale et ses performances économiques. C’est d’ailleurs toute la problématique suscitée par les banques coopératives qui doivent servir l’intérêt social et en même temps assurer leur efficacité économique.

Les banques coopératives contribuent au financement de l’économie réelle selon les modes de financement social et solidaire suivants:

Le développement du microcrédit au profit des PME.
La conciliation entre les pressions exercées par le marché et la satisfaction des besoins sociaux.
L’établissement d’une insertion dans les régions marginalisées et les zones rurales et l’intensification de leurs relations avec les associations et les entreprises de l’ESS. Ce qui leur permet d’apporter toute sorte de conseils et d’aider à la détection de projets et d’opportunités d’investissement, notamment au profit des PME.

En Tunisie, il est très utile d’opter pour la création d’un nouveau type de banques ayant comme vocation le financement des institutions de l’ESS. Il s’agit des banques coopératives dont la création future est annoncée par le gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie qui considère que ces banques: « peuvent enrichir la place financière et requièrent une clarification de leur modèle d’affaires, ainsi qu’une concordance avec les normes de gouvernance et de gestion prudentielle… »(12). Ce sont des banques dont les raisons d’être se situent, notamment, dans le financement de l’agriculture et des PME, la collecte de l’épargne, l’amélioration du taux de bancarisation de l’économie et l’atténuation de l’exclusion bancaire.

C’est ce qu’affirme l’article 15 de la loi du 30 juin 2020 relative à l’économie sociale et solidaire qui prévoit, en faveur de l’ESS, la création de mécanismes de financement spécifiques, l’affectation de lignes de financement préférentielles, mais aussi la création de banques coopératives.

La réussite des banques coopératives en Tunisie dépendra d’un certain nombre de conditions, principalement la conciliation entre leur vocation sociale et leur rentabilité économique et la mise à leur disposition de sources de financement stables et suffisantes pour pouvoir répondre favorablement aux besoins des différents opérateurs de ce secteur.

Ce qui est certain, c’est que la création de banques coopératives constitue l’une des solutions auxquelles il faut recourir pour faire de l’ESS un véritable levier de croissance économique permettant la création des richesses et des emplois. Et c’est ainsi que l’ESS doit être une composante essentielle du nouveau modèle de développement économique tant souhaité pour la Tunisie.

4 - Une banque de développement régional: La banque des régions

En dépit du nombre élevé des banques en Tunisie, il y a une insuffisance manifeste concernant les financements engagés dans les régions intérieures du pays. On attribue souvent cette insuffisance à la faible rentabilité des activités bancaires et aux risques élevés des investissements dans ces régions. De ce fait, les banques sont souvent concentrées dans les villes et ne s’intéressent que très peu aux régions rurales. D’où l’opportunité de procéder à la création d’un nouveau type de banques, différent des banques classiques par ses objectifs, son organisation et sa gouvernance.

La création d’une banque régionale est un projet qui date depuis une dizaine d’années et qui a connu des tentatives pour le réaliser en 2015 et 2018. Le but annoncé était de doter les régions d’institutions bancaires de proximité servant comme moteur de croissance sur le plan régional.

C’est dans le projet de loi de finances de l’exercice 2019 que la création d’une banque des régions a été envisagée. Le projet stipule que cette banque aura pour objectif de fournir des crédits aux entreprises et aux jeunes promoteurs dans les régions pour obtenir une relance de la croissance économique et l’investissement et une création des emplois.

Dans le même projet, il est prévu que la banque des régions devra absorber la Banque de Financement des Petites et Moyennes Entreprises (BFPME), créée en 2005 et la Société Tunisienne de Garantie (SOTUGAR).

La banque des régions, de par sa nature comme une banque de proximité, aura l’avantage d’être bien informée sur ses clients et leurs projets et elle sera, par conséquent, en mesure de minimiser les risques que représentent ses emprunteurs.

Les objectifs de la Banque des Régions se caractérisent par certaines spécificités par rapport aux autres banques dont les principales sont:

Permettre aux régions de disposer des moyens financiers nécessaires pour mettre en exécution les projets décidés à l’échelle de la région et dans le cadre de la décentralisation et sans être très dépendante de l’administration centrale.

Fournir aux PME les moyens de financement et d’accompagnement qui ont constamment manqué à ces entreprises.

Donner aux jeunes désirant créer leurs propres projets les possibilités d’accéder aux crédits dont ils ont besoin.

Pour atteindre ces objectifs, la banque des régions sera appelée à accorder aux promoteurs de projets des crédits directs ou des crédits par l’intermédiaire d’autres banques ou institutions financières partenaires. Elle mettra, également, en place des lignes de financement au profit des banques partenaires et fournira une assistance technique ainsi qu’un accompagnement au profit des PME.
Mais, ce qu’il faut souligner, c’est que la banque des régions n’a pas suscité l’adhésion de certains acteurs économiques. Et c’est ce qui explique pourquoi ce projet n’a pas encore vu le jour.

5 – Une banque de proximité: La banque postale

On estime que la création de la banque postale est en mesure de promouvoir les investissements, réduire le chômage dans les régions intérieures, améliorer le taux de bancarisation, favoriser l’accès aux services financiers et accélérer l’inclusion financière. Pour atteindre de tels objectifs, la Poste dispose actuellement d’un réseau et des capacités considérables : 1 200 bureaux postaux présents sur tout le territoire, 4 millions de détenteurs de comptes d’épargne (25 % de l’épargne nationale globale), 2 millions de comptes courants, 2,5 millions de détenteurs de cartes électroniques, 400 DAB répartis sur tout le territoire, 100 000 clients qui viennent sur place quotidiennement et une moyenne d’un bureau de poste pour 10 000 habitants(13). On peut affirmer que la banque postale possède de sérieux atouts pour atteindre ses objectifs.

En outre, la banque postale compte fournir, pour la première fois, un service de proximité, à savoir l’octroi de crédits et de permettre ainsi à des populations et à des entreprises, exclues habituellement des services bancaires, d’accéder à des financements nécessaires à la réalisation de leurs projets. « Actuellement, précise la PDG de la Poste Tunisienne, environ 85 % des actions avec les clients sont financières. Il ne manque à la Poste que le service de crédit(14)».

Les espoirs suscités par la banque postale n’empêchent pas d’attirer l’attention sur la nécessité que la banque postale ne se comporte pas comme une simple banque publique confrontée aux problèmes insurmontables de gestion et de gouvernance. « Il ne s’agit pas d’ajouter une nouvelle banque à la longue liste d’institutions financières, mais de proposer un nouveau modèle innovant »(15).

Le retard enregistré dans l’entrée en fonction de la banque postale est attribué à l’influence du lobbying bancaire qui voit dans une banque jouissant des atouts de la proximité et des avantages de l’implantation sur tout le territoire une concurrente sérieuse. A ce propos, on peut lire : « la véritable question est de savoir comment les banques de la place vont réagir à cette nouvelle banque. Ce même établissement financier qui, par l’effet de l’avantage de la proximité dont il pourrait jouir, va à coup sûr leur subtiliser une bonne partie de leur clientèle. En principe, c’est de bonne guerre. C’est la loi de la concurrence. »(16).

Conclusion

Songer à un nouveau modèle bancaire donne la possibilité d’exercer le métier bancaire autrement et de produire des types de banques qui privilégient le financement de projets selon leur vocation tout en préservant leur rentabilité aussi bien financière que sociale. La microfinance, les petites et les moyennes entreprises, l’économie sociale et solidaire, les régions et la proximité sont des domaines prioritaires dans lesquels de nouveaux types de banques doivent s’engager et constituer progressivement une véritable alternative au modèle bancaire actuellement dominant.

Mongi Mokadem
Janvier 2024

1) Rapport annuel sur la supervision bancaire. Exercice 2022.

2) Commission européenne : Communication au Parlement Européen, au Conseil et au Comité économique et social européen.

3) FEBEA (Fédération Européenne des Finances et Banques Ethiques et Alternatives), (2015). La finance éthique. En ligne.
http://www.febea.org/fr/febea/news/la-finance-ethique, consulté le 3 mars 2017.

4) De Clerck F., 2009, Ethical banking. In L. Zsolnai, Z. Boda & L. Fekete (Eds.), Ethical prospects: economy, society and environment (pp. 209-227). New York : Springer.

5) Olivier Pastré 2006 (cité par Gadioux, S. (2010). Qu’est-ce qu’une banque responsable ? repères théoriques, pratiques et perspectives). Management et avenir, 38(8), 33-51. doi : 10.3917/mav.038.0033

6) Assemblée Générale de la BTS, 28 avril 2023.

7) TAP – African Manager, 13 avril 2023

8) Interview du PDG de la BFPME, African Manager, 30 août 2022

9) Organisation Internationale du Travail : La recommandation n°193, Congrès de l’OIT, 2002

10) Organisation Internationale du Travail : La recommandation n°193, Point 6, Congrès de l’OIT, 2002

11) FTDES : « La problématique du financement de l’économie tunisienne », Etude, Novembre 2023.

12 L’Economiste Maghrébin : 4 mars 2021

13) Déclaration du PDG de la Poste Tunisienne, Réalités on line, 19 mars 2022

14) Mosaïque Fm, 8 mars 2022

15) Déclaration du PDG de la Poste Tunisienne, Managers, 18 janvier 2019

16) Webmanagercenter : 28 janvier 2021

 

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2 Commentaires
Les Commentaires
Mokaddem Jameleddine - 13-01-2024 18:17

À si Mongi, qu'il me permette d'attirer son aimable attention sur le fait que de la fiscalité , un levier et pas des moindres pour le développement social et économique, il n'en a été rien, dans les propositions développées. Obligations,Justice et équité fiscales ont fait défaut depuis des lustres dans nos contrées. Il est aberrant de continuer à accepter que les salariés et retraités continuent à y contribuer à hauteur de 80 % des impôts à la source . Une frange de ces catégories, notamment les retraités du secteur privé voient leur pension, indexée dans sa partie générale sur le smig, bloquée et l'indice de la complémentaire en hibernation depuis 2014. À bon entendeur...

Mongi - 13-01-2024 18:35

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