News - 07.03.2016

Monia Ben Jémia, présidente de l'ATFD : Le combat des femmes...

Le combat des femmes contre la pauvreté, l’exclusion et la violence

Son mandat à la tête de l’Association tunisienne des femmes démocrates (Atfd) sera celui du 60e anniversaire du Code du statut personnel, avec le bilan qu’il exige et la projection dans l’avenir qu’il doit engager. Mais aussi celui de la concrétisation de la parité verticale dans les listes des candidats lors des prochaines élections municipales. Monia Ben Jémia, professeur de droit, est consciente des nombreux défis qui pèsent sur l’association et des menaces de régression qui planent sur les droits des femmes. Renouant avec le militantisme actif de sa prime jeunesse estudiantine, elle s’engage avec les autres membres du comité directeur à relever de grands défis.Pourquoi s’est-elle portée candidate à la présidence de l’Atfd? Quelles sont ses préoccupations majeures? Et comment compte-t-elle s’y prendre?

Que représente l’Atfd pour vous ? Comment êtes-vous venue au militantisme?

L’Atfd est une véritable école pour ses militantes, j’y ai moi-même beaucoup appris. Juriste de formation, j’ai pu mettre mes connaissances théoriques à l’épreuve de la pratique, ce qui m’a permis de faire une approche plus systématiquement critique du droit et des discriminations à l’égard des femmes. Militante active au sein de l’Atfd, plus précisément au Ceofvv de Tunis, depuis 2003-2004, je voulais, en présentant ma candidature ̀ la présidence, rendre à cette association tout ce qu’elle m’a apporté et qui est plus qu’une formation au féminisme, mais une école de courage, une école de pugnacité, de chaleur et de solidarité humaines.

J’ai rejoint l’association à cette date, sans l’avoir vraiment quittée. J’avais été avec toutes les fondatrices, comme Bochra Bel hajHmida et bien d’autres, active au club Tahar-Haddad, dans les années 80, alors dirigé par Jalila Hafsia. Le club avait constitué un lieu de débat et de réflexion sur la question féminine et y avait réuni des étudiantes qui, comme moi-même, étaient engagées dans le mouvement étudiant de gauche et voyaient avec inquiétude l’espace public inondé de forces rétrogrades et conservatrices. Puis j’ai abandonné tout militantisme actif, pour fonder une famille et poursuivre ma carrière de juriste, à l’université dans laquelle j’ai occupé un temps le poste de chef de département de droit privé et de membre du conseil scientifique, aidant la doyenne Kalthoum Meziou à monter un master de common law.

J’ai continué à suivre les activités de l’association dont j’étais devenue membre lors de sa constitution en 1989. Ma thèse de doctorat terminée, mes charges universitaires et familiales devenues moins lourdes, c’est naturellement que j’ai repris le militantisme actif au sein de ma deuxième famille, le mouvement féministe. Car je suis féministe du plus loin que je me souvienne. Adolescente, j’avais dévoré les livres de Simone de Beauvoir et, plus tard, ceux de Nawal Saadaoui. C’est dans ces lectures que j’ai conforté mon appartenance à la cause des femmes. Née avec l’indépendance dans une famille conservatrice dans laquelle les femmes passaient toujours après les hommes qu’elles servaient, du reste, toute leur vie, j’ai eu la chance d’être née avec le Code du statut personnel et d’avoir été instruite dans les meilleures écoles suivant les vœux de ma mère analphabète. Confrontée très jeune à l’injustice, je me suis juré de porter la voix de celles qui m’ont élevée et qui n’ont pas eu la chance que j’ai eue, de celles qui souffrent encore en silence de la pauvreté, de l’exclusion et de la violence.

Quelles sont vos plus grandes préoccupations à l’Atfd?

Les droits des femmes, partout dans le monde arabe, et pas seulement, sont menacés de régression. Malgré les succès que nous avons obtenus sur la parité et l’égalité constitutionnelle, les droits des femmes restent menacés. La parité, notamment horizontale et inscrite dans le projet de loi sur les élections municipales et régionales, trouve déjà des détracteurs au sein même de l’ARP qui reprennent les mêmes arguments qu’autrefois: on ne trouvera pas de femmes candidates, pas de femmes têtes de liste dans certaines régions, alors que les femmes sont partout, «au four et au moulin», comme on dit. Elles travaillent, participent aux frais du ménage, prennent soin des enfants et des personnes âgées, ont de multiples responsabilités, mais c’est l’homme qui a le pouvoir et doit, selon les conservateurs, le garder. Un vaste chantier de réformes est en cours, touchant tous les domaines, sauf le monument «Statut personnel». Ce code est devenu comme sacré, on ne doit pas y toucher, pourtant c’est aujourd’hui le texte qui comprend le plus de discriminations à l’égard des femmes.

Des voix s’élèvent pour dire que ce sont les femmes qui sont responsables des crises traversées par la Tunisie. Il suffirait, disent-elles, qu’elles regagnent leur logis pour qu’il n’y ait plus de chômage, ni de violences. Ce sont des propos récurrents et qui ne savent pas que la Tunisie ne pourra pas se sortir de la crise économique sans la moitié de ses forces vives, les femmes. Ils ne savent pas ou ne veulent pas savoir que la famille, comme la société, ne peut résoudre les violences que dans le respect des droits humains fondamentaux et qu’une famille inégalitaire et hiérarchisée génère la violence. Ce sont, certes, des propos que tiennent aussi des femmes, mais, c’est normal, le patriarcat tient grâce à l’intériorisation des femmes de leur condition d’infériorité.

Que peut faire alors l’Atfd?

Le rôle de l’association est justement de sensibiliser, de déconstruire le discours patriarcal et de le révéler au grand jour avec son cortège de violences, d’impunité et d’injustices.

Les droits des femmes sont menacés et nous en sommes d’autant plus conscientes que l’association féministe phare, l’Atfd, subit régulièrement les assauts conscients ou inconscients des uns et des autres dans une même volonté conservatrice de couvrir les droits des femmes du voile du silence.

C’est pour lutter contre ce conservatisme et cette volonté de régression qu’a été élu le nouveau bureau exécutif de l’Atfd, formé des fondatrices du mouvement féministe post- indépendance, de celles qui ont rejoint le mouvement durant les années de braise et des plus jeunes venues après la révolution. Unir nos forces, notamment en renforçant le réseautage avec les forces vives du pays, ses jeunes et moins jeunes associations qui font de la défense des valeurs d’égalité, de liberté, de lutte contre la pauvreté et la précarité leur mot d’ordre. Unir nos forces contre cette lame de fond conservatrice et régressive des droits des femmes est le principal défi que devra relever le nouveau bureau. Car sans les femmes, sans la moitié de la population, il n’y a pas de transition politique réussie, il ne peut y avoir ni démocratie, ni développement économique et social, ni paix!.

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