News - 16.01.2021

Mohamed Derbel: Cinq conditions nécessaires pour redresser notre démocratie (Vidéo)

Mohamed Derbel: Cinq conditions nécessaires pour redresser notre démocratie

Mohamed Derbel. Expert-comptable-Partner- BDO Tunisie

1. Que retenez-vous le plus de ces dix dernières années ?

Dix ans déjà ! Tellement les événements s’enchaînent, j’ai perdu le repère temps, mais je garde naturellement en mémoire ceux qui m’ont marqué de joie, de tristesse, de fierté et de honte.

L’ascenseur émotionnel que j’ai vécu et que probablement plusieurs Tunisiens ont vécu durant ces dix dernières années me fait retenir cinq événements majeurs qui resteront gravés à jamais dans ma mémoire ;  

1 - Le 23 octobre 2011, mon premier vote pour une élection démocratique où j’étais le seul maître de mon choix ;

2- Les assassinats de Chokri Belaïd et de Mohamed Brahmi respectivement le 6 février et le 25 juillet 2013 : un virage inattendu vers la violence dont les séquelles vont marquer tout le processus transitionnel démocratique de la Tunisie ;

3- Le 26 janvier 2014, jour du vote des 217 constituants sur la nouvelle constitution, après deux années d’âpres travaux et de troubles sociaux dans toute la république : un moment historique où je me suis senti extrêmement fier au point que j’ai envoyé plusieurs dizaines de copies de la nouvelle constitution à mes amis partout dans le monde avec une spéciale dédicace ;

4- Les élections législatives et présidentielles de 2014 qui ont confirmé que ceux qui ont gouverné le pays de 2011 à 2014 seront incapables de gérer seuls la Tunisie et répondre aux attentes des Tunisiens et des Tunisiennes ;

5- Les attentats de 2015 et 2016, le Bardo, Sousse, la garde présidentielle et Ben Guerdane : un autre choc, une honte, une peur, mais aussi une fierté de la détermination de nos soldats et nos habitants de Ben Guerdane à combattre l’obscurantisme…Un héroïsme exceptionnel ;

Outre ces événements qui m’ont beaucoup marqué, je retiens aussi de ces dix dernières années avec beaucoup d’amertume les cinq constats suivants :

1- L’incapacité des gouvernements qui se sont succédé à changer le quotidien des Tunisiens, qu’ils soient indépendants ou formés de partis politiques ; 

2- La crise de confiance qui a touché toutes nos institutions, toutes nos relations et qui constitue aujourd’hui un handicap majeur à toute avancée ;

3- La bureaucratie croissante, le laxisme décisionnel, et la corruption ;

4- Le retard terrible dans la mise en œuvre des vraies réformes économiques, sociales, institutionnelles, etc. et pour cause, le choix bicéphale du pouvoir pour lequel nous avons opté pour gouverner le pays : une Assemblée nationale où le dialogue est grippé et un président avec des pouvoir très limités ;

5- La dégradation de l’enseignement, la dévalorisation du travail et le dénigrement des intellectuels : la médiocrité est devenue la norme, la futilité interpelle et intéresse beaucoup de Tunisiens… Créer le buzz sans mesurer les conséquences.

2. Pensez-vous que la démocratie demeure la véritable voie d’avenir et à quelles conditions ?

Je pense qu’il n’y a pas d’autres voies que la démocratie pour un avenir où la liberté de penser et son corollaire la liberté d’expression sont garanties.

Mais je pense aussi qu’une partie de ce que nous vivons aujourd’hui est une illusion de démocratie. Si nos institutions actuelles laissent penser que nous avons réussi à mettre en place une partie de la démocratie souhaitée, le processus pour y parvenir nous fait comprendre le contraire.

En d’autres termes, quand on voit que nous avons un parlement démocratiquement élu, on se dit voilà un des piliers de la démocratie ! mais quand on analyse le processus de décompte des voix des électeurs (les restes) qui est censé parvenir à faire occuper cette institution par de vrais représentants du peuple, on se rend compte de la défaillance de notre modèle démocratique.

Les mosaïques parlementaires que nous avons eues et que nous continuons à avoir sont à mon avis la preuve que nous vivons une démocratie « institutionnelle » où le peuple n’est pas convenablement représenté, contrairement aux fondamentaux de la démocratie.

Cinq conditions sont à mon avis nécessaires pour redresser notre démocratie :

1- Revoir le régime électoral et notamment les conditions d’accès au parlement pour assurer une vraie représentativité du peuple ;

2- Mettre en place des règles strictes sanctionnant l’agressivité morale, le blocage délibéré du dialogue, et la nuisance aux intérêts des autres (sit-in, grèves sauvages, acharnement médiatique, etc.) ;

3- Veiller à l’indépendance de la justice et de l’administration publique, une impartialité fondamentale pour que le Tunisien sente la préservation et la garantie de ses droits par l’État ;

4- Renforcer le contrôle des finances publiques et être très sévère contre tout abus ;

5- Repenser le «comment» de notre approche de traitement des questions économiques et sociales à travers peut-être la mise en place d’un conseil national économique et social.

3. Êtes-vous confiant pour les dix prochaines années ?

«Aimer, c’est forcément être optimiste et confiant». J’aime ma Tunisie et je veux la voir rayonner. 

La Tunisie est capable de briller comme elle l’a toujours fait depuis des siècles. On doit tout simplement admettre que chacun d’entre nous est naturellement différent de l’autre et, en même temps, croire fermement et de bonne foi que l’amour de la patrie nous unit tous pour y vivre en paix dans des conditions qui nous permettraient de donner le meilleur de nous-mêmes.

Tunisie, Dix ans et dans Dix ans
Ouvrage collectif sous la direction de Taoufik Habaieb
Editions Leaders, janvier 2021, 240 pages, 25 DT

www.leadersbooks.com.tn

Mohamed Derbel
Expert-comptable-Partner- BDO Tunisie

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