Opinions - 22.07.2011

Tunisie 2011 : la force du destin?

Les Tunisiens se posent la question de savoir si les évènements «post-révolution» qu’ils vivent depuis quelques mois déjà, dont la remise en cause de l’autorité sous toutes ses formes, sont générateurs d’inquiétude, ou bien, au contraire, porteurs d’espoir du fait de leur formidable désir de vaincre les difficultés du parcours.

Pour eux, y a-t-il lieu de jouer, d’ores et déjà, un «Requiem pour l’absente», ou au contraire de répéter «La Force du destin», annonciateur d’un triomphe final sur les écueils inhérents à un mouvement d’une ampleur sans précédent ?

Une révolution référence, un des premiers «coups de canif» dans l’économie mondialisée et une absence

Une révolution des forces de la jeunesse, de la technologie et de la parité

Nul ne peut contester le caractère exemplaire des évènements qui ont conduit la Tunisie à un changement politique pacifique.

C’est un mouvement devenu une référence, pour les autres pays arabes, entraînés dans des tourbillons similaires.

Une référence, en raison de son extraordinaire modernité, réunissant les forces de la jeunesse, de la technologie, et de la parité, des hommes et des femmes, de toutes les régions du pays et surtout de celles qui étaient les moins favorisées, et qui ont toutes eu une contribution également décisive.
Cette modernité s’est de plus déclinée dans l’union et non dans l’exclusion, puisque ce noyau dur initial a vite fait d’agréger à lui toutes les autres composantes du pays, dans un élan où l’esthétisme le dispute au tragique du solennel et du conscient.

La mondialisation : âge 30 ans et déja contestée

La révolution tunisienne a eu, entre autres vertus, celui de donner un écho aux critiques qui s’élèvent contre le nouveau paradigme économique et industriel né de la mondialisation, avec une chaîne de valeurs offrant une part trop belle au «duo» conception- prescription, et la portion congrue à la production.

Dans un petit livre fort instructif, «Trois leçons sur la société post-industrielle», l’économiste Daniel Cohen montre ce que nous savions déjà, que la mondialisation contemporaine ne crée pas des spécialisations par secteur, mais une désintégration de la production de bas en haut, et comment la chaîne de valeurs s’en trouve modifiée.

Il l’illustre par la structure du coût d’une paire de chaussures Nike, de 70$ aux USA, se répartissant à hauteur de 2,75$ pour le salarié qui les fabrique, 16$ pour la matière première, 16$ pour les dépenses de conception (recherche et développement, etc.) et 35$ pour les dépenses de prescription (faire en sorte que la chaussure s’installe au pied du consommateur, essentiellement les coûts de distribution).
2,75$ pour le salarié pour un coût total de 70$. Sans commentaire!

La Tunisie est l’exemple d’un pays desservi par la mondialisation, en raison de la faible valeur ajoutée de son tissu industriel et des choix quasiment imposés par les «IDE» d’une infrastructure côtière plus intéressante pour les exportations vers les pays du Nord.

Il n’est donc pas étonnant que le soulèvement du 14 janvier 2011 ait été initié par les régions du Centre, enclavées, délaissées, et écartées tout au long des dernières décennies du minimum d’infrastructures, nécessaires non pas seulement à leur développement, mais à leur survie.

Tout comme il n’est pas surprenant, que les troubles aient persisté plus longtemps dans ces contrées arides, sans attention, sans horizon et encore sans illusions.

L’absence post-Révolution

La Tunisie n’a hélas pas «capitalisé» dans la réussite du changement de régime, et a laissé passer une occasion unique, tout au moins dans le court terme, d’engranger les bénéfices que lui vaut son statut d’ «icône révolutionnaire».

Il manque à cette période «post-révolution», une présence de l’autorité, trop bafouée parce que chargée de tous les «péchés d’Abraham».
De plus, comment est-il possible que notre révolution, aux allures initiales si envoûtantes, se soit vite délestée de sa capacité à faire rêver ?

Parce que l’offre politique ne donne pas encore au citoyen une espérance, un horizon, et le laisse avec l’impression d’être seul face aux grandes difficultés du quotidien.

L’absence aujourd’hui, c’est celle d’un programme politique innovant, entraînant, qui tienne compte de la jeunesse de notre population et de son souhait de connaître un avenir meilleur qui la fédère et la transporte.

Actuellement, la situation est telle, et l’insécurité encore quotidienne, qu’il y a pour tout le monde une absence de perspective : sociétale, politique, économique.
Si le gouvernement est trop accaparé par «l’intendance», qu’il n’a pas privilégiée, mais qui lui est imposée, les autres composantes du pays n’offrent pas encore des idées fortes, pour rassurer et donner confiance en l’avenir, en lui dessinant un horizon.

La force du destin

Préserver la cohésion nationale

La situation actuelle du pays est si regrettable, si dommageable, qu’elle appelle un sursaut citoyen de toutes ses composantes.

D’autant que la Tunisie est confrontée à des incursions externes multinationales, qui ajoutent la confusion et la perversion à l’insécurité.

C’est aujourd’hui que la cohésion nationale doit s’affirmer au moment même où dans certaines villes le ciment tissulaire se délite par des confrontations d’un autre âge.
Forcer le destin ne peut se faire qu’à ce prix, celui d’une communion de toutes les composantes de la société.

De ce point de vue, l’effort pédagogique, véhiculé à bon escient par les médias, devrait être consolidé par un appel à ce qui fait le fondement de la citoyenneté: l’adhésion au devoir, précédant la revendication des droits.

Aide-toi, le ciel t’aidera

Notre gouvernement a présenté aux instances internationales une feuille de route pour les mois et années à venir, sollicitant pour sa mise en oeuvre une coopération renforcée.

Les organismes financiers et le G8, réuni récemment à Deauville, l’ont accueillie avec bienveillance, et des promesses sérieuses et chiffrées ont été faites à notre pays.

Néanmoins, les modalités de leur mise en oeuvre demeurent tributaires de l’effort de démocratisation et de redressement économique national.

La Tunisie devra vite démontrer qu’elle sera en mesure de réussir sa transition politique et économique, notamment par le remboursement de ses dettes aux échéances convenues, et éviter tout renchérissement supplémentaire de leur coût.

Forcer le respect

Ce qui a surtout affecté l’image de la Tunisie, auprès des organismes internationaux, c’est bien la découverte d’une grande liberté prise avec la gouvernance financière, et l’utilisation inappropriée des flux de capitaux en provenance de ces institutions.

Pour regagner le respect et la confiance de nos partenaires, nous devrons les conforter sur le temps court et le temps long.

Car si la médiatisation crée le besoin sur le temps court, la mondialisation, qui a encore, en dépit des attaques qu’elle subit, de beaux jours devant elle, a besoin de coopération sur la variante longue.
A titre d’exemple, les programmes politiques devraient présenter la Tunisie de 2015, mais aussi celle de 2030.

Celle des trois ou quatre prochaines années s’attellera, sur le plan économique, à donner un coup de fouet, l’actuel gouvernement travaille dans ce sens à l’investissement privé, atone par le passé, et au redéploiement géographique de nos infrastructures, en faveur des régions qui n’offrent pas la capacité d’accueil requise pour les porteurs de projets.

A l’horizon 2030, l’objectif sera d’exploiter à bon escient une triple richesse, encore, insuffisamment sollicitée : les actifs humains, le potentiel en énergies renouvelables, et la richesse du patrimoine culturel.

Et de ce fait, nous pourrions espérer qu’un jour prochain, nous serions exportateurs et consommateurs de nos propres services technologiques, qui seront à forte valeur ajoutée.

Nous pourrions rêver d’une Tunisie, partenaire actif de Desertec, projet pharaonique, qui sollicite notre richesse solaire et qui fera de ce pays un exportateur net d’énergies renouvelables.

Enfin, comment ne pas considérer que notre pays ne soit pas en mesure de faire basculer son «know how» touristique vers une variante haut de gamme et de «niches»?

Conclusion

Le gouvernement de transition, censé gérer en bon père de famille la marche habituelle du pays, et l’organisation de la transition démocratique, se trouve confronté, chaque jour, dans le temps réduit qui lui est imparti, à un problème nouveau, aussi inattendu qu’important.

Il ne pourra s’en sortir que si le citoyen, dans sa diversité, mesure la grandeur de ce qu’il pourrait faire aboutir, et dénonce avec compassion, pédagogie et sollicitude, l’attitude désespérée, ignorante et vaine de ceux qui ont choisi des chemins de traverse.

Notre optimisme tient au fait qu’à l’heure dite, la force du destin du Tunisien a toujours été présente.

Mourad Guellaty
 

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12 Commentaires
Les Commentaires
Bolze - 22-07-2011 14:37

Je trouve que votre éditorial est assez juste sur les enjeux et la nécessité du devoir de chacun avant de mettre en avant les seuls droits . Vous mettez bien aussi en exergue ce sentiment de solitude de chacun face aux défis et ce besoin de solidarité qui est au coeur du projet politique . S'agissant du gouvernement de transition , il faut reconnaitre qu'il n ' pas la tâche facile . En effet l 'effet bénéfique de la révolution s'estompe vite et ce gouvernement n 'a pas théoriquement la légitimité pour utiliser , transformer cet effet bénéfique en projet politique . Mais il est placé dans un paradoxe difficile : Gérer les affaires courantes et risquer de gâcher les atouts de la révolution ; ou bien exprimer une vision politique et esquisser un projet pour le pays pour les 15 ans qui viennent au rique de se voir contester cette mission . Pour ma part il me semble qu'il n 'as pas le choix . La deuxième voie s 'impose . Seul ce gouvernement peut coordonner , rassembler , synthétiser toutes les idées , les initiatives qui se font jour . Il n 'y a actuellement aucune autre force dans le pays capable de le faire . Les 86 partis créés ne sont en tout cas pas qualifier pour le faire . Confrontés à leur survie et leur existence ils ne peuvent n l 'état avoir le recul pour construire un projet pour le pays et qui plus est être capable de le mettre en oeuvre. Un gouvernement provisoire a quelque part une indépendance , un recul même qui le rend plus impartial , moins contraint par les exigences électorales et politicienne . On peut être frappé dans l 'histoire du monde du nombre de situations provisoires ou intermédiaires qui ont véritablement été des moteurs effectifs de la transformation d' un pays . Citons Truman , De Gaulle , Jean XXIII, Saladin , Je crois donc fermement que cet solidarité cet élan national peut et doit venir de ce gouvernement provisoire dont la mission est fondatrice et non transitoire . Lui seul peut réunir , lui seul peut remobiliser , lui seul peut garantir aujourd'hui son indépendance à la justice , lui seul peut permette de faire émerger des forces politiques crédibles . C est une tâche magnifique dont il n 'a pas le droit de se détourner même si officiellement ce n'est pas sa mission. Cela doit être compris et encouragé .

zakaria bouker - 22-07-2011 16:19

D'emblée je classe ce genre de texte dans la médiocrité. parce que épidermique et sans épaisseur. Passe encore la forme provocatrice en parlant des tunisiens à la troisième personne au lieu de "nous " ce qui revele au passage une distance qui dénote d'une suffisance pas très recommandé par ces temps, le fond ramène a des concepts comment dire ..un peu dans le vent. Évoquer Daniel Cohen , déjà qu'il rame après les évènements chez lui, n'apporte aucun éclairage. oui la mondialisation casse les prix mais la part du travail baisse partout c'est un mouvement général esquissé depuis la révolution agraire en passant par les 3 révoltions suivantes. et alors ? non je crois que notre salut tiendra en deux mots ....gouvernance normale ...ni plus ni moins les pays qui ont réussi n'ont pas fait autre chose

mahfoudh Barouni - 23-07-2011 19:08

Si Mourad, bravo, j'adhère tout à fait à vos analyses et conclusion.

arfa - 24-07-2011 08:57

M.Guellati a tout a fait raison ce qu'il a dit et écrit doit étre pris en compte par chacun de nous tunisiens les partis doivent le diffuser avant chaque présentation de leur programme c'est la vérité claire et nette aucun tunisien aucun parti ne peut réussir tout seul ou à lui seul céest une barque espérons qu'elle remémorera celle de sidna NOUH.

Bettaieb Ali - 24-07-2011 13:44

La force de cette opinon, d'une qualité remarquable, est d'inscrire les évènements que nous vivons dans le temps, et dans l'espace mouvant des événements géopolitiques planétaires.. Chapeau Monsieur Guellaty

douss - 24-07-2011 19:16

Mourad Guellati devrait écrire plus souvent et développer davantage chaque idée ébauchée dans cet article, surtout, ce qui touche à nos perspectives d'avenir, nos responsabilités au présent, etc

Bettaieb Ali - 24-07-2011 20:26

Je renvoie à nouveau ce commentaire que je n'ai pas vu paraître, car je voudrais insister, pour une fois que nous avons une tribune optimiste qui fait appel à l'esprit de citoyen, sur la profondeur du contenu. Il analyse les faits que nous vivons dans leur contexte géopolitique, de la mondialisation et des renversements géostratégiques et définit la place centrale que nous devons tout mettre en oeuvre pour loccuper, au confluent de civilisations multiples. Chapeau l'artiste!.Ali Bettaieb

Hubert Margosleon - 25-07-2011 15:32

Mourad Guellaty, dont les talents d'expert en comptabilité, finance et économie, sont appréciés de tous, dans l'espace francophone, , se livre dans ce papier, à mon avis un peu court pour sa réthorique fertile, à une démonstration implacable de la démarche à suivre par la Tunisie, pour se sortir du guépier des obstacles qu'on se crée soit même et pour créer les conditions du renouveau tellement attendu à travers le monde.Hubert Margosleon

mokaddem - 26-07-2011 13:47

BEAUCOUP DE BLA BLA CHEZ LES TUNISIENS ET PAS ASSEZ DE TRAVAIL IL Y A 3 PRIORITÉS EN TUNISIE 1 LA SÉCURITÉ 2 LE CHÔMAGE 3 LE PÉRIL INTÉGRISTE

Younes Khaled - 26-07-2011 20:42

Comment ne pas être d'accord avec une telle analyse? Que dieu vous écoute et que les tunisiens vous lisent attentivement, et s'imprégnent de la lucidité de votre écrit; Younes kHALED ( Lyon)

Nabila Baati - 27-07-2011 00:56

Merci M; Gallaty pour cet article intéressant basé sur une analyse profonde de la situation qui prévaut maintenant en Tunisie et qui dénote beaucoup de sagesse et de maturité. En effet, la Tunisie a aujourd'hui besoin d'un programme de développement économique et social cohérent et capable de fédérer un certain nombre de partis présents sur la scène politique. Ce programme comprendra des mesures de moyen et long termes mais aussi des mesures immédiates apportant des réponses et des solutions aux problèmes urgents qui sont à l'origine de la révolution que nous venons de vivre, à savoir le chômage, l’extrême pauvreté et le déséquilibre entre les différentes régions du pays résultant essentiellement d'une mauvaise gouvernance et d'une répartition très inégalitaire des ressources et des richesses créées.

souf moufid - 30-07-2011 15:11

Je découvre ds cette article si Mourad Guellaty le politicien qui anticipe les choses .En plus de ses qualités d'experts en économie et finance Si Mourad donne une feuille de route et des récommendations pour les gouvernants de la future Tunisie.Une industrie à faible valeur ajoutée ne peut pas faire de la Tunisie un pays émergent. La crédibilité de nos institutions bancaires après la découverte des créances douteuses ne peut pas rassurer les institutions financières internationales(La Tunisie ne doit pas être une république bananiéres mais un état de droit ).Le prochain gouvernement doit se mettre au travail loin des querelles partisanes pour gagner la confiance des institutions internationales et faire tourner la machine de l'économie Tunisienne.

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