News - 10.11.2023

Abdelaziz Kacem: Lettre ouverte à Monsieur Emmanuel Macron, président de la République française

Abdelaziz Kacem: Lettre ouverte à Monsieur Emmanuel Macron, président de la République française

Monsieur le Président,

1. La France soutient l’insoutenable. Qui l’eût cru?

M’appuyant sur ma consistante contribution à la francophonie, à travers une longue carrière d’enseignant, d’homme des médias et d’écrivain honoré par l’Académie française; me référant à mon engagement pour le dialogue des cultures, à mon long et périlleux combat pour la laïcité; bien adossé à une solide formation universitaire en Sorbonne, je vous écris. Cet étalage peut paraître prétentieux, mais il m’autorise à vous dire que vos faits et vos dits relativement au génocide perpétré contre le peuple palestinien sont peu conformes à l’idée de ce que nous nous faisions de la France, de ce que la France se faisait d’elle-même.

La France, nous dit Jean Giraudoux, «a été créée, elle s’est créée pour déjouer dans le monde les complots des rôles établis, des systèmes éternels. Elle est la justice, mais dans la mesure où la justice consiste à empêcher d’avoir raison ceux qui ont toujours raison, trop longtemps […] La mission de la France est remplie si le soir, en se couchant, tout bourgeois consolidé, tout pasteur prospère, tout tyran accepté se dit en ramenant son drap: tout n’irait pas trop mal, mais il y a cette sacrée France, car tu imagines la contrepartie de ce monologue dans le lit de l’exilé, du poète et de l’opprimé»(1).

Monsieur le Président,

2. L’exilé, le poète et l’opprimé se posent de brûlantes questions

De quelle hystérie collective la France est-elle atteinte? De quel délire paranoïaque s’agitent ses plateaux de TV ? De quel virage antidémocratique, en dépit de l’opposition du Conseil d’État, votre ministre de l’Intérieur lâche sa police contre tout manifestant pacifique dénonçant l’extermination en cours de tout un peuple.

Votre appui inconditionnel à une puissance occupante, qui continue de faire fi de toutes les résolutions onusiennes, choque les amis de la France dont nous sommes. Votre ministre des Armées, M. Sébastien Lecornu, déclare que la France ne se joint pas à des opérations militaires. Elle se contente d’apporter "du renseignement" à Israël. Autrement dit, les Palestiniens et les parties qui défendent leur droit à la vie et à la liberté sont surveillés et espionnés par vos Services, au profit du pire gouvernement qu’Israël ait jamais eu depuis 75 ans et qui est depuis longtemps décrié par les libéraux parmi les juifs de l’intérieur et de l’extérieur.

L’actuel gouvernement Netanyahu rassemble toute l’extrême droite, les ultras religieux appliquant à la lettre les injonctions inhumaines du Talmud et du Deutéronome 20 et en sont aujourd’hui à la solution finale. Je pèse mes mots : l’holocauste change de cible. Itamar Ben Gvir, ministre de la police israélienne, menace de transformer les prisons, où croupissent aujourd’hui 10 000 détenus dont des centaines de femmes et de mineurs, en rétention administrative pour la plupart. La rétention administrative, ce déni de justice qui fait la singularité de la démocratie israélienne. Yoav Galant, ministre israélien de la Guerre, déclare : «Nous combattons les animaux humains et nous agissons en conséquence». Ces propos racistes ne vous rappellent-ils pas un discours similaire et annonciateur de l’effroyable dans les années 1939-1945?

Monsieur le Président,

3. La France est en train de nous perdre

Mieux qu’aucun autre service au monde, le Renseignement français sait les crimes perpétrés, 56 ans durant, par l’armée israélienne contre la population des territoires occupés, à Gaza et en Cisjordanie, il sait le grignotage incessant de ces territoires censés accueillir le futur État palestinien, conformément à la résolution 242 du Conseil de sécurité et aux accords d’Oslo. Vos services savent que Daech est la création de M. Barack Hussein Obama, que le Hamas a été parrainé par Israël pour détruire l’OLP, que les Frères musulmans ont été élevés,  nourris et lancés par l’Angleterre contre le Wafd, Nasser et toutes les prémices laïcistes dans toute l’arabité.

Une vidéo a circulé, montrant un Netanyahu avenant et empathique, au chevet de grands blessés de Daech et d’al-Qaïda exfiltrés de Syrie vers les hôpitaux d’Israël. L’avez-vous vue?  

Jean-Luc Mélenchon, aujourd’hui menacé de mort, livré aux chiens et à une beuglante des temps décadents, vous ne l’aimez pas, mais souffrez, je vous en supplie, que je vous le cite:
«La France joue, face au monde, jusqu’à son identité de nation laïque. Et dans le bassin méditerranéen dont elle est riveraine, elle s’aliène des millions de francophones que ce comportement menace et dégoûte. Tous ont compris que la théorie du «grand remplacement » est du pur jus ethniciste dont se nourrissent les amis du ‘’choc des civilisations’’» (Blog Jean-Luc Mélenchon).

Je confirme : nous autres, francophones du Maghreb et du Machrek, CE COMPORTEMENT NOUS MENACE ET DÉGOUTE. Le parti des francophobes, qui voit gonfler ses effectifs dans notre région, nous somme de quitter la Francophonie. Aidez-nous à ne pas céder à la pression.

Bourguiba, cofondateur de la Francophonie, a été le premier Arabe à avoir demandé aux Palestiniens d’accepter, conformément à la légalité internationale, la formule des deux États. Ils s’y sont conformés. La même clique, aujourd’hui, au pouvoir, a assassiné Yitzhak Rabin et empoisonné à l’uranium Yasser Arafat. Les héritiers de Bourguiba, dont je suis, vous demandent instamment de restituer à la France son rôle d’arbitre et de régulateur.

Monsieur le Président,

4. La deuxième mort des grands

Moi qui ai largement commenté votre remarquable discours, prononcé naguère aux Mureaux, sur le séparatisme, moi qui, lors de votre visite en Tunisie, vous ai souhaité la bienvenue en vous confiant quelques-unes de nos espérances (Cf. La Presse du 29 janvier 2018), je vous avoue qu’en vous écoutant justifier le blocus inhumain de Gaza, les attaques préméditées contre les ambulances, les engins de la Protection civile, le massacre d’enfants, de nourrissons, de femmes, de vieillards, il m’a semblé assister à la deuxième mort du général de Gaulle, de Pompidou, de Giscard d’Estaing, de Mitterrand et de Chirac.

Le mercredi 20 février 2019, lors de votre participation au dîner du CRIF, vous avez annoncé votre intention d’intégrer «l’antisionisme à la définition juridique de l’antisémitisme». De nombreux juifs libéraux ont critiqué ce cadeau d’allégeance à Netanyahu et je ne sais quelle torpeur du cœur et de l’esprit nous avait empêchés de mettre le holà à ce dérapage implicitement antipalestinien.

Monsieur le Président,

5. Les masques tombent

À vous entendre qualifier de simples «opérations de défense» une guerre formellement annoncée par l’axe israélo-américain, votre litote nous a fait très mal. Lorsque les différents présidents américains traitaient les résistants palestiniens de terroristes, nous étions nombreux, chez nous et en France, à leur dire «Arrêtez votre délire ignare, la sémantique n’est pas de votre ressort». Or voilà que le président français reprend la terminologie à son compte, au détriment de ce sens de la nuance propre à la seule langue française.

Laissez-moi vous citer une éminente personnalité tunisienne. L’ancien ministre des Affaires étrangères, Ahmed Ounaïes, est un diplomate raffiné, grand expert en politique internationale et défenseur à toute épreuve de la légalité internationale. Il a toujours prôné le développement de la coopération inter-méditerranéenne. Aucune maldonne occidentale n’a pu ébranler ses convictions. Il a même été acculé à la démission de son portefeuille ministériel, pour avoir âprement défendu les relations tuniso-françaises, au plus fort de cette kermesse prétendument révolutionnaire que fut le printemps dit arabe. Face à l’horrible réalité du jour, il jette l’éponge. Je sais le drame qui se joue aux tréfonds de cet homme de dialogue, pétri de culture occidentale. Abasourdi, il laisse de côté ses gants accoutumés, et tance vertement le Vieux Continent, au nom d’un Sud exaspéré (Cf. article «Les lâches», dans Leaders du 8 octobre):

«Vous avez, certes, écrit-il, la capacité matérielle de détruire. Nous ne nous résignons pas à la loi de la force. Vous savez que vous êtes incapables de détruire en nos âmes l’amour de la liberté ni le sens de la dignité. Le Sud vous a déjà fait savoir qu’il a cessé d’admettre l’hypocrisie. Vous n’êtes pas dignes d’être nos partenaires. Le 7 octobre, vous avez fini par tomber le masque.»

Ahmed Ounaïes rappelle aussi dans son article que «le ministre des Affaires étrangères du Luxembourg, Jean Asselborn, déclarait au quotidien allemand Süddeutsche Zeitung, daté du 17 janvier 2018, que les pays membres de l’Union européenne devaient accomplir ce pas [la reconnaissance de l’Etat palestinien]», ajoutant que «le Luxembourg n’était pas seul dans cette disposition, étant assuré de l’accord de la Belgique, de l’Irlande et de la Slovénie, pourvu que la France ouvre la voie. Dès lors, la dérobade confine au déni.»

Monsieur le Président,

6. La France, boussole du monde

Seul le positionnement de la France nous intéresse. Nous savons et le regrettons que l’Oncle Sam n’a rien perdu de ses réflexes impérialistes et belliqueux ; nous savons à quoi nous en tenir relativement au Royaume-Uni, par qui sont arrivés tous les malheurs de l’Orient, en général, et de la Palestine, en particulier ; nous savons que l’Allemagne, parce que condamnée à mille ans de repentir, est obligée de tremper ses mains dans le sang des enfants de Gaza, en y envoyant ses drones meurtriers; nous savons que l’Italie post-Craxi, post- Andreotti cherchait une occasion pour professer son allégeance. Rome, comblée, projette l’étoile de David sur un monument datant de sa glorieuse antiquité : l’Arc de Titus, non loin du Colisée. Les Arabes s’attendent à tout cela et ne s’en étonnent guère. Mais à voir la Tour Eiffel illuminée aux couleurs israéliennes, ils n’en reviennent pas. Jusqu’au matin du 7 octobre, la France était la boussole du monde.

Monsieur le Président,

7. L’intégrisme se frotte les mains

La FRANCOPHONIE, cet autre hellénisme auquel nous avons adhéré, est en train de s’effilocher en Afrique et au Maghreb. Une aubaine pour l’intégrisme. Il se frotte déjà les mains. «Il n’y a pas de marche en avant plus difficile que le retour à la raison», écrivait Bertolt Brecht. Nous espérons encore en un énergique sursaut de la France gaullienne. Les néoconservateurs américains avaient naïvement cru qu’en poussant les régimes arabes à la «normalisation», Israël parviendrait à liquider la cause palestinienne, au sens mafieux du terme. Cinq pays arabes ont «normalisé». Leurs populations respectives ne les ont point suivis.

Monsieur le Président,

8. Une voix d’outre-tombe

En guise de conclusion, je citerai quelques vers de Mahmoud Darwich, avant que M. Gérald Darmanin n’interdise aux libraires et aux bibliothèques françaises de véhiculer son œuvre:

La terre nous est étroite.

Elle nous accule dans le dernier défilé et nous nous dévêtons de nos membres pour passer.

[…]Ici nous mourrons. Ici, dans le dernier défilé.

Ici ou ici, et un olivier montera de notre sang(2).

Abdelaziz Kacem

(1) J. Giraudoux, L’Impromptu de Paris, dans Théâtre, p. 723.

(2) Mahmoud Darwich, La terre nous est étroite, Poésie/Gallimard, 2000, p. 215.

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