News - 06.03.2018

Taoufik Habaieb: Retour au Koweït... pour la reconstruction de l’Irak

Taoufik Habaieb: Retour au Koweït... pour la reconstruction de l’Irak

Koweït City - De l’envoyé spécial de Leaders, Taoufik Habaieb - Après vingt-sept ans et demi, je suis revenu, mi-février dernier, pour la première fois au Koweït. Je l’avais quitté en juillet 1990, quelques jours seulement avant son invasion, le 2 août 1990, par Saddam Hussein. Conseiller à l’ambassade de Tunisie en tant que représentant de l’Agence tunisienne de coopération technique, j’avais en charge plus de 600 coopérants affectés auprès des ministères de la Santé, de l’Education, de l’Enseignement supérieur, de l’Electricité, des Télécoms et autres. Pris de court par les évènements, je ne pouvais qu’assister stoïquement depuis Tunis à l’occupation de ma résidence, l’usurpation de ma voiture, des meubles, de l’électroménager, des vêtements et jouets de mes enfants, puis la fermeture provisoire de notre ambassade, participant au comité de crise chargé d’organiser le rapatriement de nos compatriotes.

Pour mon épouse, mes deux enfants et moi-même, l’épreuve est restée marquante. Tant de fois, nous voulions, tout au long de ces dernières années, retourner au Koweït, retrouver nos amis, revoir ce qu’est devenue notre maison à Al Jabria. Malgré tant de voyages dans les pays du Golfe, l’occasion ne s’était pas présentée jusqu’à ce que je sois invité à m’y rendre pour couvrir un évènement hautement symbolique: la conférence internationale du Koweït pour la reconstruction de l’Irak. Curieux destin: je croyais rêver. Personnellement victime de l’invasion, me voilà témoin d’un grand élan de solidarité pour reconstruire l’Irak!

Un devoir à accomplir

«Il faut faire la part des choses, me rectifie immédiatement un officiel koweïtien qui m’accueille à mon arrivée à l’aéroport. Saddam est une chose, l’Irak et les Irakiens en sont une autre !» La distinction s’avèrera de taille. «Nous avons toujours été solidaires de nos frères et voisins irakiens, poursuivra-t-il sur un ton sincère. La stabilité de l’Irak, sa sécurité sont aussi les nôtres et de toute la région.»

L’Emir du Koweït réussira une forte mobilisation internationale pour sa conférence: pas moins de 75 pays et institutions financières, 70 ONG et 1 850 hommes d’affaires se retrouveront au Koweït du 12 au 14 février. Le secrétaire général de l’ONU, le président de la Banque mondiale, la chef de diplomatie de l’Union européenne entourent, au podium du palais Bayane, l’Emir du pays et le chef du gouvernement irakien.

Les pays membres de la Coalition internationale contre l’organisation de l’Etat islamique (Daech) s’y donnent également rendez-vous. Les ministres des Affaires étrangères des Etats-Unis, de la France, de Turquie, du Royaume-Uni, des pays du Golfe et d’autres contrées conduisent des délégations fournies de haut niveau. La thématique est commune aux deux rassemblements: éradiquer Daech, restaurer la sécurité et faire reprendre la vie normale en Irak. 

"Finish the job and restart"

Rex Tillerson, chef de la diplomatie américaine, l’expliquera clairement: «Plus de 98% du territoire irakien jadis occupés par l’EI sont aujourd’hui libérés, dira-t-il en substance. Nous devons poursuivre nos efforts jusqu’à la reprise totale de l’ensemble des quelques enclaves qui restent. Avec la même détermination et la même mobilisation internationale, nous devons agir sur les sources qui avaient favorisé l’éclosion de Daech et son implantation, c’est-à-dire assécher ses sources de financement, faire cesser sa propagande, contrecarrer son discours embrigadant, haineux et violent et l’empêcher d’aller s’étendre en Afghanistan, en Libye et dans les pays subsahariens».

D’un autre côté, poursuivra-t-il, il faut reconstruire l’Irak, c’est-à-dire assurer le retour des populations émigrées, rouvrir écoles, hôpitaux et bureaux de services publics, et reprendre la distribution d’eau et d’électricité partout. Il faut faire retrouver la vie normale.

Le secrétaire d’Etat américain ne manquera pas cependant d’adresser une mise en garde: «Si nous ne faisons pas tout l’effort nécessaire, nous risquons d’être surpris par un retour de l’EI ». Le message est reçu 5/5.

Une première moisson au-delà des espérances Les chantiers prioritaires de la reconstruction ont été identifiés par le gouvernement irakien. La Banque mondiale, le Pnud et l’Union européenne, mais aussi le Fonds koweïtien de développement  ont apporté leur assistance pour le ficelage des dossiers. Les besoins financiers seraient de l’ordre de 85 milliards de dollars. Riche en hydrocarbures, l’Irak ne manque pas de moyens financiers, mais a besoin d’amorce. C’est ce que la communauté internationale doit lui fournir.

Les annonces n’ont pas tardé: le Koweït s’est engagé à fournir une première enveloppe de 1 milliard de dollars, suivi en cela par le Qatar et de nombreux autres pays. De son côté, la Banque mondiale a consenti un crédit de 510 millions de dollars pour des projets d’adduction d’eau et de création d’emplois. La société civile koweïtienne a mis elle aussi la main à la poche pour offrir une série de dons à leurs homologues irakiennes. La moisson a dépassé les prévisions. Escomptant recueillir 10 milliards de dollars juste lors de cette conférence, l’Irak a vu ses espérances tripler, obtenant pas moins de 30 milliards.

Transparence, gouvernance

«L’essentiel, c’est que ces projets profitent à toutes les régions, aux populations de toutes les origines et confessions, sans la moindre distinction, et s’étendent à tous les secteurs», a martelé Frederica Mogherini, haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Se voulant rassurant, le chef du gouvernement irakien, Hayder Al Abadi, a affirmé que tous les financements mobilisés seront utilisés à bon escient et bénéficieront à leurs destinataires effectifs. Il a indiqué que des règles de bonne gouvernance seront appliquées dans la mise en œuvre de la nouvelle stratégie, avec une attention particulière à la lutte contre la malversation, que la législation sur l’investissement est en cours de révision, tout comme celle relative au partenariat public-privé.

L’écho des diwaniyas

Dans les diwaniyas du Koweït, ces salons ouverts par les familles à tout visiteur sans besoin d’y être invité, véritable institution sociale dans le pays et espace de libre parole, les langues se délient et les informations s’échangent. A chacun son jour de la semaine, ses horaires, tôt le matin ou en fin d’après-midi, ses attractions et ses stars. Les discussions s’y poursuivent intensément. «Ce n’est pas la première action que le Koweït entreprend en faveur de l’Irak, souligne Boum’hammed, respectable commerçant septuagénaire. Cela procède de nos valeurs d’entraide et de solidarité avec nos frères dans le besoin. Nous l’avons également fait pour le Yémen, la Somalie, la Syrie et bien d’autres pays. Nous le ferons dès la libération du territoire syrien de Daech, et là où nous pouvons porter secours. Mais, tout reste discret, c’est notre tradition.»

L’humanitaire en valeur majeure

La bienfaisance et l’humanitaire restent ancrés dans l’âme du Koweïtien, du simple citoyen à l’Emir du pays. Pour s’acquitter de leur zakat, les familles s’organisent en fondations qui financent des œuvres sociales et éducatives dans de nombreux pays. Les montants offerts sont fabuleux, à la hauteur des revenus récoltés. Les Koweïtiens font leurs choix des bénéficiaires selon des projets bien ficelés, des salles de classe, des dispensaires, des logements ruraux, des mosquées, des bourses d’études, des dots de mariage, du pécule pour lancer une petite affaire, des crédits impayés ayant conduit leurs auteurs en prison, et autres. Ce premier choix thématique est croisé avec celui des pays, voire des régions bénéficiaires.

La générosité discrète du cheikh Sabah al-Ahmed al-Jaber al-Sabah lui a valu le titre de «leader de l’Humanitaire» qui lui a été décerné par l’ONU et célébré par son secrétaire général, Antonio Guterres, dans son discours à la conférence.

Tout change, sauf...

Au Koweït, la population a dépassé, en 2017, les 4 millions d’habitants dont 1,270 million de Koweïtiens. La vie ne s’y arrête pas la nuit. Au souk populaire d’Al Mbarkia comme dans les centres commerciaux et les grands malls (The Avenues...), et un peu partout, cafés, restaurants, boutiques et espaces de jeux pour enfants restent ouverts jusque tard dans la soirée. Sur la corniche, tout près des célèbres abrajs, familles et enfants viennent profiter du beau temps printanier. Les larges avenues, qu’enjambent des ponts parfois à deux étages, sont bondées jour et nuit. Les grands axes avec ces radiales coupées par des ceintures circulaires (rings) ont bénéficié d’un coup de rénovation. Les quartiers résidentiels, jadis limités à des zones huppées, se multiplient alors que de nouvelles tours s’élèvent à des étages de plus en plus hauts.

Après 27 ans et demi d’absence, il ne m’était pas facile de retrouver rapidement mes repères. L’urbanisme a beaucoup évolué. Mais, l’âme du Koweït est restée la même. Les parfums (al oud, etc.), l’hospitalité, les mets, les rituels sociaux, la courtoisie et les bonnes manières font remonter de vieux souvenirs. Les temps ont bien changé. Les crises laissent des stigmates. Mais, le Koweït reste pour ceux qui y ont vécu, ne serait-ce que quelques années, le Koweït qu’on aime.

Taoufik Habaieb

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1 Commentaire
Les Commentaires
Memmi Youssef - 06-03-2018 17:23

Merci à son auteur pour ce bon témoignage concernant le Koweit.

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