Opinions - 04.07.2014

Les mystères de l'affaire des trois adolescents israéliens

Dans toute enquête, l’adage policier veut que les limiers cherchent d’abord à qui profite le crime.
Dans le cas de l’enlèvement, le 12 juin 2014, des trois élèves d’une école religieuse juive de la colonie de GushEtzion, en Cisjordanie, il s’agit là de pain béni pour le gouvernement de Netanyahou. Cette formation d’extrémistes et de fanatiques – qui ne reconnaît pas les accords d’Oslo- est composée essentiellement de ministres qui s’opposent non seulement à la solution des deux Etats mais aussi à toute négociation avec les Palestiniens. L’unification,en avril dernier, des formations palestiniennes – dont le Hamas qui consentait à avaliser les accords passés- pour former un gouvernement de technocrates ne pouvait que leur faire mal, très mal ; d’autant que celle-ci a été  acclamée tant par le Président Obama que par l’Union Européenne. Car comment chanter, après cette unification, la ritournelle  habituelle  des sionistes: «il n’y a pas de partenaires pour la paix»?

Il fallait à tout prix casser cet accord pour poursuivre une politique basée sur la colonisation, la construction du Mur de l’apartheid et détruire tout espoir de paix pour le plus grand bénéfice des faucons israéliens.
L’enlèvement de ces trois adolescents ne pouvait donc mieux tomber. On notera que ce kidnapping a eu lieu dans une zone entièrement sous le contrôle des autorités israéliennes et où le Shin Beth (Renseignement intérieur israélien) est omniprésent. Pour le gouvernement israélien, l’enlèvement est pourtant l’œuvre du Hamas. En dépit du fait que personne n’en a revendiqué la paternité! Les Nations Unies ont demandé à Netanyahou des preuves mais il n’a pas été en mesure d’en fournir.

Ce qui n’a pas empêché la machine à punition collective israélienne de kidnapper et d’assiéger 4 millions de Palestiniens, pourtant déjà sous la férule de l’occupant qui a passé au peigne fin des maisons, fouillant et saccageant les foyers et les institutions (écoles, associations, clubs…), entrant en trombe en pleine nuit chez les gens en utilisant les bombes assourdissantes, blessant et tuant à l’aveugle. 570 Palestiniens ont été jetés en prison à cette occasion - dont Samer Issawi qui a enduré 266 jours de grève de la faim pour protester contre son embastillement administratif- sans le moindre motif. Au moins douze  Palestiniensont été tués dont  trois enfants, une femme enceinte et un handicapé mental, tiré comme un lapin alors qu’il se rendait à la mosquée. L’armée de l’air israélienne a bombardé sans relâche Gaza, détruisant les maisons et effectuant des exécutions extrajudiciaires dans le silence assourdissant des consciences occidentales. Est-ce parce que Netanyahou affirme que ceux qui ont tué ces trois jeunes sont des «animaux à forme humaine»? Ignoble déshumanisation de l’Autre qui annonce plus de barbarie de la part d’Israël.

A cette politique officielle de bandit conduite par les militaires de l’Etat d’Israël, il faut ajouter les violences perpétrées par ces colons venant de France et de New York -pour la plupart-qui imposent «le prix à payer» (Tag mehir en hébreu) aux Palestiniens en profanant les lieux de culte et les cimetières, en brûlant les oliveraies et en s’en prenant aux écoliers. Il s’agit généralement des étudiants de la yeshiva (école talmudique) OdYosef Chai à Yitzhar, une colonie au sud de Naplouse, située sur les terres spoliées à leurs propriétaires palestiniens du village d’el Khader! Ce sont probablement des excités de cet acabit qui ont tué Mohammed Abu Khudaïr, âgé de 16 ans, à Jérusalem-Est le 1er juillet. 

Compassion pour les uns, silence pour les autres

Lorsque les corps des malheureuses victimes ont été trouvés à Halhoul, près de Hébron,  le 30 juin, il y a eu un déluge  de condamnations et de condoléances, le Président Obama se mettant à la place des parents des victimes et affirmant: «Les Etats Unis condamnent  avec les termes les plus forts possibles cet acte de terreur insensé contre de jeunes innocents.» M. François Hollande a «condamné fermement ce lâche assassinat.» Quand il s’agit de la mort d’enfants palestiniens, le président français, n’a qu’un mot à la bouche: «la retenue». Bien que des centaines d’enfants palestiniens soient kidnappés, brutalisés ou tués par l’armée israélienne – dont plusieurs au cours des derniers jours- on n’observe guère de telles manifestations de compassion. Quelques jours avant l’enlèvement des trois jeunes Israéliens, l’assassinat de sang froid de deux jeunes Palestiniens par des soldats de Tsahal a été enregistré par une caméra de surveillance et les balles ont été récupérées par CNN qui a filmé le tireur d’élite en pleine action. Nul n’a condamné ce meurtre, nul n’a eu une pensée pour les parents, nul n’a rappelé les souffrances de ces 250 enfants palestiniens tirés de leur lit la nuit pour être jetés, les yeux bandés, dans une prison de la seule «démocratie» du Moyen-Orient. Pour ne rien dire du siège inhumain des Gazaouis qui ont subi trente raids aériens le 1er juillet!

On assiste plutôt à quelque chose qui rappelle les lynchages sudistes de Noirs aux Etats Unis. Le Ministre de l’Economie Naftali Bennett incite clairement aux ratonnades quand il déclare: «Pas de pitié pour les tueurs d’enfants! C’est le moment pour passer à l’action et pas aux mots.» L’écrivaine et défenseure des droits de l’homme américano-palestinienne Susan Abulhawa affirme dans le quotidien de Delhi The Hindu que l’un des trois adolescents assassinés a commis des exactions vis-à-vis de ses voisins palestiniens et ajoute, se référant aux déclarations de Rachel Frankel, la mère de cette victime- qui est allée aux Nations Unies pour attirer l’attention sur  son fils-: «La vie du Palestinien est bon marché et jetable, mais la vie d’un juif est sacro-sainte.»Susan Abulhawa ajoute que le grand rabbin d’Hébron et de Kiryat Arba, DovLior, est l’auteur d’un édit qui dit : «Un millier de vies de non-juifs  ne valent pas l’ongle d’un juif.»

La Palestine, une société kidnappée?

Avraham Burg, ancien président de la Knesset (Parlement israélien) et président de l’Agence Juive déplore dans ses écrits le fait qu’Israël, plus de soixante ans après les fours crématoires d’Auschwitz, définit son identité presqu’exclusivement par rapport à l’Holocauste. Il est un critique du virage nationaliste et ethnique qu’a pris Israël ces derniers temps. C’est un opposant convaincu «des nouvelles théories raciales juives» des extrémistes religieux – comme d’autres intellectuels d’ailleurs tel l’historien Shlomo Sand. Il est enfin opposé à l’usage de la force et de la violence militaires.

Avraham Burg a réagi à l’enlèvement des trois jeunes Israéliens dès le 18 juin dans un article intitulé « Les Palestiniens : une société kidnappée »dans le quotidien Haaretz. Pour lui cependant, «ces adolescents sont malheureux à cause du mensonge dans lequel ils ont vécu leur vie- une vie supposée normale mais qui a été bâtie sur les fondations de l’Occupation, la plus grande des injustices commises par Israël.»
A qui imputer la responsabilité de cette tragique situation?

Pour Burg, il y a d’abord «ce premier Ministre superficiel» mais aussi  «cette police empotée et ses masses qui s’adonnent à de futiles prières et ne s’accordent pas un moment en faveur de la paix humaine. Il y a aussi les rabbins hypocrites du pays qui, il y a juste un mois, demandaient au pape des garanties pour l’avenir du peuple juif et qui, dans la pratique quotidienne, gardent le  silence sur le sort du peuple qui est notre voisin, peuple qui est piétiné sous la pression de l’occupation et du racisme,  sous la conduite de rabbins qui touchent des salaires exorbitants et jouissent de privilèges énormes.»

Burg revient sur «la vacuité de ce Premier Ministre…qui a conduit toutes les négociations israélo-palestiniennes dans l’impasse,butant sur la question de la libération des prisonniers. C’est cet homme - de son propre aveu- qui a violé l’engagement d’Israël à libérer le dernier groupe de prisonniers palestiniens et a ainsi poussé l’Autorité Palestinienne dans l’impasse de l’unification avec le Hamas.» et Burg de poursuivre: «De quoi se plaint-il au juste, avec ses commentaires et ses postures dramatiques et à l’eau de rose? Sa réponse immédiate, conditionnée et inconsidérée, prouve qu’il ne faisait qu’attendre ce moment pour dire « Je vous l’avais bien dit»»

Difficile d’être plus clair quant aux responsabilités de Netanyahou!

L’ancien président de la Knesset critique la gauche israélienne, «bouche bée comme la carpe farcie du repas de Pâque sur la table d’une droite gloutonne.» Il fustige la société israélienne plus intéressée par la Coupe du monde de football et par les scandales politiques et dont «l’isolation des cœurs» est patente. Bien sûr, dit Burg, « ils [les Palestiniens] ont distribué des bonbons en apprenant l’enlèvement» mais ceci ne doit pas être une excuse pour nous  dédouaner  de nous intéresser à eux et à leurs souffrances et d’expliciter: «Toute la société palestinienne est une société kidnappée. Comme beaucoup d’Israéliens qui ont fait leur service militaire, de nombreux lecteurs de cette colonne ou leurs enfants, sont entrés, par surprise et avec violence,  dans la maison d’une famille palestinienne au beau milieu de la nuit,  pour s’emparer du père, du frère ou de l’oncle, avec détermination et insensibilité. Cela est un kidnapping et il se produit tous les jours. Et que dire de leur détention administrative ?...C’est un kidnapping officiel, malfaisant et injuste auquel nous participons tous et dont nous ne payons jamais le prix…Il semble, encore une fois, qu’Israël ne comprend rien d’autre que la violence…Notre batterie de réponses à leur propos va de: «Ils le méritent »à « Ce sont tous des terroristes» ou « J’obéis aux ordres» et «Je ne suis pas au courant». Ce qui en dit plus sur nous qu’il ne dit à leur propos»
Burg termine son article en louant l’énorme succès que remporte le mouvement «Briser le silence**» qui fait parler les soldats ayant servi en Cisjordanie, et en fustigeant le silence des Israéliens… «incapables de comprendre la souffrance de toute une société, ses larmes et l’avenir d’une nation entière que nous avons kidnappée.»

La société israélienne est minée par l’occupation et la politique jusqu’auboutiste de Netanyahou. Cet enlèvement est révélateur de sa perte de repères…tout comme la France des socialistes  Guy Mollet et de Robert Lacoste pendant  la guerre d’Algérie. Les intellectuels israéliens comme Avraham Burg, Léon Roth, Zeev Sternhell ou les romanciers comme Eshkol Nevo essaient de tirer la sonnette d’alarme…

La Palestine se libérera tout comme l’Algérie qui est venue à bout du colonialisme après 130 ans d’oppression…Cette Algérie dont les admirables Fennecs ont eu ce généreux et fraternel élan pour les Gazaouis!

Mohamed Larbi Bouguerra

** Lire « Le livre noir de l’occupation israélienne. Les soldats racontent », Editions Autrement, Paris, 2013.
 

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1 Commentaire
Les Commentaires
hakima berrada - 09-07-2014 05:29

Les secrets...n'appartiennent-ils pas aux Services Secrets?? Le Tsahal, si professionnel en la matière... N'aurait-il pas queque chose à dire???

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