News - 31.03.2024

Ecoutons les «Confidences tunisiennes», de Marie Nimier

Ecoutons les «Confidences tunisiennes», de Marie Nimier,

Par Slaheddine Dchicha

«La seule tribu dont je me revendique est celle dont les membres écoutent les histoires des autres et en les écoutant les font leurs»  Sophie Bessis

Les livres écrits en français et qui prennent pour cadre la Tunisie ne se  comptent plus. Après  ceux  de Didier Decoin, Michèle Fitoussi, Olivia Elkaim, Pauline Hillier… qui, en 2023, situaient leur narration dans une période passée, plus ou moins  lointaine, de l’histoire  du Pays, voilà que l’année  2024 s’ouvre sur «Confidences tunisiennes»* de Marie Nimier, un ouvrage qui nous gratifie d’ une émouvante mosaïque de la Tunisie et des Tunisien.nes d’aujourd’hui.

L’écoute

Marie Nimier est d’ailleurs rompue à ce genre d’exercice, puisqu’elle a déjà publié en 2019 «Confidences», en ayant recours au même procédé. Après un «appel à confidences», l’auteure est restée deux mois à Tunis et a recueilli les confidences d’anonymes en direct, mais aussi par téléphone et parfois par écrit: «…je me suis retrouvée à la fin de mon séjour avec une quantité impressionnante de notes et d’enregistrements…» (p.15), résultat  qui  n’étonne  pas  si  on  croit  les propos  d’un  de  ses  confidents: « Ici en Tunisie il y a beaucoup à cacher. Et qui dit beaucoup à cacher dit beaucoup à raconter à quelqu’un qu’on ne reverra jamais. Quelqu’un qui sait à la fois garder les secrets  et les délivrer.» (171)

Cependant, il ne s’agissait pas de publier ces confidences telles quelles,: «… mais de m’en inspirer pour écrire des nouvelles…» (p.13) et c’est ainsi que l’on se trouve en présence de 56 récits d’une  longueur moyenne de  3-4 pages mais qui peut se réduire à un bref paragraphe ou bien, à deux  reprises  notables, prendre de l’ampleur et atteindre 14 pages pour l’un et 24 pages pour  celui  qui  clôt  le  livre, comme s’il  s’agissait de  prolonger le plaisir en repoussant sans cesse la fin.

Des Tunisien.nes

Les  récits, à l’image des confident.es,  abordent les sujets les plus divers et variés; ils vont  des plus  communs et anodins comme: «la chasse aux  mouches; le premier chéquier, les chiens errants, les  effets  hallucinatoires   de  la saupe,  la nuisance  sonore  des  hauts parleurs  appelant  à la  prière…»; aux  plus sérieux et graves comme: «la corruption, le chômage, la pénurie des denrées de base , l’émigration clandestine, la fuite  des cerveaux, le départ des élites, les luttes féministes… » sans  oublier les préoccupations les plus intimes comme: «l’homosexualité, le mariage orfi, le tabou de  la virginité, le vaginisme…»

Sans pour autant donner dans l’exotisme et afin désigner au mieux les réalités spécifiquement tunisiennes, ces récits souvent émouvants, bienveillants et parfois drôles, recourent plus d’une fois à  la  Darja, le dialecte tunisien, au niveau des mots: adhan (l’appel à la prière), chméta (se réjouir du malheur d’autrui), harza (la masseuse); mais  aussi au niveau des expressions: Brabbi (s’il te plaît),  mlaïktou thqila (antipathique), hlib el ghoula (rare et précieux)…

Le dispositif narratif

«Ces objets littéraires» écrits à partir de témoignages oscillent entre fiction et réalité  comme  le «docufiction» ce genre cinématographique aujourd’hui très en vogue et très pratiqué. Ainsi parfois  la réalité investit l’espace fictionnel comme lorsque une confidente rend hommage à Lina Ben Mhenni, la militante politique et féministe très connue ou lorsqu’une autre décrit sa passion  obsessionnelle pour l’écrivaine française Marie NDiaye et c’est encore plus flagrant lorsque le confident n’est pas anonymisé et qu’il raconte son vécu comme le fait l’universitaire bien connu  Mohamed Chérif Ferjani.

D’autres fois, Marie Nimier, comme pour ne pas s’approprier entièrement les récits qui lui sont confiés, laisse  apparaître les «coutures» en reproduisant les interpellations des confident.es: «C’est vraiment très intime, et moi j’ai senti que tu avais besoin d’intime quand  tu m’as parlé de ton projet» (P97) lui confie l’une et un autre lui demande: «Et toi, qu’est-ce que tu fais comme travail? Tu écris des livres, ou seulement des confidences?» (P112). Quant à l’ultime confident, une sorte de séducteur obsessionnel, il demande à l’auteur: «j’ai envie de te plaire… j’aimerais te séduire par ma sincérité. Est-ce que ça t’excite un peu, ce que je te raconte?»…

Le lecteur ignore la réponse de Marie Nimier à ce bonimenteur, mais il sort de ce livre ravi par sa  drôlerie, sa bienveillance et sa beauté.

«Confidences tunisiennes», Marie Nimier, Gallimard, 2024, 256p. 20,50€

Slaheddine Dchicha


 

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