News - 17.05.2020

Ferid Belhaj: Mettre la crise à profit pour avancer

Ferid Belhaj: Mettre la crise à profit pour avancer

Par Ferid Belhaj. Vice President Middle East and North Africa Region - Alors que la crise multidimensionnelle liée au coronavirus se propage dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA), l’incertitude et la peur gagnent du terrain. Les citoyens se tournent vers leurs gouvernants pour chercher assurances et solutions. Mais des décennies de mauvaise gouvernance, de lourdeurs administratives et d’opacité dans la gestion de la chose publique ont fait le lit de la méfiance et, dans bien des cas, sapé la crédibilité de nos États. L’information officielle est perçue comme non crédible. Un effort important doit être fait sur la transparence et la bonne gouvernance de la chose publique.

Plus que toute autre région du monde, la région MENA est secouée par deux chocs distincts, quoique liés : les prix du pétrole s’effondrent alors que le virus se répand. Une situation qui a des répercussions directes sur les pays exportateurs de pétrole, mais qui affecte aussi et lourdement, bien que de manière indirecte, les pays non pétroliers de la région. Les transferts et les différents types de garanties et de financement apporté par les pays du golfe sont en baisse rapide. Dans certains cas, les dépôts à terme dans les banques centrales des pays importateurs de pétrole sont rappelés.

Les politiques conçues pour contenir la pandémie, comme la distanciation sociale, ont des conséquences récessionnistes à court terme, et des coûts économiques potentiels importants à long terme. Un effort à trois niveaux doit être fait. Sur le plan de la santé publique, sur celui des filets sociaux et enfin sur le plan économique et notamment en assurant des lignes de crédit et autres incitations pour les PME, qui constituent l’écrasante majorité du tissus économique du pays.

Pour redonner espoir, nous devons apprendre de cette crise, et changer. Ceci, tout en ayant conscience d’une réalité importante : la Tunisie avait un besoin de réformes importantes avant cette crise. Elle était déjà dans une situation économique critique qui, aujourd’hui se trouve rendue plus compliquée encore.

Un nouveau rôle pour l’Etat

L’Etat dans la région MENA et notamment en Tunisie prend une place prépondérante dans la vie économique. Son rôle est appelé à évoluer vers une fonction de régulation et de facilitation de l’activité économique. L’entreprise privée est, elle, appelée à jouer un rôle moteur.

La fonction régulatrice de l’Etat doit s’appuyer sur un système de justice crédible est compétent. Les infractions, qu’elles proviennent de l’administration ou des entrepreneurs privés, doivent être sanctionnées de manière à donner confiance aux investisseurs, assurer une égalité de traitement pour tous et assurer la nécessaire contestabilite dans l’économie.

La contestabilité constitue une assurance contre les monopoles, les situations de rente et leur corolaire de stagnation économique. Les situations de rente n’offrent pas d’incitation au renouvellement, à la créativité et à la recherche/développement. Elles poussent donc les entreprises à un état de confort qui les rend moins compétitives au niveau international et réduit donc leurs ambitions d’expansion.

Une ambition nouvelle pour la jeunesse

Les nouveaux métiers et notamment les nouvelles technologies offrent des opportunités importantes pour une jeunesse en manque de possibilités. Cette jeunesse est desservie par un système d’éducation non adapté aux besoins de l’économie d’aujourd’hui. La majorité des jeunes sans emplois ont pourtant des diplômes, souvent universitaires. L’inadéquation des systèmes éducatifs est une donnée importante qui appelle à une action immédiate, mais qui n’aura d’impact que dans le moyen terme. Il importe donc de trouver des solutions pour les jeunes qui sont aujourd’hui sans emplois. Ouvrir les possibilités pour ces jeunes d’entreprendre, et notamment à travers une relaxation des procédures administratives et des incitations financières, devient un impératif. Les nouveaux métiers, et notamment ceux véhiculés par les Startups, sont une voie à considérer. En Tunisie, la startup act n’est pas suffisant, parce qu’il donne une trop grande latitude à l’administration, alors que de par leur nature, les activités économiques générées par les nouvelles technologies évoluent très vite et doivent s’adapter aux progrès de l’industrie. Un contrôle administratif tatillon fait d’autorisations et d’atermoiements risque de briser les élans et de réduire la créativité.

Des réformes importantes et immédiates

L’Etat est appelé à se désengager des activités économiques non essentielles. Une large partie des entreprises publiques, y inclus celles bancaires, doivent devenir compétitives dans un marché intérieur ouvert. Pour gagner en compétitivité, elles doivent se restructurer. La question n’est pas nécessairement de privatiser, mais de rendre ces entreprises aptes à tenir le défi de la compétition en marché ouvert et sans les subventions de l’Etat qui altèrent la contestabilite, maintiennent souvent à flot des entreprises non viables économiquement, et qui coûtent cher au budget.

Un partenariat responsable avec notre environnement

Pour la Tunisie, la compétitivité dans un marché régional et global est une question de survie économique. Des réformes importantes sont en chantier, et qui doivent être menées à leur terme rapidement. Je reviens au rôle de l’’Etat qui doit évoluer vers plus de « facilitation ». À cet égard, les questions de logistique deviennent fondamentales. Les ports, aéroports et les procédures administratives, douanières et autres, doivent être revues et une modernisation agressive de ces procédures doit être mise en place. Il en coûtera au pays de ne pas considérer cette dimension de sa non-compétitivité actuelle.

L’ouverture vers l’environnement économique proche, l’Europe bien sûr mais aussi et de plus en plus la profondeur africaine de la Tunisie.

La revue détaillée des goulots d’étranglement administratifs doit se faire. Un audit doit être conduit des lois, règlements et autres pratiques qui freinent l’investissement et la création d’entreprises. Le code des investissements est largement insuffisant et de toutes les manières dépassé par les besoins modernes. Pour preuve, pas un seul pays de l’OCDE n’a retenu la formule d’un code général de l’investissement. Ces pays optent pour des mesures de liberté d’entreprendre et de régulation intelligente et ciblée. Pourquoi éprouvons nous toujours le besoin de légiférer plus en encore alors que les textes existants sont déjà trop nombreux et ont besoin d’être revus, adaptés, amendés ou bien abrogés quand ils sont jugés obsolètes?

Les Tunisiens doivent être ambitieux dans leur démarche, dans leurs projets et dans leurs politiques. Il importe de donner leur chance aux jeunes, de les aider dans leur créativité et de leur ouvrir les portes de l’entreprise privée. Revoir les systèmes d’éducation et les ancrer dans les nouveaux métiers, est une priorité. L’enjeu est celui de la préservation et du développement capital humain du pays.

Enfin, encourager les nouvelles technologies et les délester des réglementations trop lourdes qui risquent de brider leur utilisation à des fins économiques, de manière à ouvrir la voie, encore une fois et j’insiste, à cette jeunesse impatiente et pleine de créativité.

Ferid Belhaj
Vice President
Middle East and North Africa Region

 

Intervention présentée lors du webinar organisé par le laboratoire d'Intégration Economique Internationale sous la direction de Fatma Marrakchi Charfi le 15 mai 2020.  Thème : Covid-19 : Quelles opportunités pour la Tunisie dans une réorganisation des chaines de valeurs mondiales.
Participants :
. Fatma MARRAKCHI CHARFI, Professeure universitaire en Science Economique et Directrice du Laboratoire d’Intégration Economique Internationale,
. Ferid Belhaj, vice-président, Middle East and North Africa Region, à la Banque mondiale,
. Isabelle Joumard, Economiste principale, OCDE
. Riadh Ben Jelili, Directeur de recherche et d’analyse du risque pays Compagnie Arabe pour la Garantie des Investissements et des Crédits à l’Exportation, Koweït
. Jean-Marc Siroën, Professeur émérite à l’Université PSL Paris-Dauphine

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