News - 05.08.2019

Gilles Kepel: «Caïd Essebsi était le seul avec lequel je pouvais aller d’emblée au fond des choses»

Gilles Kepel: Le seul avec lequel je pouvais aller d’emblée au fond des choses sans fioritures ni précautions oratoires

Depuis qu’il avait fondé le parti NidaaTounis, Beji Caïd Essebsi et moi avions engagé un dialogue d’abord cordial et complice puis, après son élection à la Présidence de la République, plus protocolaire mais toujours profond et amical. De tous les chefs d’Etat et dirigeants arabes que j’ai eu l’opportunité de rencontrer durant les quatre dernières décennies, il était sans aucun doute le seul avec lequel je pouvais aller d’emblée au fond des choses sans fioritures ni précautions oratoires. Sa culture d’ancien Saddiqien qui lui donnait une parfaite connaissance des deux rives de la Méditerranée d’où était issu ce descendant d’un ancien Mamelouk sarde, avait été, au long d’une vie d’une exceptionnelle longévité, renforcée tout autant par l’expérience du pouvoir dans des circonstances fort diverses, que par des « traversées du désert » mises à profit pour s’adonner à la lecture sans modération. Il avait, à quatre-vingt-douze ans la curiosité d’esprit d’un jeune homme et s’était affranchi de tous les tabous intellectuels qui ont causé tant de dommages à la région et ont avorté tant d’espoirs issus des « soulèvements arabes » de 2010-2011.

Ce dirigeant d’expérience qui avait su se distancier de Habib Bourguiba comme de son successeur Ben Ali dès qu’il avait perçu chez eux un basculement dans l’autoritarisme qui trahissait les idéaux humanistes qui furent les siens avait su conduire la transition démocratique de l’année 2011 sans heurts majeurs - ce qui, en comparaison avec les catastrophes advenues dans les autres pays arabes concernés, ne fut pas un mince mérite. Le travail accompli, il s’était effacé devant une nouvelle majorité au Bardo qui n’était pas celle de son choix, mais issue d’un scrutin démocratique qu’il respectait. Beaucoup estimèrent alors que cet octogénaire avait « fait son temps ».

Mais les drames du terrorisme jihadiste et les périls de la jeune démocratie trouvèrent en lui l’homme de la situation: je me souviens de nos deux rencontres d’alors, au siège de son parti au Lac ainsi qu’à son domicile, dans lesquelles il avait exprimé sa détermination sans faille à sortir son pays du gouffre qui s’ouvrait sous ses pieds. Bien sûr, la société civile tunisienne, sublimée par le « Quartet » et la maturité d’autres dirigeants politiques en 2013-2014 furent aussi au rendez-vous : mais il en fut l’architecte et le leader au moment décisif. Après notre avant-dernier rendez-vous au Palais de Carthage, en 2018, il avait aimablement accepté de transmettre un message à la jeunesse du Moyen-Orient et de la Méditerranée réunie au Forum de Lugano en août de l’an dernier, où la Tunisie était invitée d’honneur. Car cet homme qui avait l’expérience d’un siècle avait placé en elle tous ses espoirs - et c’est à elle qu’il revient aujourd’hui de prendre le relais, ce qui sera le plus bel hommage au président défunt dont nous célèbrerons la mémoire au nouveau Forum d’août 2019 à Lugano.

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