News - 03.10.2013

Démarrage samedi du «Dialogue» : Comment Abbassi a convaincu Ennahdha

Le Dialogue national  démarrera ce samedi matin. Il aura pour cadre le Palais des Congrès de Tunis. Dès qu’il a eu en main la réponse «clairement positive» signée par Rached Ghannouchi, le regard de Houcine Abbassi s’est immédiatement illuminé. Durant ces derniers jours, il a subi des malaises qu’il peinait à contenir devant les siens, et dut se faire violence pour aller jusqu’au bout.

Les fortes pressions de centaines d’heures de négociations menées sans relâche depuis près de deux mois étaient éprouvantes. Chaque fois qu’il croyait s’approcher du compromis, il se retrouvait ramené au premier carré. Houcine Abbassi savait, dès le départ, qu’il ne fallait y avoir ni vainqueur ni vaincu, l’essentiel étant de débloquer le processus vers les élections et l’accélérer.

Ce jour-là, l’ultime rencontre entre le chef d’Ennahdha et du secrétaire général de l’UGTT a duré plus de trois heures. Jusque-là, le blocage était total. Avec ses partenaires du Quartet, Abbassi ne pouvait que le confirmer, quelques jours auparavant, en conférence de presse, n’hésitant pas à dire «les quatre vérités». Prudent, il gardait cependant une lueur d’espoir, laissant la porte ouverte. Mais, pour les Tunisiens, l’échec était patent, leur désarroi immense.

Craignant d’être pointé du doigt, Ennahdha essaya de s’en expliquer devant les médias. Ghannouchi ne se mettra pas en première ligne et laissera à trois de ses proches le soin de tenir une conférence de presse. Au même moment, il recevait l’ambassadeur américain Jack Walles en présence de Hamadi Jebali, qui faisait sa  réapparition pour la première fois depuis le 3 septembre dernier. Les rendez-vous vont s’enchaîner toute la semaine…

De son côté, loin de jeter l’éponge, Abbassi activera ses contacts. Chef d’Ettakatol et président de l’Assemblée nationale constituante, Mustapha Ben Jaafar monte au créneau. Pressé d’agir par ses proches pour repositionner le parti et montrer son « rôle décisif », il fera plusieurs fois la navette entre Abbassi et Ghannouchi, multipliant lui aussi les consultations. La rencontre à trois finira par aboutir : Ennahdha a accepté «sans condition» l’initiative du Quartet et la mise en œuvre de sa feuille de route. Le Dialogue national tant prôné peut alors commencer, avec à la clé la formation d’un nouveau gouvernement composé de personnalités indépendantes, la finalisation de la constitution, la mise en place de l’ISIE, la précision de la date des élections et tous les autres aspects.

Abbassi savait que sa mission ne serait pas de tout repos

Le soulagement général est perceptible même s’il est teinté, dans les deux camps, de scepticisme pour les uns et de grandes interrogations pour les autres. Les irréductibles ne croient pas à de vraies concessions d’Ennahdha, estimant que son départ du gouvernement sonnera sa perte du pouvoir pour de longues années, ce qui marquerait la fin de l’islam politique. D’autres considèrent plutôt que le mouvement islamiste, édifié par le cas égyptien et le nouveau contexte local et international, se rend à l’évidence, sous divers «conseils», de devoir s’ouvrir à l’opposition et d’envisager un nouveau mode de «gouverner ensemble» à l’avenir. Les prochaines élections fonderont la nouvelle légitimité et imposeront de nouvelles alliances. Autant se préparer aux élections, et commencer à établir les passerelles de ces nouvelles alliances.  Dès le départ, Rached Ghannouchi a essayé de mener son mouvement vers cette analyse. C’est ce qu’illustre sa rencontre à Paris avec Béji Caïd Essebsi, et ce qu’il a répété à divers interlocuteurs étrangers dont  le ministre allemand des Affaires étrangères, Guido Westerwelle. En interne, il affrontera le refus des radicaux. Patiemment, il les laissera prendre part aux négociations et intervenir dans les médias. L’issue étant bloquée, il reprendra les cartes en main et semble avoir réuni, sinon un consensus, du moins un large accord de son parti.

Houcine Abbassi savait lui aussi que sa mission n’était pas de toute facilité. A la tête de l’UGTT, il incarne un héritage historique de lutte et de patriotisme et exprime aujourd’hui les attentes de centaines de milliers de Tunisiens. Au premier rang de la révolution et fière d’une contribution substantielle dans la chute de la dictature, la centrale syndicale a su traduire sa diversité dans un exécutif fort et uni, élu lors du congrès de Tabarka, plébiscitant Houcine Abbassi. A 66 ans, ce surveillant de lycée, natif de Sbikha, dans le Kairouanais, n’avait jamais aspiré à des charges aussi élevées. De simple syndicaliste de base, formé par le combat de ses camarades lors de l’épreuve du 26 janvier 1978, il se hissera par son intégrité et son intransigeance au sein des instances régionales, puis centrales.  Dans le modeste bureau qu’il occupe, Place M’hamed-Ali, siège de l’UGTT, il ne fermera jamais sa porte, recevant simples syndiqués et cadres, prenant toujours le temps de comprendre et oeuvrant pour la solution. Qu’il s’agisse de cas particuliers ou de revendications sectorielles, d’injustice flagrante ou de doléances à satisfaire, Abbassi s’emploie de toutes ses énergies à obtenir l’accord de ses interlocuteurs. Pour les cas simples, il identifie le décisionnaire et lui tient les arguments appropriés. Lorsqu’il s’agit de négociations, il s’y prépare à fond, réunissant les éléments en sa faveur, fignolant les demandes, analysant les contre-propositions probables, essayant de comprendre les freins et motivations de ses interlocuteurs et fixant les lignes de démarcation. Sans se départir de sa sérénité et de sa courtoisie, tout en restant ferme, il excelle dans les négociations. En vieux syndicaliste, formé à la méthode de Farhat Hached et Habib Achour, Houcine Abbassi a compris que le but n’est pas de casser «le patron» et de l’écraser, mais de l’amener à composer. «Demain, répète-t-il souvent, le travail reprendra après une grève, travailleurs et patrons se retrouveront ensemble, embarqués sur un même navire, pour faire réussir l’entreprise. La qualité de leurs relations futures est essentielle. Leur engagement commun en faveur de l’entreprise est déterminant ». C’est un peu ce même esprit qui l’a animé en coordonnant l’action du Quartet.

UGTT et UTICA sur la même ligne

Simultanément et sans se consulter, les instances de l’UGTT et l’UTICA, ébranlées par l’assassinat de Brahmi, réunissent leurs directions pour faire aboutir une série de revendications, à commencer par la formation d’un nouveau gouvernement. Pour la première fois, le patronat affiche des positions politiques aussi tranchées et se retrouve en ligne avec la centrale syndicale. De part et d’autre, la mission est lourde à porter et il va falloir faire cause commune. La LTDH et l’Ordre des avocats s’y rallient, le Quartet est ainsi formé. Les manœuvres externes de division et de diversion commencent.

L’UTICA aura droit à son lot d’attaques qui affecteront jusqu’à sa présidente Ouided Bouchammaoui. L’UGTT sera décriée sur les réseaux sociaux, dans certains médias, voire des mosquées. On lance une nouvelle  centrale syndicale à partir de Sfax, bastion historique de Hached. Houcine Abbassi s’y attendait et a prévenu ses partenaires, les invitant à garder leur sang-froid et les rangs serrés. Même attitude lors des concertations avec les représentants de la Troïka comme ceux de l’opposition. La provocation n’ayant pas abouti, on passe à un deuxième stade, celui de cantonner le Quartet dans un statut de simple médiateur et à mettre en cause l’impartialité du Quartet, surtout l’UGTT. Abbassi rebondit immédiatement en rappelant que le Quartet n’est pas un simple passeur de messages, mais l’auteur d’une initiative, fondée sur les mandats précis donnés par les instances de chacune de ses composantes et que son rôle est de rapprocher les divers points de vue pour adopter le plan de sortie de crise élaboré. Toute son énergie était concentrée sur cet objectif, veillant à la cohésion de l’équipe et à la cohérence de la démarche.

Ceux qui ont participé aux réunions avec le Quartet témoignent de cette détermination d’Abbassi à faire aboutir le processus, en trouvant, si nécessaire, les aménagements demandés mais qui ne trahissent pas l’essentiel. Son expérience des négociations sociales, l’appui de sa propre centrale, l’UGTT, et de tous ses autres partenaires du Quartet forceront le respect de ses interlocuteurs, parmi les chefs de partis, au pouvoir et dans l’opposition. Tous se sont rendus auprès de lui, en entretiens restreints comme en réunions élargies. A tous, il a toujours tenu le même langage, sans jamais se laisser prendre en défaut.

Souvent, les réunions s’éternisent, les passions s’attisent, les trappes s’ouvrent et se referment, mais le Quartet garde le cap. Entouré de Ouided Bouchammaoui, Abdessettar Ben Moussa et Fadhel Mahfoudh,  Houcine Abbassi a fait de la patience, de la sincérité et du sens du compromis, une règle principale. La persévérance du Quartet et sa détermination ont fini par convaincre le mouvement Ennahdha, déjà ouvert à d’autres appels, à dire clairement oui !

Maintenant, tout commence ! L’étape qui s’ouvre ne sera pas exempte de tiraillements et de difficultés, tant ses décisions seront déterminantes pour le nouvel équilibre des forces  qui naîtra des prochaines élections. La mission du Quartet est donc loin d’être terminée. Son rôle sera central pour la réussite de cette nouvelle phase.

T.H

                                                                                                                                                                

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2 Commentaires
Les Commentaires
Mohamed - 04-10-2013 08:07

Bravo UGTT et a sa téte Abbassi pour convaincre une partie qui n'a jamais pensé un jour de gouverner la Tunisie . Et j'espére bien que toutes les parties politiques pensent a leurs patrie avant les chaises.

Hedi Zaiem - 04-10-2013 14:55

Bien vu et bien dit Si Taoufik.

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