Opinions - 24.09.2012

Les salafistes sont dangereux ! Les islamophobes aussi !

Depuis le lancement de ce pseudo film stupide sur Youtube qui s’attaque au prophète Mohamed, le monde arabe et musulman est à feu et à sang. Des manifestations ont embrasé la plupart des villes arabes avec leurs lots de violences et de morts, notamment à l’ambassade américaine à Benghazi avec la mort de l’ambassadeur et d’autres officiels. Ces manifestations violentes se sont poursuivies dans d’autres pays avec les résultats qu’on connaît à Tunis le vendredi 14 septembre avec l’envahissement de l’ambassade et la dévastation de l’école américaine toute proche. Ces incidents d’une rare gravité ont écorché l’image positive de la Tunisie depuis la révolution du 14 janvier et le début de la fin des autocrates arabes. Mais, surtout ces incidents ont été une démonstration de la part des salafistes qui, sans être d’importantes forces politiques dans les pays arabes, ont pu étaler leurs violences radicales et montrer le danger qu’ils représentent pour les démocraties naissantes dans les pays du printemps arabe.

La tension n’était pas encore retombée que l’hebdomadaire satirique français Charlie Hebdo décide de remettre cela avec la publication de caricatures offensant l’Islam et son prophète. Il faut dire que cet hebdomadaire n’en est pas à son coup d’essai. En effet il a déjà publié ce type de caricatures par le passé, ce qui lui a valu une haine féroce dans certains milieux islamistes en France et probablement l’attaque contre son siège et son saccage il y a quelque temps. Profitant de l’onde de choc créée par le film « Innocence of Muslims », Charlie Hedo a décidé de mettre l’huile sur le feu. Cela a débouché à une nouvelle journée de craintes et de dangers dans la plupart des villes arabes et d’importants dispositifs policiers et militaires pour faire face à cette volonté d’en découdre des salafistes.

Pour nous les deux actes, le film et la publication des caricatures, sont condamnables et inadmissibles dans la mesure où ils contribuent au renforcement de la haine entre l’Occident et son autre, l’Orient. Mais, il y a une grande différence entre les deux actes. En effet, si le film « Innocence of Muslims » est un fait de sombres individus portés par une haine individuelle contre l’Islam et les musulmans, l’acte de Charlie Hebdo est beaucoup plus raisonné et s’inscrit dans tout un courant intellectuel islamophobe qui a fait de la haine et du rejet de l’Islam son cheval de bataille en Occident depuis de longues décennies.

Pour l’islamophobie, il existe une différence fondatrice entre l’Occident et l’Orient.    Tout oppose ces deux entités dont l’une a été en mesure de construire une civilisation rationnelle, moderne et respectueuse de l’individu et de son autonomie et l’autre est toujours embourbée dans ses mythes d’antan se nourrissant de la sublimation et l’enchantement des dieux. Cet Orient, réduit souvent à l’Islam pour les Orientalistes, est perçu comme une menace constante pour le monde développé et l’Occident. Cette menace et cette haine trouvent leurs explications dans l’incapacité de cet Autre « inférieur » de se mesurer à la civilisation occidentale et de se rapprocher de son niveau de développement et de s’inscrire dans sa dynamique. Cette perception de l’Autre s’exprime dans les journaux et les revues islamophobes à longueur de journée et rejette cette culture, soit par des analyses pseudo-scientifiques soit par la satire comme l’a fait récemment Charlie Hebdo.   

Mais, il faut préciser clairement et sans ambiguïté que l’islamophobie ne constitue pas la quintessence de la pensée occidentale. Bien au contraire, tout au long du 20ième siècle, les grands projets politiques inspirés de la modernité étaient basés sur une perception philosophique commune de l’humain et ne faisaient pas de différence générique entre les hommes. Pour le libéralisme politique comme pour le socialisme, l’humain est cet être perfectible et capable de construire par son propre entendement une expérience historique ouverte sur l’Autre dont l’objectif est de réduire l’aliénation de l’être et de son altérité,  d’accroître son autonomie et son bien-être. En dehors de quelques accidents isolés dans l’histoire du libéralisme et du socialisme, il est difficile de trouver des constructions théoriques ou des projets politiques qui fondent leurs analyses sur une différence fondatrice de l’humain. Au contraire, malgré les différences entre ces deux grands courants, la nature humaine puise en leur sein un fond commun, celui d’une quête incessante d’un monde différent où l’être retrouverait sa plénitude et forgerait dans son entendement les éléments de sa propre expérience et de sa sensibilité.
Mais, la fin du siècle dernier a été marquée par l’abandon de cette perception d’une destinée commune et l’avènement de cette vision guerrière du choc des civilisations. Ce changement d’époque trouve son explication dans l’échec et le déclassement des projets politiques et des utopies collectives du 20ième siècle. Ainsi, Ces grandes utopies collectives qui ont structuré les expériences et les projets politiques tout au long du 20ième siècle ont été remises en cause. La chute du Mur de Berlin en 1991 a été un moment important dans le déclassement de ces grandes utopies incapables de se renouveler et de répondre aux angoisses et aux inquiétudes de l’humain.

Face à ces interrogations et à ces inquiétudes vont renaître les théories du choc des civilisations. Cette apparition se nourrit de l’explosion de la violence, des guerres et du terrorisme. Ces théories, loin de répondre aux angoisses et aux inquiétudes du sujet moderne, vont les justifier. Au lieu d’apaiser les peurs, l’islamophobie va les renforcer et les porter à leur paroxysme. Oui, nous sommes différents de cet Autre, étranger à notre monde et à notre civilisation, ne cessent-elles d’asséner à longueur de journée ! Oui, cet Autre en veut à notre civilisation et aux progrès que nous avons pu réaliser depuis des années ! Oui, il n’hésitera pas à utiliser la violence, la brutalité et le terrorisme pour s’attaquer à notre monde ! Ainsi, la peur nourrit encore plus la peur ! La crainte de l’Autre se renforce et se répand dans les sociétés occidentales ! Les attaques du 11 septembre 2001 ne feront alors que confirmer cette dérive ! La peur nourrit la répression qui renforce la violence et la haine. Le monde bascule ainsi dans une guerre de civilisation qui ne cache plus son nom !

Dans ce contexte de peur, de haine et de crainte, les théories du choc des civilisations et l’islamophobie militante identifient le nouvel ennemi. Il s’agit de cet Autre Oriental ou plus simplement musulman qui vit encore dans l’espoir de rétablir le Califat islamique et de soumettre l’Occident à sa domination. L’ennemi est cet Autre toujours soumis aux dieux et incapable de construire de manière libre son propre entendement. L’Islam devient alors la nouvelle menace de l’Occident. Une menace qui fait désormais les gros titres de la presse et des journaux télévisés comme pour convaincre ceux qui en doutaient encore.

Charlie Hebdo en publiant ces caricatures a contribué à attiser les méfiances, les suspicions et à nourrir une violence aveugle. Cet acte a bien évidemment mis en danger les citoyens français et occidentaux ainsi que leurs ambassades dans tous les pays arabes et musulmans suscitant le déploiement de grands moyens sécuritaires pour empêcher de nouvelles escalades. Par ailleurs, ces publications ont donné du grain à moudre à un salafisme de plus en plus isolé au niveau populaire et à une adhésion à un islam modéré et ouvert, comme l’ont montré les résultats des élections en Lybie. Paradoxalement, les islamophobes deviennent les véritables alliés des radicalismes religieux en leur fournissant les arguments pour de nouvelles mobilisations contre l’Occident. Mais, surtout ces publications remettent de nouveau la question religieuse et identitaire au cœur du débat ce qui ne fera que renforcer les partis islamistes et marginaliser les forces démocratiques qui cherchent à sortir de ce débat pour mettre les questions démocratiques et sociales au centre des dynamiques de transition.  

Plus que jamais cette perception d’une opposition fondatrice entre l’Occident et l’Orient doit être combattue. Cette vision d’un monde binaire entre barbares et modernes civilisés et ceux vivant dans la mythologie nous paraît dépassé et ne correspond plus à la réalité du monde d’aujourd’hui. D’un côté, les sociétés non occidentales ont effectué des pas importants dès les premières années de l’indépendance vers l’univers de la modernité en faisant de la rationalité et de la liberté individuelle les fondements de leurs projets politiques et économiques. Les printemps arabes, en dépit des turpitudes actuelles, devront à terme favoriser un enracinement plus profond de l’idéal des libertés et de la démocratie. D’un autre côté, la crise de l’idéal moderniste en Occident s’est traduite par une plus grande ouverture vers les expériences de l’Autre. Ce double mouvement a été à l’origine de l’émergence d’un espace hybride de dialogue et d’échanges entre les différents référents humains. Les intellectuels arabes et islamiques doivent s’engager de manière forte dans ce dialogue en rompant de manière radicale avec les quêtes de relativisme, de retour aux sources et à l’âge d’or de notre civilisation. En dépit des tourments, de la détresse et de la violence, ce dialogue et ces échanges pourraient déboucher sur l’émergence d’un universel commun fait des acquis de la modernité occidentale comme la raison et la fin de la dépossession de soi mais qui doit laisser également une place à l’émotion et à l’enchantement ! Ces métissages et l’ouverture sur l’Autre pourraient préfigurer une nouvelle période d’entente et de solidarité et un nouveau pacte de civilisation entre les humains qui marginaliserait ces deux dangers du monde moderne, le radicalisme religieux et l’islamophobie !

Hakim Ben Hammouda
 

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4 Commentaires
Les Commentaires
fabiie - 26-09-2012 10:01

l islamophobie aujourdhui est en majorite une reaction negative aux exces violents de l islam.les islamophobes n ont jamais attaques les ambassades ou les expositions de peintures ou la tv nationale.L islaphomophobie se repand aujourdhui en tunisie parmi les tunisiens eux memes a cause de nahdha et ses acolytes

Abbès - 26-09-2012 10:19

Merci pour ce cri optimiste!

SUR - 27-09-2012 04:14

Méfions nous des mots.Le mot islamophobie veut dire"qui a peur de l'Islam" et non "qui déteste l'Islam". Peut être la solution serait-elle de montrer à toute occasion que l'Islam ne doit pas faire peur et l'islamophobie disparaitra peu à peu.

Abbès - 28-09-2012 06:30

Merci pour ce cri d'espoir.

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