News - 12.04.2024

Abdelaziz Kacem: Le complexe de Caïn

Abdelaziz Kacem: Le complexe de Caïn

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Ceci est mon sixième article dans la série que je consacre, depuis le 7 octobre 2023, au génocide de Gaza. Je n’ai plus de mots pour qualifier l’inqualifiable. Cette guerre n’est pas israélo-palestinienne, comme les autres. Il s’agit bien d’une criminelle coalition occidentalo-sioniste visant à éradiquer tout un peuple agrippé à son sol. Elle est paradoxale en ce que les belligérants de la Seconde Guerre mondiale, c’est-à-dire la majorité des Alliés et les anciennes forces de l’Axe réunies, qui, en toute franchise, en toute immoralité, se liguent pour le mal. C’est une première. Elle confirme qu’Israël n’est à la fin des fins qu’une grosse séquelle coloniale, une portion non évacuable des empires écroulés, une base militaire implantée au cœur du Proche-Orient et qui cherche à s’élargir.

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L’Europe n’est plus ce qu’elle était, me dit-on ; elle est littéralement vassalisée par les États-Unis. Oui, mais cela n’explique pas l’irrépressible régression du Vieux continent en matière d’attachement aux valeurs dont il se targuait naguère. Car il faut reconnaître que l’Europe a bel et bien codifié les droits et les devoirs de l’homme. Et c’est au nom de ces droits et devoirs que l’Afrique du Sud se bat et vilipende ceux-là qui les bafouent. Rendons-lui encore une fois un vibrant hommage et aux centaines de milliers de manifestants qui bravent les interdits dans les métropoles du monde et jusque chez les commanditaires du crime, à savoir les États-Unis et la Grande-Bretagne.

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Quid des Arabes ? Hormis l’engagement concret de la résistance au Liban, en Irak et au Yémen, le silence arabe est en passe de devenir assourdissant. Qu’en-est-il encore des 57 pays membres de l’Organisation de la coopération islamique censés sauvegarder les Lieux saints dont la Mosquée al-Aqsa, à longueur de journée profanée. Ils se sont engagés surtout à apporter leur soutien au peuple palestinien spolié et menacé d’anéantissement depuis trois quarts de siècle. Ces doctes pays d’islam en sont, à quelques exceptions près, à des protestations creuses et sporadiques. Que peuvent-ils ? Le minimum ! Faire des pressions concrètes sur les fournisseurs d’armes et autres marchands de la mort. Quel risque courraient-ils ? Tout au plus, pour certains, la menace de ne plus être protégés contre leurs voisins, voire contre leur propre peuple ; pour les autres, l’arrêt momentané de l’aumône que leur octroie leur faux bienfaiteur. «Le pain des méchants, écrivait l’auteur de Paul et Virginie, emplit la bouche de cailloux». Et les pays «normalisateurs» ne pourraient-ils pas, pour le moins, rappeler leurs ambassadeurs ?

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En vérité, les sionistes n’ont que mépris pour tous les goym arabes. Le ministre de la guerre, Ioav Gallant, traite d’animaux les Gazaouis. En faisant évacuer les hôpitaux de Gaza, la soldatesque israélienne brutalise les blessés et autres rescapés en gueulant : Déguerpissez, les animaux ! Avec les goym acceptant le fait accompli, le mépris se fait condescendant ; il se réfère volontiers aux liens du sang qui unissent Isaac et Ismaël. Le préambule des Accords d’Abraham stipule que les parties du traité de paix reconnaissent «que les peuples arabe et juif sont les descendants d'un ancêtre commun, Abraham, et aspirent à favoriser une vision réaliste d'un Moyen-Orient où vivent musulmans, juifs, chrétiens et peuples de toutes confessions, dénominations, croyances et nationalités dans un esprit de coexistence, de compréhension mutuelle et de respect mutuel».

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Oui, mais en se référant toujours à la Bible, Louis Massignon rappelle que «l’histoire de la race arabe commence avec les larmes d’Agar, les premières dans l’Écriture» et cela continue. Les accords d’Abraham ne sont que des redditions camouflées, des traités de neutralisation. Mais les sionistes savent parfaitement que les peuples arabes ne normaliseront jamais.

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J’invite la demi-douzaine des Mutabbi‘în ainsi que ceux qui brûlent de suivre leur exemple à lire Le paradoxe juif de Nahum Goldman (Stock, 1976). L’ancien président du Congrès mondial juif y rapporte des propos édifiants que lui confiait le fondateur de l’État hébreu, David Ben Gourion. «Pourquoi les Arabes feraient-ils la paix? Si j’étais, moi, un leader arabe, jamais je ne signerais avec Israël. C’est normal : nous avons pris leur pays. Certes, Dieu nous l’a promis, mais en quoi cela peut-il les intéresser ? Notre Dieu n’est pas le leur. Nous sommes originaires d’Israël, c’est vrai, mais il y a de cela deux mille ans : en quoi cela les concerne-t-il ? Il y a eu l’antisémitisme, les nazis, Hitler, Auschwitz, mais était-ce leur faute? Ils ne voient qu’une chose : nous sommes venus et nous avons volé leur pays. Pourquoi l’accepteraient-ils ?» On voit bien que jusque-là et en dépit de leur impuissance militaire, les Arabes étaient loin d’être aussi dédaignés qu’ils le sont aujourd’hui par l’ennemi.

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Et pendant qu’on est au chapitre des légendes, pourquoi ne pas remonter à Caïn, notre ancêtre à tous et frère du malheureux Abel. Leur histoire tragique est dans la Bible (chapitre 4 de la Genèse) et dans le Coran (V, 27-31). Pourquoi en sont-ils arrivés à cet irrémissible fratricide? Est-ce la faute à Caïn s’il est né égoïste, jaloux et envieux ? Quand il fallut faire des offrandes à Dieu, de bon cœur, Abel, le pasteur, fit don de sa meilleure bête que le Seigneur accepta. Caïn, l’agriculteur, de mauvaise grâce, offrit une médiocre partie de sa récolte. Il fut maudit et son oblation refusée. Fou de rage, il se jeta sur son frère et le tua. Moralité : nous sommes les descendants impénitents d’un assassin maudit et le premier conflit entre les hommes était religieux. Depuis lors, la fratrie n’est pas guérie de son complexe de Caïn. Au reste, l’épisode actuel de la guerre israélo-palestinienne est ostentatoirement religieux. D’un côté on se réfère à Allah, de l’autre à Yahvé.

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De par ses anciennes fonctions d’inspecteur de français dans nos collèges et lycées, notre ami, H. T., est un honnête homme au sens classique du terme. Ancien grand reporter à l’AFP, il connaît mieux que quiconque les convulsions qui secouent le Moyen-Orient. Il a toujours réagi à mes chroniques. Ses commentaires si fins, si subtils, si cinglants sont de véritables ajouts à mes textes et je lui en suis reconnaissant. En marge de mes «Exordes et conclusions» (Leaders, mars  2024), il dit ne pas s’expliquer les atrocités du génocide qui se poursuit à Gaza, qu’en s’inscrivant en faux contre le fantasme du «bon sauvage». Non, Monsieur Rousseau, vous n’allez pas me dire que Netanyahu est né gentil, mais que la société l’a corrompu. C’est Hobbes qui a raison. L’homme est un loup pour l’homme et les lois cherchent à l’humaniser, sinon à mettre un frein à ses instincts. Notre ami H. T. pense plutôt que «certains hommes naissent méchants, d’autres le deviennent», ce qui revient au même. Nous assistons à Gaza à des «méchancetés jubilatoires».

Abdelaziz Kacem
 

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