News - 19.02.2024

La dynamique démographique et l’intelligence artificielle: Une exploration des défis et des opportunités en Europe et en Afrique pour 2050

La dynamique démographique et l’intelligence artificielle: Une exploration des défis et des opportunités en Europe et en Afrique pour 2050

Par Mohamed Louadi, PhD. Professeur des universités à l’ISG, Université de Tunis - La complémentarité des changements démographiques et des progrès technologiques est une particularité commune de l’Afrique et de l’Europe. L’Afrique émerge comme un lieu de dynamisme juvénile, abritant la plus jeune cohorte de la population mondiale tandis que Europe est aux prises avec les ramifications du vieillissement de la population ayant à faire face à la gestion d’une population de plus en plus âgée.

Les changements démographiques

Les changements démographiques en Afrique seront à l’inverse des changements démographiques en Europe.

L’évolution démographique en Europe

Avec les progrès dans les soins de santé et l’augmentation de l’espérance de vie, la population mondiale subit des changements démographiques importants caractérisés par un nombre croissant de personnes âgées.

En 2050, il y aura plus de personnes âgées que jamais; le nombre de personnes âgées de 60 ans ou plus devrait atteindre environ 2 milliards, soit 22% de la population mondiale.

Il en résultera que sans immigration, l’Europe connaîtra une pénurie de 44 millions de travailleurs d’ici 2050(1). L’Europe devra alors intégrer 2 à 3 millions d’immigrants par an pour maintenir les niveaux de population et d’économie de 2015. Le nombre d’adultes en âge de travailler supplémentaires par pays est estimé à 7,0 millions pour l’Allemagne, 3,9 millions pour la France et 3,6 millions pour le Royaume-Uni. Il est estimé à 40,1 millions pour l’ensemble de l’Union européenne(2).

La pyramide des âges de la population de l’Europe en 2050 montre dans quelle mesure la population européenne vieillit. Ce vieillissement contraste avec la population relativement jeune de l’Afrique comme cela est illustré dans la figure 1 qui met en évidence les différences démographiques entre les deux continents, en particulier dans la tranche d’âge 0-39 ans(3).

Notre intérêt pour la jeunesse nous amène inévitablement à ce «jeune continent», où 60% de la population a moins de 25 ans. L’Europe vieillit et l’Afrique rajeunit.

Figure 1. a) La pyramide de la population européenne en 2050), b) la pyramide de la population africaine en 2050, c) la pyramide de la population européenne en 2050 avec la pyramide de la population africaine en arrière-plan (en gris)(4).

Les changements démographiques en Afrique

L’Afrique compte une population d’environ 1,46 milliard d’habitants, soit 18,2% de la population mondiale. Les Nations Unies prévoient que la population de l’Afrique atteindra 2,5 milliards d’ici 2050, soit 25% de la population mondiale qui atteindra alors 9,8 milliards.

Avec 62% de sa population âgée de moins de 25 ans en 2019, l’Afrique subsaharienne est la plus jeune du monde, ce qui lui a valu d’être surnommée le «continent des enfants» (The children’s continent) à Davos. D’autres projections des Nations Unies suggèrent que la jeunesse de l’Afrique subsaharienne représentera près de 30% de la jeunesse mondiale d’ici 2050. En 2100, une personne sur trois sur la planète viendra d’Afrique subsaharienne, et la population du Nigeria dépassera celle de la Chine et se classera au deuxième rang mondial, juste derrière l’Inde.

Par voie de conséquence, on estime à 12 millions le nombre de nouvelles personnes qui intègreront la population active chaque année. Cette augmentation quantitative est accompagnée d’une amélioration du niveau d’éducation des candidats à l’émigration d’Afrique subsaharienne survenue au cours des quinze dernières années. Ils viennent de pays comme la Côte d’Ivoire, le Ghana ou le Nigeria(5).

Pourtant, l’Afrique a obtenu les indices de préparation (Country Readiness Index) les plus faibles. L’indice de préparation a été développé par la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement pour jauger les capacités nationales d’un pays à utiliser, adopter et adapter les technologies de l’information et de la communication (TIC).

Afrique, TIC et IA

Les TIC sont le talon d’Achille de l’Afrique

Soixante pour cent des jeunes Subsahariens ne sont pas en ligne, contre seulement 4% en Europe. Les données de l’Union Internationale des Télécommunications de 2023 indiquent que le pourcentage de personnes utilisant Internet en Afrique est de 37%. Il est le plus bas du monde où la moyenne est de 67%.

L’épidémie de Covid-19 a cependant accéléré la numérisation et créé un climat avantageux. Entre 2020 et 2021, le nombre de start-ups technologiques en Afrique a triplé pour atteindre environ 5200 entreprises. Selon McKinsey & Co., les entreprises de technologie financière représentent à peu près la moitié de ces entreprises. Cependant, certaines régions font face à plus de défis que d’autres pour lancer ce processus en raison de l’absence de bandes passantes adéquates, de connexions Internet et d’autres technologies.

Mais des pays comme l’Afrique du Sud, le Kenya, l’Égypte et le Nigeria sont déjà à la pointe de la transformation numérique. Malgré des taux de bancarisation relativement faibles, certains autres pays ont fait des progrès significatifs dans les domaines des paiements numériques et de l’inclusion financière avant même le déclenchement de la pandémie, avec des taux d’environ 15%. Cependant, le cash est toujours utilisé dans plus de 90% des transactions.

De plus, les TIC ont cette caractéristique unique de permettre un saut de technologie (leapfrogging), ce qui signifie que certains pays en développement peuvent franchir plusieurs générations et étapes du développement technologique.

L’un des premiers exemples de tels sauts qualitatifs a été observé en Amérique latine, où environ 46% des ménages n’avaient pas de service fixe en 2003 et où la téléphonie mobile a été adoptée encore plus rapidement et plus facilement, précisément parce que la pénétration des lignes terrestres était très faible, en particulier dans les régions rurales.

Ailleurs, les technologies d’avant-garde (Frontier Technologies) telles que définies par la CNUCED(6), dont notamment l’IA évoluent rapidement. Mais en général, et bien que certains pays africains aient commencé à explorer les applications de l’IA, les progrès globaux et les investissements en IA sur le continent accusent un retard remarquable par rapport aux leaders mondiaux tels que la Chine et les États-Unis.

Rappelons que c’était l’annonce publique de ChatGPT par OpenAI le 23 novembre 2022 qui avait marqué une étape importante dans la popularité quasi-soudaine de l’IA, suscitant une (re)prise de conscience généralisée.

Cette prise de conscience a réveillé de vieux démons, dont des appréhensions allant de la crainte des menaces potentielles de pertes d’emplois jusqu’aux risques existentiels de la race humaine.

Plusieurs défis entravent l’adoption et la mise en œuvre efficaces de l’IA en Afrique, notamment une alphabétisation numérique limitée, une infrastructure inadéquate et un soutien et une réglementation gouvernementaux insuffisants.

En outre, le manque de recherches sur l’IA en Afrique contribue aux obstacles rencontrés dans la mise en œuvre de la technologie de l’IA. En 2023 la part de l’Europe et de l’Asie centrale dans les des publications dans des revues avec comité de lecture liées à l’IA était de 17,20%; elle était de seulement 0,77% pour l’Afrique subsaharienne. Quand la contribution de l’Europe à l’enregistrement de domaines sur le Web était de 40,4%, celle de l’Afrique subsaharienne était d’à peine 0,7%.

Parmi les technologies d’avant-garde de la CNUCED, les mégadonnées (Big Data) côtoient l’IA. Il est en effet difficile de concevoir l’IA sans données et ensembles de données (datasets), les deux constituants les piliers d’une culture numérique proactive. 

Malheureusement de nombreux Africains n’ont pas les compétences nécessaires pour créer et utiliser avantageusement les données. Le classement du rapport sur l’indice de l’IA de Stanford University datant de 2023 montre que bien que l’Afrique du Sud y ait été classée 13ème en 2019, aucun pays africain n’a figuré parmi les 15 premiers en 2022. En résumé, bien qu’il y ait une reconnaissance mondiale des avantages potentiels de l’IA, son adoption et sa mise en œuvre en Afrique en sont clairement encore à leurs balbutiements.

L’absence de culture numérique en Afrique

À l’échelle mondiale, l’Afrique a la capacité statistique moyenne la plus faible. Seulement la moitié des pays africains ont mené plus de deux enquêtes sur les ménages au cours de la dernière décennie et seulement 29% des pays africains ont rendu publiques des enquêtes sur l’éducation depuis 2005.

En 2023, l’Europe a contribué à hauteur de 19,3% et le Moyen-Orient et l’Afrique à hauteur de 6,8% à la création de données mondiales.

Le manque de disponibilité des données est principalement dû à divers défis tels qu’un accès limité à une quantité importante de données, une mauvaise qualité des données, une infrastructure de stockage inadéquate, l’absence de politiques réglementaires pour les données et des connaissances et des compétences insuffisantes en gestion des données. Il existe aussi un problème avec une culture numérique sous-jacente qui fait défaut. Pour exemple, l’imposition par certains gouvernements africains de taxes sur la création de contenu numérique n’est pas propice au développement d’une culture de création de données. Cela est équivalent à la taxation des exportations par un pays qui a besoin de devises. De telles initiatives auront tendance à entraver la capacité du continent à améliorer sa contribution à la génération de données mondiales.

En conséquence, l’Afrique manque de datasets d’origine africaine nécessaires, pertinents, fiables et de haute qualité pour soutenir la recherche et l’innovation en IA et, partant, pour favoriser et perpétuer une culture existante.

L’avenir de l’emploi dans le contexte de l’IA

Goldman Sachs estime que dans dix ans, plus d’emplois seront exposés à l’automatisation dans les pays développés que dans les pays émergents.

Le rapport sur l’avenir de l’emploi du Forum économique mondial publié en 2023 prévoit qu’entre 2023 et 2027 environ 83 millions d’emplois disparaîtront, tandis que 69 millions nouveaux postes émergeront, entraînant une diminution nette de 14 millions d’emplois.

McKinsey & Co. a suggéré que jusqu’à la moitié des tâches effectuées dans les emplois actuels pourraient être automatisées entre 2030 et 2060. McKinsey & Co. rejoint Goldman Sachs en soulignant que le rythme de transformation de la main-d’œuvre et d’adoption de l’automatisation sera plus rapide dans les pays développés et plus lent dans les pays à bas salaires.

Bien que le Forum économique mondial n’ait pas été clair quant à la part de responsabilité de l’IA dans la perte d’emplois pressentie, nous pouvons déjà affirmer, comme McKinsey, qu’aux États-Unis et en Europe, les deux tiers des emplois seront confrontés à un certain niveau d’automatisation grâce à l’IA.

Malgré cela, l’Afrique subsaharienne doit créer 20 millions d’emplois chaque année pendant 20 ans pour suivre la croissance démographique. Cependant, la création de 400 millions d’emplois n’est pas chose aisée.

L’Europe viendra-t-elle à la rescousse de l’Afrique subsaharienne en lui fournissant les emplois nécessaires, des emplois nécessaires qui auront été rendus vacants par le vieillissement des populations européennes?

L’Afrique subsaharienne viendra-t-elle à la rescousse de l’Europe en lui fournissant les migrants nécessaires à son économie?

Ainsi il semblerait qu’alors que l’Afrique a besoin de plus d’emplois l’Europe a besoin de plus de travailleurs.

En outre, il est difficile de prédire quelles compétences et quelle main-d’œuvre seront nécessaires à l’avenir en raison de la nature imprévisible de l’IA. Cependant, il n’y a aucune certitude quant à son impact à long terme.

L’évolution de l’IA notamment en Europe gardera-t-elle ces emplois qui auront été rendus disponibles suite au vieillissement de ses populations et sur lesquels l’Afrique pourrait compter?

Conclusion

L’augmentation de la population des jeunes en Afrique, aura un impact significatif sur le développement économique et social futur non seulement de l’Afrique mais également de l’Europe.

Si d’ici 2050, l’Afrique sera le continent le plus peuplé et le plus jeune du monde elle restera l’un des moins numériques. Mais le fossé numérique sans cesse croissant entre les pays d’Afrique subsaharienne et les régions développées du monde entravera les efforts visant à diversifier davantage leurs économies, à créer des emplois et à réduire leur dépendance économique alors même que l’IA menace déjà de remplacer certaines tâches et occupations.

Les gouvernements africains sont d’ores et déjà confrontés à des défis plus grands que l’Europe en raison de l’abondance des jeunes. D’une part, la croissance de la population jeune peut constituer un atout précieux pour stimuler la croissance économique et l’innovation. D’autre part, si cette croissance n’est pas correctement gérée, elle peut entraîner des taux de chômage élevés chez les jeunes et des troubles sociaux. Comme l’auraient dit les auteurs du rapport État de la population mondiale de 2023: «Trop de jeunes ? C’est déstabilisant. Trop de personnes âgées? C’est un fardeau. Trop de migrants? C’est un danger».

En regardant plus loin dans l’avenir, il est également possible que les migrants africains de demain soient les rapatriés d’après-demain, qui, par ricochet, joueront également un rôle encore plus marquant dans l’avenir de l’économie africaine.

Ayant acquis des compétences en Europe, les rapatriés contribueront grandement au développement économique (et technologique) de leur pays d’origine. Dans les années 1970, les rapatriés de la diaspora ont joué un rôle fondamental dans le renforcement économique de la Corée du Sud et de la Chine. Les rapatriés étaient revenus avec des compétences, des connaissances et des réseaux acquis à l’étranger. Ils ont rapporté une expertise et un esprit d’entreprise précieux qui ont transformé l’exode des cerveaux (brain drain) en un gain de cerveaux (brain gain).

Les gouvernements et les décideurs africains ne doivent pas dormir sur leurs lauriers. Ils devraient non seulement continuer d’accorder la priorité aux investissements dans l’éducation, la formation professionnelle et la création d’emplois pour exploiter le potentiel de la population jeune, mais aussi surmonter le manque de compétences numériques et cultiver une culture numérique pour réaliser pleinement le potentiel de l’économie des données qui pointe déjà à un horizon très proche.

Mohamed Louadi, PhD
Professeur des universités à l’ISG, Université de Tunis

1) Gaines, J. (2021). Europe To Be Short 44 Million Workers by 2050 Without Increased Immigration, New Study Finds, Center for Global Development, 14 juin.

2) Kenny, C. (2022). Good News: Africa Needs More Jobs While Europe Needs More Workers, Center of Global Development, January 1.

3) PopulationPyramid.net (2022). Population Pyramids of the World from 1950 to 2100, https://www.populationpyramid.net/world/2050/.

4) Ibid.

5) Soudan, F. (2021). La fin de la race blanche ? L’édito de François Soudan, Jeune Afrique, 5 juillet.

6) Celles-ci comprennent l’Internet des objets, l’énergie solaire concentrée, la blockchain, la nanotechnologie, les mégadonnées, la 5G, les biocarburants, les véhicules électriques, l’édition de gènes, la robotique, la technologie des drones, l’impression 3D, l’énergie éolienne, le biogaz et la biomasse, l’hydrogène vert, le solaire photovoltaïque et l’intelligence artificielle, dont huit sont directement liées aux TIC, labellisées technologies de l’industrie 4.0 dans la CNUCED. Voir CNUCED (2021). Rapport sur la technologie et l'innovation 2021.


 

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