News - 10.11.2017

Chaker vu par Habib Essid : Je n’étais pas chef du gouvernement, il n’était pas ministre...Mais, tout simplement, deux grands amis

Habib Essid: Je n’étais pas chef du gouvernement, il n’était pas ministre...Mais, tout simplement, deux grands amis

Cinq jours seulement avant sa tragique disparition, on était ensemble à Sousse, lors de la visite du président Béji Caïd Essebsi dans la région. Slim était, à son accoutumée, amical, cordial. Il était cependant fort préoccupé par l’état du secteur de la santé et m’en avait fait part. Mais, comme d’habitude, il était engagé de toute son énergie dans sa mission, plein de détermination à trouver les solutions appropriées, animé par un réel espoir d’y réussir.

En fait, je l’ai connu à travers quatre séquences successives.

La première, en janvier 2011, lorsqu’il avait été nommé secrétaire d’Etat au Tourisme, dans un contexte des plus difficiles. J’étais alors ministre de l’Intérieur et le voyais ferrailler pour maintenir la destination Tunisie et éviter l’effondrement de l’ensemble du secteur, ainsi que celui qui en dépend largement, l’artisanat. Le plan qu’il avait concocté en toute vitesse était utile et avait permis de tenir tant bien que mal, même après son départ, jusqu’à l’attentat du Bardo, en 2013.

La deuxième séquence, c’était en juin 2011, lorsqu’il avait pris le relais du Dr Mohamed Aloulou à la tête du ministère de la Jeunesse et des Sports. Il fallait trouver un bon profil capable de reprendre en main le département, s’occuper non seulement du sport, mais aussi et surtout de la jeunesse qui était au bord de la rupture, renouer le dialogue avec elle, réhabiliter les infrastructures sportives et les maisons des jeunes... En parfaite synergie avec la secrétaire d’Etat nommée à ses côtés, la championne de Tunisie de natation, Meriem Mizouni, il s’est attelé à la tâche. Ensemble, ils ont fait le tour de la Tunisie, visitant en minibus chacun des 24 gouvernorats (et chacune des maisons des jeunes), ce qu’aucun des autres membres du gouvernement n’avait fait, n’hésitant pas à passer la nuit à la maison des jeunes. Sans escorte en plus. Conscient des fortes sollicitations qui s’abattaient de partout sur les forces sécuritaires, il ne voulait guère les encombrer davantage par sa protection, me disait-il. Plus d’une fois, je lui en avais signalé les risques encourus, lui demandant de me prévenir de ses déplacements, en vain. J’en avais même avisé Sil Béji qui m’avait dit : «Laissez-le faire et faites de votre mieux». J’ai alors demandé à mes équipes de le suivre autant que possible.

La troisième séquence c’était, début janvier 2015, lorsque j’avais été chargé de former mon gouvernement. C’est tout naturellement à lui que j’ai pensé pour lui confier le ministère du Commerce et de l’Artisanat où un travail titanesque l’attendait. J’ai dû changer de fusil d’épaule, dans la deuxième version, de février 2015, en le nommant ministre des Finances. Dès la révélation de son nom, il était ciblé par un flot d’attaques, ce qui m’a confirmé dans ma conviction qu’il sera le bon ministre au bon poste.

Dès les premiers jours, sur la ligne de front à Dhehiba, puis Gafsa

La quatrième et dernière séquence gouvernementale sera donc celui de ministre des Finances. Dès le départ, point de répit. Je savais que je pouvais compter sur son engagement au service de l’Etat dans l’amorce de cette étape cruciale issue des élections de 2014. A peine avions-nous pris nos fonctions, le vendredi 6 février 2015, le gouvernement était confronté dès le lendemain même à une première grande crise. Des actes de violences éclataient à Médenine, Ben Guerdane... Puis le dimanche à Dhehiba, sur la frontière avec la Libye, faisant un mort et quatorze blessés. Une grève générale y était décrétée. Pour désamorcer la crise, apaiser la tension et établir le dialogue, j’avais immédiatement décidé d’y dépêcher, mercredi 12 février, une délégation gouvernementale conduite par Slim Chaker, et comprenant Yassine Brahim, ministre du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale. Tous deux rencontreront longuement des représentants de la société civile et essayeront d’aller présenter les condoléances du gouvernement aux parents du jeune Saber Meliane, décédé lors des affrontements. En vain. Ce n’est que tard dans la soirée et qu’une fois arrivés à Tataouine que la famille donnera son accord. Se répartissant les tâches avec Yassine Brahim, Slim Chaker rebroussera chemin pour se rendre auprès de la famille du défunt.Ce dernier geste aura un grand impact.

Ce ne sera que son baptême du feu. Quelques jours seulement après, éclatait une autre forte crise, cette fois dans le bassin minier. Gafsa était en ébullition. Tout était bloqué. Le siège de la CPG fermé. La tension était à son paroxysme. C’est encore Slim Chaker que j’envoie dans la région établir le dialogue avec la population et la société civile. Le plan qu’il réussira à présenter s’avère le plus approprié. Avec le recul, nous pouvons apprécier aujourd’hui toute sa perspicacité.

Le ministre qui prenait le plus de notes

Ainsi donc a démarré sa mission de ministre des Finances. J’ai toujours eu une totale confiance en lui. Nous avons un même caractère, un même sens de l’Etat. Ponctuel, franc et laborieux, il forçait le respect. Tous les deux, nous étions les premiers à arriver aux aurores à la Kasbah et les derniers à partir. Slim ne quittait jamais son bureau avant moi. A moins qu’il ne soit en déplacement, il était toujours fidèle au poste. A 90% des fois où je l’appelais, je l’y trouvais et il ne lui fallait que quelques minutes pour traverser la place pour venir me rejoindre. Il assistait pratiquement à tous les conseils ministériels restreints. D’ailleurs, il était celui qui prenait le plus de notes. Je le vois encore consigner de la main gauche, sur son cahier, tout ce qui se dit d’important, y ajoutant des commentaires, des données à vérifier ou des pistes à creuser.

Quand j’étais à l’étranger, je le chargeais de gérer la situation à ma place

Quand j’étais en mission à l’étranger, c’est souvent lui que je chargeais de conduire les affaires à ma place, et même de présider les conseils des ministres s’il devait se réunir en urgence, comme ce fut le cas lors des évènements de Kasserine en janvier 2016. J’étais à Davos, puis à Paris, et je l’avais chargé de gérer la situation.  Je m’étais organisé pour avoir des entretiens approfondis réguliers toutes les semaines avec des membres du gouvernement, et je réservais le samedi matin à un tête-à-tête de deux heures avec Slim Chaker, en plus d’autres rencontres au cours de la semaine. De 8 heures à 10 heures du matin, on passait ensemble en revue tous les dossiers. De concert, nous avons établi un tableau de bord des liquidités, un autre pour le suivi de la consommation et bien d’autres.

Il faut reconnaître qu’on doit à Slim Chaker, entre autres projets significatifs, celui de la modernisation de la Douane avec des crédits de pas moins de 92 MD. Différentes aides internationales ont été mobilisées en faveur de nombre d’actions, tel le don chinois pour l’acquisition des scanners récemment installés aux postes frontaliers.

Un vrai Stakhanov

Travailleur, il s’échinait à l’ouvrage, comme un vrai Stakhanov, ce célèbre mineur soviétique, alors cité en modèle d’acharnement au travail. Quand il avait subi une fois un malaise, je lui avais fortement recommandé de prendre quelques jours de repos. L’appelant au téléphone le lendemain pour m’enquérir de son état de santé, j’ai eu la surprise de le trouver au bureau. Slim Chaker, il est vrai, était d’un caractère fort. Il préparait bien ses dossiers et les défendait âprement. Mais, une fois confronté à un avis général (parfois, moi avec lui d’ailleurs), ou instruit de ma décision, il n’objectait guère de s’y rallier et de la mettre en œuvre, au mieux possible. J’ai perdu en lui un grand ami. Je n’étais pas le chef du gouvernement, il n’était pas le ministre. On était deux grands amis.

Habib Essid

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