Opinions - 18.09.2017

ITES : Les relations Tunisie - Union européenne Pour une approche en deux temps

ITES : LES RELATIONS TUNISIE - UNION EUROPEENNE Pour une approche en deux temps

A l’horizon 2030: «Tout sauf les institutions» Sur 5 ans: Un Plan «Type Marshall» Tunisie

Le peuple tunisien a, par la seule force de ses convictions, réalisé en janvier 2011 une révolution pacifique au cours de laquelle les aspirations populaires reflétaient les valeurs universelles de liberté, de dignité et de justice sociale.

Aujourd'hui, la transition démocratique tunisienne est à la croisée des chemins. Depuis 7 ans, la Tunisie a marqué une percée décisive matérialisée par l’adoption d’une constitution consensuelle et la tenue d’élections démocratiques avant la fin de l’année 2014. Encore fragiles sur le plan intérieur, ces acquis sont directement menacés par des lignes de fracture et de vulnérabilité conjuguées à un environnement géopolitique en restructuration amplifiant ces vulnérabilités intérieures.

La transition est gravement menacée par une économie fortement fragilisée générant des troubles sociaux en mesure de déstabiliser le pays et de porter atteinte à son intégrité territoriale. Les lignes de fractures intérieures sont susceptibles d’être exploitées opportunément par des acteurs intérieurs et extérieurs poursuivant des agendas politiques, criminels, mafieux et terroristes aspirant à l’échec de la transition démocratique tunisienne.

Non loin des frontières libyennes, avec un risque d’extension à la frontière algérienne, ces événements entraînent une dispersion des efforts de l’armée nationale et exposent le pays aux menaces projetées par le voisinage, notamment la menace terroriste et criminelle.

La déstabilisation de la Tunisie, dans un Maghreb tourmenté, porterait directement atteinte à la sécurité de l’Europe. La sécurité de la Tunisie, îlot démocratique, c’est la sécurité de l’Europe.

Les derniers attentats terroristes qui ont endeuillé les deux rives de la Méditerranée et la vague migratoire sans précédent qui submerge l’Europe nous rappellent qu’au-delà de la convergence de nos intérêts, doit prévaloir la communauté de nos destins. Cette communauté s’inscrit dans la continuité des relations historiques et singulières de l’Union Européenne avec la Tunisie, premier pays ayant signé les Accords d’Association. Ces relations ont progressivement permis de lever les verrous quant aux Droits de l’Homme et à la démocratie, distinguant la Tunisie qui, avec près de 80% de ses échanges économiques tournés vers l’Europe, est plus étroitement intégrée à l’Union Européenne que certains pays membres. De fait, la Tunisie répond pleinement aujourd’hui aux critères de Copenhague.

Si la Tunisie continue de bénéficier d’un fort courant de sympathie, l’appui de la communauté internationale en général et de l’Union Européenne en particulier a été pour le moins parcimonieux, malgré un certain nombre d’engagements: en juin 2011, le G8 a adopté une résolution pour un plan de soutien à la Tunisie considérée comme bien public universel. Plus récemment, en septembre 2016, une commission du Parlement Européen appelait à un Plan «Marshall» Tunisie.

Certes, les transitions démocratiques engendrent souvent une perte de croissance avant la reprise. La reprise tarde du fait, notamment, du contexte géopolitique et sécuritaire. La révolution n'a certes pas de prix, mais elle a un coût. Le risque est que l’UE attende que la Tunisie ait achevé sa transition pour l'aider, alors qu’elle a besoin de cet appui pour éviter que cette phase récessive ne dure trop longtemps, ce que ni son économie, ni sa société ne peuvent endurer.

La Tunisie, en première ligne dans la lutte anti-terroriste aux frontières Sud de l’Europe, puise avant tout dans ses propres ressources morales et matérielles. ll est néanmoins essentiel que l’UE marque davantage sa solidarité et son appui. Dans ce cadre, il convient de souligner que, s’il est vrai que le terrorisme frappe tous les pays, pour la Tunisie, il représente un danger mortel compte tenu du contexte régional et de la situation spécifique de l’économie tunisienne qui, avec un taux d’ouverture parmi les plus élevés au monde, dépend pour une très large part de ses connexions avec l’Europe (industries, tourisme, services, etc.). La stratégie des mouvements terroristes consiste précisément à rompre ces connexions et à tuer dans l’œuf la démocratie naissante en Tunisie.

Ces développements dictent un sursaut via la conceptualisation d’une nouvelle relation à l’Europe transcendant le cadre de la Politique Européenne de Voisinage qui, en dépit du principe de différenciation, relègue la Tunisie à un pays parmi tant d’autres diluant ainsi toute sa singularité parmi les pays de la rive sud de la Méditerranée. Tel quel, ce partenariat n’est pas en mesure d’offrir l’élan décisif apte à permettre à la Tunisie d’assurer sa sécurité, de relancer durablement son économie et d’assurer sur le long terme son ancrage démocratique.

C’est dans un cadre stratégique amélioré que doivent, à notre avis, se situer les relations entre la Tunisie et l’Union Européenne qui devraient se baser sur deux axes principaux:

  • A l’horizon 2030: «Tout sauf les institutions»: statut de candidat à l’adhésion sans adhésion;
  • Sur 5 ans: Un Plan «Type Marshall» Tunisie.

«Tout sauf les institutions»

Notre ambition de tracer l’objectif ambitieux de quasi-adhésion de la Tunisie à l’UE (tout  sauf les institutions) se justifie amplement par les considérations précédentes. Il est, en outre, conforté par la réussite de l’expérience de la zone de libre échange (ZLE) Tunisie – UE, le bilan de cette expérience sur plus de 20 ans (1995 – 2016) étant gagnant-gagnant. Ainsi, si la Tunisie a plus que triplé ses exportations vers l’UE durant la période retenue, l’UE a plus que doublé ses exportations vers la Tunisie, devenue le premier pays Sud Méditerranéen d’implantation de PME européennes. Plus de 3000 entreprises européennes implantées constituent autant de partenariats ayant renforcé leur compétitivité vis-à-vis de la concurrence asiatique en particulier.

«Tout sauf les institutions » serait un accord d’intégration approfondie et globale avec l'UE dépassant le cadre du statut avancé et du partenariat privilégié. Il se traduirait par tous les droits et obligations d’un pays membre sauf la représentation dans les institutions. C'est-à-dire en particulier:

  • La libre circulation des personnes et des biens (cela voudra dire notamment que les tunisiens seront exemptés de visas et que toutes les restrictions aux échanges de biens et services seront levées de part et d’autre);
  • L’accès aux fonds structurels, aux fonds régionaux, aux fonds d’appui à l’innovation et à la R&D, la reconnaissance des diplômes, le plein accès au programme Erasmus, etc. 

Ce saut qualitatif est d’autant plus nécessaire que le partenariat entre la Tunisie et l’UE, théoriquement de haut niveau, stratégique et privilégié ne répond pas en réalité à ces qualificatifs. Il constituerait pour la Tunisie un objectif mobilisateur amplifiant la visibilité de l’Union Européenne auprès de l’opinion publique tunisienne.

De fait, depuis 2011, l’UE a accordé à la Tunisie 1,2 milliard d’euros sous forme de dons et 800 millions à titre de prêts concessionnels, ce qui conduit de nombreux observateurs à estimer que l’UE semble ne pas avoir réalisé, suffisamment à temps, que la Tunisie constitue une pièce maîtresse pour la stabilité dans la région et que, pays singulier, elle devrait bénéficier d’une attention particulière.

Cet objectif ambitieux, « tout sauf les institutions », proposé à l’horizon 2030, devrait être précédé, à un horizon plus court, 5 ans, d’un Plan « Marshall » Tunisie qui comprendrait, outre un appui financier significatif, un certain nombre de facilitations constituant un pas vers l’objectif final.

Le Plan « Type Marshall » Tunisie

Il s’agirait d’un programme d’appui international au sein duquel l’UE prendrait une large part, aux côtés de l’ensemble des bailleurs de fonds internationaux, en appui au Plan tunisien de développement économique et social 2016-2020.

Ce Plan, ainsi que l’étude « La Tunisie en 2025 » menée par l’ITES, visent à engager la mise en œuvre d’un nouveau modèle de développement, plus équilibré régionalement, plus inclusif socialement, plus durable écologiquement et plus ambitieux en termes d'intégration à l’Europe.

Il a fondamentalement pour ambition de préserver le modèle sociétal tunisien bâti sur l'autorité de l’Etat de droit, la démocratie, le rôle central joué par les femmes, la quête de plus de justice sociale et de libertés individuelles et une éducation fondée sur des valeurs universelles et porteuse de modernité. Il érige la jeunesse en cause nationale transversale. Il vise également à ériger la Tunisie en plateforme de production et d’innovation, une véritable Euromed Valley, le Nearshore européen des industries et des services à forte valeur ajoutée.

Ce Plan se compose d’une série de grandes réformes et de nombreux projets relevant de tous les secteurs et de toutes les régions du pays répartis en 5 axes:

Axe 1 : La lutte contre le terrorisme;

Axe 2 : Le développement éthique de la gouvernance publique et la lutte contre la corruption;

Axe 3 : L’initiative pour la croissance, l’innovation et l’emploi; l’éducation, la formation professionnelle et la recherche scientifique;

Axe 4 : Le plan Ambition Régions;

Axe 5 : Le Plan Vert: Energie, Eau, Agriculture, Ressources naturelles, environnement et développement durable;

Axe 6 : Le Nouveau Contrat Social.

Ce Plan prévoit en particulier un effort massif d’investissements publics et privés (Sécurité, Infrastructures, Désenclavement des Régions, Education/Formation/Recherche scientifique, etc.). Les besoins de financement sont de l’ordre de 60 milliards d’euros sur 5 ans.

Pour y faire face, la Tunisie comptera tout d’abord sur ses propres forces. L’épargne nationale représentera les 2/3 des besoins tout en ayant besoin inévitablement de financements extérieurs (IDE, Emprunts et Dons) couvrant les 1/3 de ces besoins.

Le Plan « Type Marshall » Tunisie s’élèverait donc à 20 milliards d’euros sur 5 ans. Ceux-ci se décomposent en emprunts concessionnels pour 11 milliards d’euros, en Investissements Directs Etrangers pour 6,5 milliards d’euros et en dons pour 2,5 milliard d’euros. 

La conférence «Tunisie 2020», organisée à Tunis en Novembre 2016, a déjà permis de mobiliser près de 50 % de cette enveloppe (entre accords signés et promesses). Il s’agit de parachever l’action.

Au-delà de ce volet purement financier, le Plan «Type Marshall» Tunisie comprendrait un certain nombre de mesures, notamment:

  • L’assouplissement des restrictions à l’entrée au marché européen pour certains produits tunisiens (simple transformation pour les produits textiles, relèvement des quotas d’huile d’olives, etc.);
  • Le parachèvement des négociations, en cours, sur la libéralisation des échanges agricoles et des services (ALECA);
  • Le relèvement des quotas migratoires;
  • L’accroissement du nombre d’étudiants tunisiens dans le cadre du programme ERASMUS, etc.

Enfin, si la crise libyenne constitue actuellement un grave danger, elle est susceptible demain, une fois résolue, de se transformer en opportunité dans le cadre du vaste chantier de reconstruction à venir. L’engagement d’une stratégie de partenariat entre la Tunisie et l’UE dans ce domaine pourra être profitable aux deux parties qui, compte tenu de leurs atouts respectifs, pourront faire face efficacement à la vive concurrence des autres intervenants aspirant à se positionner sur la scène libyenne, à l’instar de la Russie, de la Chine, de l’Inde, de la Turquie, de l’Egypte, etc.

En résumé, nous soulignerons cinq raisons majeures justifiant une relation exceptionnelle de l’UE à la Tunisie:

1- Le Monde est en récession démocratique depuis plus de 10 ans. La Tunisie s’érige en exception.  Elle doit, de ce fait, être considérée comme « un bien public universel » et devenir une cause européenne;

2- Si la Tunisie, aux avant-postes de la lutte anti-terroriste, était déstabilisée, c’est l’Europe qui le serait également dans son sillage. Pour l’UE, investir sur la Tunisie serait rentable et moins coûteux que la passivité. «Lorsqu’on parle de guerre, on parle en milliards d’euros, lorsqu’on parle de développement, c’est en millions d’euros»;

3- la Tunisie se distingue dans son environnement et au sein de la rive sud méditerranéenne en ayant érigé la lutte contre la corruption en priorité nationale. S’attaquer au crime organisé, fléau du XXIème siècle, constitue une cause nationale qui doit être appuyée par l’UE en tant que composante d’une intégration plus poussée;

4- Pays méditerranéen, ouvert, économie compétitive, la Tunisie a pleinement réussi la mise en place d’une ZLE avec l’UE, respectant toutes ses obligations, c’est donc un pays fiable disposant d’atouts importants et offrant de nombreuses opportunités d’investissement et de partenariat;

5- La Tunisie, à la croisée de l’Europe, du Maghreb et de la profondeur sahélienne, peut s’ériger en Etat pivot valorisant ses atouts vis-à-vis des pays du Sahel africain et relais de l’influence européenne dans le cadre de partenariats triangulaires gagnants-gagnants. Ce potentiel pourrait être dopé par une habile insertion de la Tunisie dans le projet chinois de routes de la Soie (OBOR) valorisant son attractivité auprès du partenaire européen et amplifiant la marge de manœuvre et de négociation des autorités tunisiennes.

Cette relation exceptionnelle pourrrait être intitulée « Partenariat 21 (pour XXIème siècle) ou «Partenariat pour l’avenir».

 

Tunis, 17 septembre 2017

Ce travail a été réalisé sous la coordination de M. Mehdi Taje. La Task Force était constituée de:

M. Mehdi TAJE, directeur du Département Politiques Publiques, Etudes Stratégiques et Prospectives de l’ITES ;

M. Afif CHALBI, ancien ministre, expert en économie ;

M. Ridha FARHAT, ancien ambassadeur,expert en géopolitique ;

M. Habib LAZREG, ancien ministre, expert en géopolitique ;

M. Hadi BEN NASR, ancien ambassadeur, expert en diplomatie et géopolitique ;

M. Mohamed HSSAIRI, ancien ambassadeur, expert en géopolitique ;

M. Mondher KHALED, expert en planification stratégique.

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