News - 11.10.2015

Salem Hamdi: Gestion de l'eau, cette pratique historique en Tunisie !

Salem Hamdi: Une  pratique historique !

Les grandes civilisations de l’histoire se sont toujours développées autour d’une ressource vitale : l’eau. Celle-ci est indispensable pour les besoins en eau potable, en eau d’irrigation et en eau pour l’industrie. Des civilisations comme celles de l’empire romain, des phéniciens et de l’Egypte antique furent toutes fondées sur la facilité de leur accès à l’eau.

Sans le Nil, un désert immense s’étendrait de la mer Rouge à l’océan Atlantique. L’existence de l’Egypte a été conditionnée par celle du Nil, ce qui explique la forte densité démographique de cette région et la succession de cultures qu’elle a connues. Les populations, pratiquant la lutte contre la sécheresse par nomadisme en  fuyant les régions arides, ont trouvé refuge au cours des siècles le long des berges du Nil.

En Tunisie, la Medjerda, seul cours d’eau pérenne du pays, prend sa source  depuis Souk Hras en Algérie. Principale source d’eau du pays, elle a joué un rôle stratégique dans le développement de celui-ci et a poussé à la fondation des villes de Chemtou et Utique, mais aussi dans une moindre mesure Carthage et Tunis à proximité de la partie aval de l’oued.

L’empereur Hadrien a décidé de ramener l’eau à partir des ressources hydriques des massifs montagneux du Djebel Zaghouan et du Jouggar au moyen d’un imposant aqueduc «El hanaya» qui véhiculait les eaux vers les citernes de la Maalga, situées sur les hauteurs de la colline de Carthage. L’aqueduc comporte deux branches : l’une provenant de Zaghouan, l’autre de Jouggar, ces deux branches se réunissent à Mograne. La longueur totale de l’aqueduc de sa source jusqu’à Carthage, y compris les diverses ramifications, est de 132 kilomètres.
La majeure partie du territoire tunisien est en zone semi-aride à aride, 73% des terres agricoles sont en zone aride ou semi-aride où les précipitations annuelles ne dépassent guère 300 mm. Cette situation  géoclimatique difficile n’a pas empêché  la Tunisie de participer d’une manière notable au développement des principales civilisations de la Méditerranée. Les principales époques carthaginoise, romaine et arabo-musulmane ont fait de la Tunisie un épicentre de développement agricole. La Tunisie a su convenablement gérer ses ressources en eau, limitées, aléatoires, et géographiquement inégalement réparties : les transferts d’eau sur de longues distances existent depuis l’Antiquité. Les pénuries conjoncturelles et structurelles sont des réalités anciennes dont la Tunisie a appris à gérer les conséquences néfastes.

Les savoir-faire traditionnels sont variés, la présence des citernes enterrées (mejels) utilisées pour la collecte des eaux pluviales est le témoignage d’une tradition très ancienne en Tunisie pour l’exploitation de ces eaux, surtout pendant les périodes sèches. Le nomadisme fut un mode de vie adapté aux conditions climatiques variables dans les zones les plus affectées par la sécheresse, essentiellement le Centre et le Sud, où la population se déplace d’une région à une autre pour minimiser les incidences négatives  de la sécheresse.  Les « Jessours » berbères de Sned, Matmata et Segui et les ouvrages romains et arabes répartis sur tout le territoire montrent une prise de conscience des populations tunisiennes successives de la nécessité d’assurer une gestion appropriée de l’irrégularité des ressources hydriques. 

L’agriculture, un secteur déterminant de la  sécurité alimentaire, est amplement dépendante de la disponibilité de l’eau. L’agriculture tunisienne – très consommatrice d’eau – utilise plus de 80% de nos ressources hydriques mobilisées. De ce fait, la stratégie de développement agricole devrait impérativement tenir compte du contexte de la rareté de l’eau.  En effet, les études montrent que les niveaux des besoins atteindront la limite disponible des ressources hydriques en l’an 2030, dans le cas d’une hypothèse optimiste. La politique agricole tunisienne est parvenue à mobiliser environ 95% de l’eau exploitable (pluviale et souterraine) par la création de barrages, de lacs collinaires et de forages.


ÚL’accroissement futur de la population et ses besoins se manifestera par une demande supplémentaire en eau pour la satisfaction des besoins en eau potable ainsi que des besoins de l’agriculture, de l’industrie et du tourisme. Aussi le conflit sera inévitable et l’arbitrage en matière d’allocation de la ressource exigera la recherche d’autres ressources non conventionnelles telles que le dessalement et le recyclage  des eaux usées traitées. Les nappes du Cap Bon, de Kairouan, de Sidi Bouzid et de Kasserine sont surexploitées depuis plusieurs années malgré les lois d’interdiction en vigueur. Leurs conditions d’exploitation se sont vraisemblablement encore dégradées depuis la révolution de 2011. L’administration tunisienne n’est plus en mesure de contrôler et/ou de réprimer les créations illégales de puits. Depuis, plusieurs puits ont été creusés sans autorisation, et une lutte contre les sources de contamination éventuelle (déchets industriels, ménagers, agricoles, etc.) par l’instauration d’une coopération horizontale entre les différents acteurs doit être instaurée et réglementée.

L’agriculture irriguée est pratiquée sur environ 450 000 ha – soit environ 10% de la superficie labourable-dont 240 000 ha sont dans des périmètres publics irrigués, alors que 210 000 sont irrigués à partir de puits de surface et de sondages. L’agriculture irriguée contribue largement à la sécurité alimentaire tunisienne en fournissant en moyenne aux alentours de 35%  de la valeur de la production agricole, alors que l’objectif national  est d’atteindre 50%. Elle participe à environ 95% de la production maraîchère et 30% de la production laitière. Elle contribue à hauteur de 20% de la valeur des exportations agricoles et compte pour 20% dans la création d’emplois en agriculture. Malgré l’importance de la contribution de l’agriculture irriguée dans la sécurité alimentaire, ce secteur subit une dégradation continue de ses principaux facteurs de production : la vétusté des réseaux d’irrigation, la mauvaise gestion de l’eau, l’hydromorphie des périmètres irrigués, la salinisation des eaux souterraines, et la perte des pressions des nappes… 

La Tunisie présente une situation particulièrement vulnérable du fait de ses ressources naturelles limitées, surtout ses ressources hydriques, son climat caractérisé par une aridité et une forte variabilité du nord au sud, et une désertification accélérée. Certaines productions agricoles (céréaliculture, oléiculture, élevage et cultures maraîchères …) pourraient ne pas survivre aux conditions climatiques extrêmes prévues par le phénomène du changement climatique. Des risques sérieux pour l’économie peuvent en découler. Les quatre années sèches de 1998 à 2001 ont été très difficiles à gérer sur les plans économique et social. 

Les régions côtières de la Tunisie centrale (pôles de Sousse, Sfax et Tunis) se caractérisent par l’insuffisance de leurs ressources hydriques pour satisfaire leurs besoins en eau potable et en eau pour les activités agricoles, industrielles et touristiques.  
A l’image du transfert d’eau pratiqué par les Romains par l’aqueduc aérien reliant Zaghouan et Jouggar à la ville de Carthage (Tunis), l’eau est aujourd’hui transférée de l’extrême nord, du nord et du centre vers les grandes agglomérations de la côte Est dans des conduites aériennes et/ou  souterraines. Ce qui montre que depuis les anciennes civilisations jusqu’à nos jours, le progrès humain est conditionné par la maîtrise des techniques de mobilisation des ressources en eau et de leur bonne gestion.
Les régions du littoral à l’Est du pays, concentrant plus de 90% de l’activité économique nationale, requièrent un transfert d’eau à partir des barrages du Nord et de l’extrême Nord du pays ainsi qu’à partir des nappes de la Tunisie centrale. L’envasement progressif des barrages, le pompage intensif des nappes du centre et les ouvrages complexes mis en place pour l’acheminement des eaux sur de longues distances durant plusieurs décennies commencent à montrer leurs limites.

Aussi s’oriente-t-on aujourd’hui vers l’utilisation des ressources propres à chaque région en recourant aux techniques de dessalement, aux traitements appropriés des eaux usées ainsi qu’à la recharge des nappes et/ou à un transfert onéreux de l’eau du Nord et de l’extrême Nord par des conduites traversant certaines montagnes de l’Ouest du pays ou dans la mer longeant la côte Est ? La réponse pourrait être élucidée par une étude technico-économique «eau 2050» ! D’ici là les experts de l’Unesco «placent la Tunisie dans la catégorie des pays qui auront des problèmes sérieux d’eau à l’horizon 2025».

Salem Hamdi


 

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