Opinions - 03.07.2015

A quoi sert une loi contre le terrorisme si le takfir et l’appel au jihad ne sont pas criminalisés ?

A quoi sert une loi contre le terrorisme si le takfir et l’appel au jihad ne sont pas criminalisés

On nous dit que le terrorisme en Egypte est la réponse au coup d’Etat et voilà qu’on le voit prospérer en Tunisie ; qu’il est fils de la misère et il frappe le Koweït, l’un des pays les plus riches ; qu’il exprime un rejet sans appel de la dictature et il frappe en France, en Espagne, en Grande Bretagne pays de la démocratie ; que c’est une vengeance contre les régimes impies et il s’abat sur l’Arabie Saoudite wahhabite…
On n’arrête pas de nous dire que le terrorisme n'est pas spécifique à la Tunisie ; mais, un constat s’impose. La guerre criminelle et dévastatrice menée par le terrorisme contre la Tunisie, l’Egypte, l’Irak, la Syrie, la Lybie et au-delà, la France et ailleurs… se réclame de l’islamisme sous toutes ses formes et se fait au nom d’Allah et au nom du djihad ! Les horribles tueries du Bardo et de Sousse comme celles dont sont victimes nos soldats et nos policiers plongent le pays dans un deuil sans fin, font fuir non seulement les investissements mais aussi les touristes qui constituent l’une des ressources les plus importantes de notre économie.

Si les méthodes, le mode organisationnel, les stratégies diffèrent entre les Frères musulmans, les sahwistes, les salafistes djihadistes dans leur diversité et les da‘ichistes, les bases doctrinales auxquelles ils s’abreuvent sont les mêmes. Ces dernières constituent le socle commun permettant l’établissement des passerelles entre ces groupes et mouvements. Quand bien même ils se disputent le leadership, tous se réclament, à un degré ou à un autre, d’Hassan al-Banna, fondateur de l’organisation des Frères musulmans en 1928 et Sayyed Qutb, continuateur de l’œuvre du maître. Soulignons au passage qu’Oussama Ben Laden, fondateur d’Al-‘Qaïda et son successeur Ayman al-‘Dawahiri comptent parmi ceux qui ont grandi à l’ombre de ces idéologues.

Les thèses développées par Hassan al-Banna et Sayyed Qutb, il suffit de prendre la peine de les lire, s’attaquent à l’Etat-nation moderne, appellent à sa destruction et justifient l’assassinat de ses serviteurs et de ses défenseurs. Tout le monde se souvient encore du coup de colère de Mahdi ‘Akef (en 2009), le précédent morched al-‘aam de l’organisation mondiale des Frères musulmans, qui à la suite d’un tonitruant toz fi Masr (au diable l’Egypte) s’est empressé d’ajouter : peu importe que l’Egypte soit gouvernée par un Indonésien ou un Malais, pourvu qu’il soit un bon musulman!

Dans son livre intitulé Idaratou al-Tawahhoch (La Gestion de la Barbarie), Abu Bakr Naji, idéologue de Daech, se réfère clairement à la pensée takfiriste (accusation d’apostasie) et djihadiste de Sayyed Qutb avant de développer sa vision stratégique. Cette dernière consiste à provoquer le chaos et le retour à l’Etat de nature, une situation qui, je cite : rappelle l’état de l’Afghanistan avant sa soumission aux Talibans. Un espace géographique soumis à la loi de la Jungle, dans son état le plus primitif, et dont les populations sont prêtes à se soumettre à n’importe quel maître pour peu qu’il soit en mesure de gérer cette barbarie (page 11). A ce stade dit-il, tous les peuples sont prêts à se soumettre.

En décrivant, dès 2011, la Tunisie comme un pays victime de « désertification religieuse » (tasahhor dini), les hauts dirigeants de Harakatou al-Nahdha ont donné le signal que c’est un pays ouvert aux prédicateurs et au terrorisme islamiste. A cet égard, l’accusation d’apostasie, qui a connu ses jours de gloire depuis le retour des nahdhaoui sur la scène publique, désigne en termes codés les personnes ou les groupes de personnes dont l’exécution physique est non seulement licite mais elle ouvre la porte du paradis aux assassins.
Il y a deux ou trois ans, un très haut responsable des frères musulmans de Tunisie avait encouragé publiquement les jeunes Tunisiens à partir combattre en Syrie. Ce n’est probablement pas fortuit. Rappelons que, dans les années 30, pour doter son organisation d’une force de frappe, Hassan al-Banna avait envoyé des Egyptiens combattre en Palestine. A leur retour, il en a fait ce que les frères musulmans appellent al-tan‘dhim al-khass : une milice armée, aguerrie au combat, toujours prête à agir. Beaucoup plus récemment, les Frères musulmans se sont dotés de deux structures ‘qism al-wahadat, et ‘qism al-‘qadha. La première structure a pour mission d’infiltrer l’armée et la police, la seconde est chargée d’infiltrer la justice. C’est la stratégie du tamkin (renforcement des positions) qui le veut.
Cette parenthèse survole rapidement quelques-uns des défis sécuritaires auxquels fait face le pays. La loi contre le terrorisme et le blanchiment d’argent ne peut pas les ignorer.
En trois ans, l’ANC, transformée en parlement légiférant, avait jugé antidémocratique la loi antiterroriste de 2003 mais n’a point estimé utile et urgent de l’amender ou de la remplacer. Sept mois se sont écoulés depuis l’élection de la nouvelle Assemblée nationale du peuple (ANP). Les députés ne sont toujours pas arrivés à se mettre d’accord sur un texte de loi qui prenne en compte les différents «ingrédients» qui rentrent dans la structuration du terrorisme et ce, en vue de décliner le panel des mesures nécessaires à sa mise hors d’état de nuire.

Jusqu’à maintenant, les raisons réelles du blocage n’ont jamais été clairement énoncées ; pourtant, cela aurait permis à la société civile d’en débattre et de peser de tout son poids pour faire bouger les lignes…

S’agissant des terroristes, les multiples témoignages dont nous disposons nous parlent de jeunes personnes « normales » qui, au bout de quelques semaines ou quelques mois, mis à profit pour le lavage de leur cerveau et un entraînement intensif au maniement des armes, se trouvent propulsés avec fracas sur l’avant-scène du crime. Dans ces conditions, serait-il raisonnable de ne pas mettre sous le coup de la loi les personnes et les organisations ayant présidé à leur endoctrinement. A quoi servirait une loi antiterroriste si, au nom de la liberté d’expression, cette loi ne criminalise pas le takfir, l’appel au djihad, ses instigateurs et ses promoteurs?

En l’absence d’un large accord sur ce point, nous serons en présence d’une loi bancale laissant la porte ouverte au complot contre la stabilité et la sécurité du pays. Espérant que la raison l’emporte et que les textes à adopter soient sans équivoque.

Dans le cas contraire, les responsables de l’échec du passage de la loi devront être connus de tous. Peut-être faudra-t-il penser aussi à une consultation populaire, à un retour aux urnes, avec la question sécuritaire comme thème central de la campagne électorale. Dans la conjoncture actuelle, cela conduira à réduire le poids électoral de ceux qui s’acharnent à maintenir la situation de blocage en guise de statuquo.

Ce n’est qu’alors qu’il sera possible de protéger notre jeune démocratie et de relancer, par la même occasion, notre machine économique qui, elle aussi, peine à redémarrer…

Jallel Saada
3 juillet 2015

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1 Commentaire
Les Commentaires
Megdiche - 05-07-2015 13:53

Bravo!!! Qu'est ce qu'on attend pour écouter les bonnes paroles? Il ne faut pas être fin politicien pour savoir que le vers est dans le fruit. Personnellement j'appelle toutes les femmes et tous les hommes epris de liberte en Tunisie de descendre dans la rue et de crier fort et haut que la solution est toute simple:couper tous les relais des barbares dans l'Etat (admin. Police. Armée.etc) et récupérer tout l'argent qui finance de près ou de loin la violence.

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