Lors de "Sidi Romdhan", ces habitudes tu changeras…

Sidi Romdhan" est là! Inchallah Mabrouk 3lina we 3la Omet Sidna Mohamed El koll. (إن شاء مبروك علينا وعليكم وعلى أمة سيدنا محمد الكل). Mise à part sa pieuse dimension, ce mois saint est le moment où certaines habitudes reprennent le pas sur le quotidien et nous voilà, l'espace de quelques semaines, plongé dans une atmosphère bien particulière.

En Tunisie, Ramadan est spécial (mais je pense que chacun dira la même chose pour son pays) et avec les années, nous avons pu garder l'essentiel de nos habitudes. Toutefois, ces dernières années ont connu sur certains aspects quelques changements pour "faire avec son temps" et en Tunisie, nous sommes bien placés pour savoir que le "Changement" n'a pas été la meilleure chose qui nous soit arrivé...

De ces habitudes qui changent et qui n’évoluent pas (c’est le nostalgique qui parle0, j'en garde quatre...

Du cœur dans tes vœux tu y mettras...

Comme lors de toute occasion religieuse, Sidi Romdhan est l'occasion pour s'échanger les vœux. Une forme de raffermir les liens familiaux et sociaux. De haut de mes quarante-deux ballets, j'ai pu constater que, sur ce point, les us des Tunisiens ont bien évolué. On n'y a pas mis fin, mais on le fait avec moins de cœur au point de desservir la tradition. Deux facteurs en sont la cause: le développement des TIC et la crise économique. Je m'explique.

Au commencement, il y a eu le téléphone. Sidi Romdhane offrait ce plaisir d'entendre la voix d'une tante éloignée, d'un ami d'enfance ou d'un cousin expatrié. Vint le 3310 qui a consacré la naissance du SMS. On ne se parle plus, on s'écrit. Pas de belles lettres, mais des "Short messages". Plus le temps, plus l'envie? Va savoir! Le coup de grâce à l'institution fût portée par la fonction "envoie à tous les contacts". C'est efficace. Très efficace même. Mais, je me suis toujours demandé si ceux qui utilisent cette technique se rendent compte que leurs messages sont envoyés aussi vers numéros fixes?

Crise économique oblige, les sms commencent à coûter cher. Heureusement que Zuckerberg a développé son Facebook. Aujourd'hui, un copier-coller d'un statut d'un ami, un clic et voilà tes vœux qui apparaissent sur le mur de tous tes amis qu'ils soient Tunisiens, étrangers, Musulmans, Chrétiens, Juifs, Bouddhistes, etc. 

Une seconde et nous voilà débarrassés de ce fardeau, Les liens sociaux sont sacrifiés sur l'autel de "vite fait, bien fait". Justement, ce n'est pas bien fait. 

On n'ose pas arrêter les amabilités, mais on en fait le minium et le plus rapidement possible: trois secondes clic compris!

Donc osons plus de cœur….et moins de facebook… 

Du poids, point tu n'en perdras...

Pour faire la transition avec ce qui précède, Il y a un vœu qu'on s'échange fréquemment à l'occasion de l'avènement du mois saint, à savoir "Inchallah tsoumou bessa7a" (إن شاء الله تصومو بالصحة)**.

Un vœu qui n'a jamais été aussi proche de la vérité, car effectivement, avec sidi Romdhan et contrairement à ce que certains puissent espérer, chacun d'entre nous (du moins la majorité) finit toujours par yhezz sa7tou (يهز صحتو) (prendre du poids pour les plus francophiles d'entre nous).

Il y a toujours cette croyance que du fait qu'on jeûne, on va forcément perdre du poids. Je suis même prêt à parier que beaucoup de personnes caressent déjà l'espoir de faire disparaitre le petit poignet d'amour ou les ourlets qui pendent de ventre. 

Ainsi, si tu comptes faire le buzz sur la plage en misant sur ton esthétique, c'est peine perdue, à moins que tu daignes sacrifier l'incontournable Brika ou le Tajine Malsou9a (طاجين ملسوقة) ou encore les succulentes m5are9 (مخارق). 

Les fondateurs du temple culinaire tunisiens avaient un principe simple qui combinait cuisine et beauté, à savoir que cette dernière est une fonction proportionnelle du gras. Une femme est belle si elle est bien en chair (d'ailleurs, ce n'est pas pour rien qu'on dit ما زال في وجهي ما نوري، وفي زندي ما نعري ) et pour l'homme, plus il a de la pastèque, plus il est heureux. 

Donc profitez-en et après tout vous savez ce qu'on dit: la beauté qui compte est la beauté intérieure!

Du "M5are9" (مخارق) Béja à Kébili tu n'y trouveras...

Bien que la pâtisserie moderne ait connu un vrai boum en Tunisie avec notamment la floraison de toutes les "Madame" possibles et imaginables, le "Ftairi" reste incontournable. Heureusement, il a su résister à toutes les mutations du TIC, TAC, etc. y compris le bug de l'an 2000 et j'avoue que j'en suis ravi.

Lors du mois saint, tu trouveras placardé sur les vitrines de toutes les fetairia de la Tunisie "Ici, se vendent les m5are9 de Béja". Je pense que même ceux de Béja commencent à s'y mettre aussi, histoire de bien marquer leur territoire.

Alors forcément, tu es intrigué. Tu te demandes s'il a changé de recette? Est-ce que la corporation des fetairia de Béja s'est éparpillée dans les quatre coins du pays pour transmettre un savoir-faire bientôt mi-millénaire? Est-ce qu'il ramène les m5are9 spécialement de Béja? Tu es d'autant plus interloqué qu'au goût tu ne notes aucune différence avec ce que tu as l'habitude de lui acheter. Evidemment, la pancarte disparait aussitôt le mois saint est terminé. 

Au fond, c'est sympa cette tradition. Beaucoup de gens continuent à y croire qu'il n'y a pas mieux que le pain d'une telle boulangerie aux Halfaouines, ou que les meilleurs Fricassés sont chez un tel aux sabbaghine et que la meilleure citronnade est chez Victor. A défaut d'être vrai, cela rend hommage à nos artisans et aux produits de notre cru. 

Avec "EL Aouada" (العوادة), désormais ton café tu boiras...

Après la chute du mur de Berlin et l'avènement de la mondialisation, s'il y a un secteur qui a fait flores en Tunisie, c'est bel et bien celui des salons du thé. Il est long le chemin parcouru depuis l'ouverture de la très sympathique "Petite Suède" où on pouvait vraiment goûter à des nouvelles saveurs du thé autres que les traditionnels thé vert et thé rouge.

Le développement rapide des quartiers Ennasr et du Lac ont propulsé l'industrie des salons du thé aux sommets. Il faut dire que du thé, ils n'ont gardé que le nom. Ils sont un peu fourretout: café, crêperie, restaurant, etc. Le café ne doit être que Lavazza et le thé est redevenu vert avec deux variantes possibles, soit aux amendes soit aux pignons. C'est O-B-L-I-G-A-T-O-I-R-E!

Alors depuis quelques années, ces salons ont eu l'idée de transformer leurs locaux, lors du mois saint, en véritables salles de fêtes. Tu y vas avec un copain pour prendre un café, tu te retrouves dans une "Outtia" (وطية) sans la mariée. Une Aouada عوادة (troupe musicale orientale), des haut-parleurs au maximum, danse, chants, déambulage sur les tables. Bref! La foire. 

Comme cela ne suffit pas, ces salons ont poussé le "vice" plus loin en optant pour une carte dont la moindre boisson s'écrit avec quatre zéros. Ainsi, une sortie entre deux couples avec deux cafés et deux thés et voilà le chéquier dégainé. Si les dames veulent des gâteaux, là point de salut que la demande d'un crédit!

Sidi Romdhan reste un moment unique dans l'année. Les rues désertes à l'approche du Moghreb, les villes qui renaissent la nuit, Hchichet Romdhane (حشيشة رمضان), les soirées familiales, les feuilletons tunisiens, etc. Des moments extraordinaires dans lesquels, je continue à croire, la majorité d'entre nous revivent avec beaucoup de plaisir... Puisse cela durer l'éternité... Inchallah!

إن شاء الله رمضانكم مبروك وسنين دايمة علينا وعليكم

Mohamed Fayçal Charfeddine

*"Sidi Romdhan": Ramadan
**Que vous jeûniez en bonne santé avec la volonté du dieu