Opinions - 11.12.2012

Foued Mebazaa: Je me prends à rêver

Le 13 décembre 2011, Fouad Mebazaa, président de la République par intérim cesse officiellement ses fonctions et cède la place à son successeur, Moncef Marzouki, élu la veille président de la République provisoire par l’Assemblée nationale constituante...

Un an après, M. Mebazaa évoque pour Leaders ses grandes ambitions pour la Tunisie.

Je viens de quitter la présidence de la République après 11 mois d’activité foisonnante, empreinte de fébrilité permanente, de moments difficiles mais aussi de satisfactions multiples. J’y ai participé à conduire la Nation à bon port en évitant les bourrasques violentes et les intempéries multiples. Seul l’intérêt suprême a conduit mes pas et a éclairé mes décisions à tout moment.

Aujourd’hui en retrait de la vie politique, mais nullement désintéressé de la chose publique ou de l’avancée de mon pays sur la voie de la démocratie et du progrès, j’émets le vœu que le chemin soit le plus rapide et le moins semé d’embûches. Moi qui ai été toute ma vie dans l’action et l’engagment, je me prends à rêver. Je rêve d’une Tunisie enracinée dans ses valeurs séculaires, tolérante, ouverte, solidaire et efficace.

Je rêve d’abord d’une Tunisie où la sécurité de tous est l’affaire de chacun. Rien ne pourra se faire sans le rétablissement de l’ordre et de la sécurité; mais l’ordre devra, impérativement, être juste et au service de tous. La sécurité des hommes, des biens et des transactions fera que la confiance renaîtra et l’investissment créateur d’emplois reprendra la voie du risque et de l’entreprise.

Je rêve aussi d’une Tunisie politiquement pacifiée, où aucun courant de pensée ne fustige un autre, où la violence physique et verbale est bannie, au profit du débat et de la confrontation des idées, au service de l’intérêt supérieur de la Nation, où l’urgence du moment, saisie de tous, permet de dépasser les sujets de friction inutiles et de privilégier l’élargissement des sujets de consensus.

Je rêve d’une Tunisie où les conflits, inéluctables, car inhérents à la vie en société, sont résolus par l’échange et le dialogue, où aucune injustice, aussi flagrante soit-elle, ne justifie de recourir à la violence ou de mettre en péril les acquis de la Nation.

Je rêve enfin d’une Tunisie plurielle par la diversité des opinions et des sensibilités de tous ses enfants, riche par l’expérience de chacun, capable de stimuler la production matérielle et intellectuelle de puiser au fond d’elle-même, dans son histoire et ses valeurs, les ressorts de son épanouissment dans le concert des nations.

Notre peuple, par son courage et sa détermination, a conquis la liberté. Il n’acceptera plus jamais l’asservissement, les privations, la prédation ou la discrimination. Sa conquête de la dignité passera par un emploi pour chacun, en fonction de ses compétences et en rapport avec ses aspirations.

Ma conviction est forte que cela doit passer par la redécouverte et l’approfondissement de nos valeurs. Redécouvrons notre modernité, d’Elyssa aux premières heures de l’Islam porteuses de ruptures sociales et d’avancées indéniables dans le respect des droits de la personne humaine. Redécouvrons le premier message divin exhortant le Prophète Mohamed à lire: Iqraâ! Quelle leçon de modernité et d’ouverture nous devrions en tirer pour une Tunisie comptant encore aujourd’hui deux millions d’analphabètes!

Redécouvrons notre solidarité traditionnelle, mise à mal par l’éclatement de la famille et les égoïsmes multiples d’un capitalisme débridé et d’une mondialisation mal maîtrisée. Approfondissons cette solidarité par une plus grande égalité des chances, la  participation des populations à la prise en charge de leur destin, par une plus grande démocratie, une meilleure gouvernance, une fiscalité plus juste et plus efficace, au service du projet de société, mais également par une gestion plus économe de nos ressources naturelles et une plus grande durabilité de nos comportements.

Redécouvrons, en dignes descendants des multiples civilisations commerçantes et conquérantes qui ont forgé notre identité, l’efficacité de notre modèle de développement par l’inclusion et la mobilisation de toutes les forces vives de la Nation, la levée de toutes les discriminations à l’encontre de nos jeunes, de nos femmes, de nos expatriés et de  nos handicapés, la traque de toutes les situations d’enrichissement par la rente, le privilège ou la proximité du pouvoir, mais également par la libération de toutes les énergies, l’affirmation du rôle de l’initiative privée et le développement de l’économie sociale et solidaire.

Ma conviction est que le modèle de développement, en mesure de recueillir l’adhésion de tous les Tunisiens et de les mobiliser, devra être inclusif, efficace, social et solidaire. Il devra s’appuyer sur un référentiel de valeurs puisé au plus profond de nous-mêmes tout en étant en conformité avec les meilleures pratiques internationales. Il devra être au service de l’Homme et de son épanouissement.

Cela passera par l’ouverture sur le monde et la modernité, une éducation profondément rénovée, à l’abri des idéologies et de la précipitation, intégrant largement l’enseignement des arts, du sport et des sciences sociales et favorisant la culture de la citoyenneté et le respect de la diversité au service de la cohésion sociale.

Je quitte le pouvoir sans regrets, convaincu qu’à moyen terme, la Tunisie, forte de ses jeunes et ses moins jeunes, ses hommes et ses femmes, ses acquis et ses convictions, saura trouver en elle-même les ressorts nécessaires pour identifier sa voie vers la démocratie, une croissance plus juste et mieux distribuée et un développement plus durable et plus solidaire.

F.B.

Tags : Foued mebazaa  
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10 Commentaires
Les Commentaires
ally oueslati - 12-12-2012 05:31

C'est bien dit tout ça ;mais je crois que ça sera malheureusement dans une autre vie . En scrutant notre paysage politique ; on ne voit que des oportunistes et des (...) qui se battent pour le pouvoir et non pour le peuple . Ils sont arrivés à nous faire dégoûter la politique ; avant même de commencer . A commencer par ce journal qui offre la possibilité aux gens de s'exprimer et ne publie que ce qu'il veut . C'est quoi ça ? Où il a appris la démocratie ? ...

ilhem mili-boussen - 12-12-2012 05:57

vous avez exprimé avec des mots si simples nos rêves les plus difficiles. votre texte restera dans l'histoire. que Dieu l'entende. Respects, Monsieur le Président.

chokri tounsi - 12-12-2012 09:23

une belle rêverie, mais Monsieur le Président je voudrai vous demander une question: dans quelle mesure avez réussi à concilier les principes nobles que vous énoncez dans cet article et votre action politique tout au long de votre carrière?

Elyes - 12-12-2012 10:06

Quelle classe par rapport aux ploucs...

Fathallah - 12-12-2012 11:23

C'est un message fort venant de la part d'un Grand Monsieur qui a exercé le Pouvoir sous ses multiples formes, ce qui fait de lui un Grand Sage qui devrait être systématiquement consulté pour les grandes questions qui concernent notre pays. Là où je ne suis pas d'accord, quand il parle de "rêve". Un simple citoyen peut parler de "rêve", mais pas un Haut Responsable censé fournir des conseils et formuler des propositions appropriées à l'attention des nouveaux gouvernants par économie de temps.

Dr. Néjib BOURAOUI (Politologue) - 12-12-2012 13:18

Bravo, Monsieur Le Président, Si Foued! Une question: Pourquoi n'avez-vous pas proposé vos services pour désamorcer le conflit actuel entre l'UGTT et le Gouvernement? Vous êtes encore lucide et capable de rendre plusieurs services à la Nation qui vous respecte! Pendant l'ère de Ben Ali tous les Tunisiens avaient la bouche "cousue" et avaient juste le droit de rêver!!!

khlifi - 12-12-2012 16:02

Que votre rêve soit le notre et devienne réalité.

abenamar - 14-12-2012 00:18

vous croyez que tout celá est possible de se realiser mentionnant la fonction de chaque tunisien ( souvent fausse )sur les documents d´identité ?

nicole - 15-12-2012 09:02

De belles paroles de la part d'un homme qui est peut-être sincère , mais qui n'a jamais dénoncé , durant ses différents mandats , toutes les tares qui ont privé les tunisiens d'acceder à ce REVE !!!! occupé , comme les autres bénis oui-oui à proteger ses intèréts !!!!

mounir baccouche - 15-12-2012 12:51

j'ai laisse un commentaite ici meme qui etait une critique a l'egard de Mr. Foued Mbaza et ca n a pas ete publie. c'est cela la est cas de la liberte de l'expression, pourquoi il y a censure alors. ce Monsieur avait tt le temps pour rever, Alors 10e président de la Chambre des députés du 14 octobre 1997 – 23 mars 2011. 14 ans au service de ben ali..Son reve arrive un peu en retard. j espere qu' on va publier cette fois mon commentaire..

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