La résolution 2803 du Conseil de sécurité: Est-elle un prélude à une paix durable et juste à Gaza?
Par Najiba Ben Hassine - La résolution 2803(20025) adoptée par le Conseil de sécurité (CS) le 17 novembre 2025 représente un acte décisif dans le processus du règlement du conflit israélo-palestinien à l’issue des attaques déclenchées par le mouvement du libération nationale Hamas (en pouvoir dans la bande de Gaza depuis 2007) contre Israël (Puissance occupante) le 7 octobre 2023. Ces attaques ont donné lieu à une riposte israélienne disproportionnée provoquant une destruction massive de la bande de Gaza et des centaines de milliers de victimes et de personnes portées disparues sous les décombres. Ajoutons une crise humanitaire sans précédent qui a débouché sur une famine aigue et des atrocités inimaginables affectant la population palestinienne sur la bande de Gaza. L’agression israélienne contre les palestiniens au nom de la légitime défense a fait près de 70.000 morts et des centaines de milliers de blessés et de disparus aggravés par un blocus humanitaire conçu à titre de représailles qui a duré, sans relâche, pendant deux ans. Les tentatives d’imposer un cessez-le-feu et de mettre fin à une crise humanitaire chronique se sont soldées par un échec, en particulier au sein du Conseil de sécurité. Ce dernier a connu un blocage sous l’influence déterminante des États-Unis, alliés inébranlables d’Israël, chaque fois qu’il s’agit de mettre fin au crime de génocide perpétré dans la bande de Gaza et d’atténuer les souffrances inédites du peuple palestinien.
Le 20 février 2024, le Conseil de sécurité a, d’ailleurs, échoué à adopter un projet de résolution exigeant un cessez-le-feu humanitaire immédiat à Gaza, du fait du veto des États-Unis, comme les 18 octobre et 8 décembre 2023.. Cet échec s’est manifesté, également, à travers le dernier véto américain qui a bloqué l’adoption au Conseil de sécurité le 18 septembre 2025 d’un texte exigeant l’instauration d’un cessez-le-feu et l’accès humanitaire à Gaza. Le véto américain, étant devenu un instrument incontournable pour protéger les intérêts de la puissance occupante israélienne et perpétrer ses crimes de guerre, crimes contre l’humanité et crime de génocide.
La résolution 2803 est venue mettre un terme au disfonctionnement du CS dont la mission fondamentale, conformément à la Charte de l’ONU, étant le maintien de la paix et la sécurité internationale. En fait, ladite résolution vient entériner le plan de paix initié par le président américain Donald Trump et soutenu par l’ONU : Ce faisant, elle matérialise la conception américaine de la paix au Moyen-Orient, qui rejoint concrètement le point de vue israélien et lui attribue une légitimité internationale accentuée. Il est, ainsi, intéressant d’analyser cette résolution et de déceler son impact sur une paix durable et juste au Moyen Orient, garantissant notamment le droit du peuple palestinien à l’autodétermination.
Une résolution dépourvue de garanties assurant l’exercice du droit palestinien à l’autodétermination
Le CS part du constat que la situation dans la bande de Gaza constitue une menace à la paix régionale et la sécurité des États voisins. Il s’appuie, en outre, sur le “Plan d’ensemble” visant à mettre fin au conflit à Gaza en date du 29 septembre 2025 et la Déclaration pour une paix et une prospérité durables faite par Donald Trump le 13 octobre 2025, tout en saluant le rôle constructif joué par les États-Unis d’Amérique, l’État du Qatar, la République arabe d’Égypte et la République de Türkiye qui ont facilité le cessez-le-feu à Gaza. Pour concrétiser ces propositions, la résolution procède ensuite à la création d’un Conseil de paix présenté comme étant une administration transitoire dotée de la personnalité juridique internationale et chargée de guider la reconstruction de Gaza et d’en coordonner le financement jusqu’à ce que l’Autorité palestinienne ait mené à bonne fin son programme de réformes.
La reprise par l’Autorité palestinienne de son emprise sur la bande de Gaza à l’issue du programme de réforme recommandé ne garantit, toutefois, ipso facto, l’exercice par le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination et à la création d’un État palestinien. Ce droit revêt un caractère hypothétique et aléatoire selon les termes employés par la résolution 2803, notamment l’expression choquante et énigmatique ‘peut-être’, insérée, paradoxalement, dans un texte juridique de haute autorité internationale. La résolution déclare, en effet, qu’”une fois que l’Autorité palestinienne aura scrupuleusement exécuté son programme de réformes et que la reconstruction de Gaza aura progressé, les conditions seront alors peut-être réunies pour que s’ouvre un chemin crédible vers l’autodétermination palestinienne et la création d’un État palestinien”. Il est, en réalité, inconcevable qu’un Conseil qui dispose de pouvoirs larges et incontestables en matière du maintien ou du rétablissement de la paix et de la sécurité internationale, se trouve dans l’incapacité d’adopter des décisions rigoureuses et tranchées et de régler définitivement des questions qui représentaient des acquis internationaux pour le peuple palestinien et qui relevaient de la légitimité internationale tel que le droit des peuples à disposer d’eux et l’illégalité de la présence continue de l’occupation israélienne sur les territoires palestiniens. De surcroit, il est légitime de s’interroger sur les moyens qui seront mis à la disposition de l’Autorité palestinienne et l’étendue des pouvoirs dont elle serait dotée pour s’auto-réformer. Il est, en fait, hors de doute qu’elle demeurera accablée et paralysée par les violations flagrantes et persistantes des autorités d’occupation israélienne, entravant son autonomie et l’exercice de la plénitude et l’exclusivité des pouvoirs dont elle devrait jouir pour procéder aux réformes nécessaires. Par conséquent, l’autorité palestinienne, étant réellement et en son ’état actuel, dessaisie de toute autorité effective pour décider de son sort ou de celui de son peuple.
Une aide humanitaire toujours entravée
Par ailleurs, en poursuivant ce processus de paix tel qu’il a été décrit par ladite résolution, on devrait signaler que le CS déclare « une reprise complète de l’aide humanitaire dans la bande de Gaza dans le respect des principes juridiques internationaux en vigueur, en concertation avec le Conseil de paix et par l’entremise des organisations coopérant à cette fin, dont l’Organisation des Nations Unies, le Comité international de la Croix-Rouge et le Croissant-Rouge, et de veiller à ce que cette aide serve uniquement à des fins pacifiques et ne soit pas détournée par des groupes armés”. Cette dernière phrase vise en particulier l’exclusion du mouvement islamiste Hamas de tout rôle humanitaire ; et s’inscrit en apparence dans le cadre de l’objectif poursuivi de démilitarisation de l’assistance humanitaire. Elle pourrait, cependant, rencontrer des difficultés pratiques tenant à l’hasardeuse quête d’un substitut à Hamas et à ses autorités administratives en matière de gestion, d’acheminement sécurisé de l’aide humanitaire, d’autant plus que la CS a mis à l’écart l’UNRWA, interdite par Israël de coordonner l’entrée de l’aide humanitaire. Sachant que la Puissance occupante israélienne n’a cessé, de surcroît, de manquer à ses engagements en la matière. Et rappelons, à cet égard, que l’ONU prévoit d’acheminer des centaines de camions d’aide chaque jour, afin de nourrir 2,1 millions de personnes et d’apporter un soutien nutritionnel à 500.000 d’entre eux. Elle préconise la création d’un corridor humanitaire international placé sous l’autorité de l’ONU et du Croissant-Rouge, avec un afflux de camions d’aide, la reconstruction progressive des infrastructures et le déploiement d’observateurs pour garantir le respect du cessez-le-feu. L'ONG, Médecins sans frontières estime, en ce sens, que le cessez-le-feu doit s'accompagner d'une augmentation immédiate, massive et durable de l'aide humanitaire dans et à travers la bande de Gaza, y compris dans le nord. En revanche, sur le terrain, l’aide humanitaire acheminée depuis le cessez-le-feu, demeure insuffisante pour répondre aux besoins d’urgence du peuple palestinien qui a été soumis à des souffrances terribles et à une destruction massive et systématique de son territoire. Le blocage de l’assistance humanitaire persiste encore en dépit de la pression de la Communauté internationale. Selon Amnesty internationale, depuis le 10 octobre 2025, quelques camions humanitaires seulement sont autorisés à entrer dans la bande de Gaza, relevant, ainsi que “C’est loin d’être suffisant pour répondre aux besoins d’une population confrontée à la famine et aux maladies depuis deux ans”.
Le Conseil de la paix et la Force internationale de stabilisation: Formations internationales hypothéquées
Le rôle principal du conseil de la paix consiste à créer à titre temporaire une Force internationale de stabilisation à Gaza, qui sera déployée sous un commandement unifié acceptable par le Conseil, dont les contingents seront fournis par les États participants, en consultation et en coopération étroites avec la République arabe d’Égypte et l’État d’Israël. Cette force est de même tenue de collaborer avec les forces de police palestiniennes nouvellement formées et dûment sélectionnées, pour sécuriser les zones frontalières. Elle devrait ainsi stabiliser la situation en matière de sécurité, et ce, en assurant la démilitarisation de la bande de Gaza, y compris en procédant à la destruction des infrastructures militaires, terroristes et offensives et en empêchant qu’elles soient rebâties, ainsi qu’en veillant à la mise hors service définitive des armes des groupes armés non étatiques ; protéger les civils, y compris les opérations humanitaires ; former les forces de police palestiniennes dûment sélectionnées et leur prêter appui ; se coordonner avec les États concernés pour sécuriser les couloirs humanitaires...
En conséquence, Il est indéniable que la mission fondamentale confiée à la Force internationale de stabilisation réside dans la démilitarisation de la bande de gaza. Les autres fonctions se révèlent secondaires ou subsidiaires. Encore faut-il ajouter que cette force se déploierait en consultation et en coopération étroites avec la République arabe d’Égypte et l’État d’Israël. Deux constats devraient être signalés à propos de cette Force controversée : de prima abord, elle est dépourvue d’indépendance et d’autonomie vis à vis d’une partie au conflit (Israël) ; ce qui remet en cause sa crédibilité et sa neutralité. En second lieu, elle est soumise dans les faits au seul pouvoir d’Israël qui pourrait en toute logique l’instrumentaliser pour servir ses intérêts au détriment de ceux du peuple palestinien. La présence d’Égypte n’étant que protocolaire et formelle. Son rôle a été toujours anéanti devant le poids de la puissance militaire israélienne, le rendant soumis à sa volonté et à la volonté de son allié américain. De surcroît, ici encore l’absence de l’Autorité palestinienne laisse perplexe.
Par ailleurs, le Conseil de la paix et la Force de stabilisation seront investis de leurs fonctions jusqu’au 31 décembre 2027. Tout renouvellement de l’autorisation donnée à la Force internationale de stabilisation se fera en coopération et coordination pleines et entières avec l’Égypte et Israël ; et les autres États Membres continuant de collaborer avec la Force. Autant dire à cet égard que la durée du mandat de ces formations dotées de légitimité internationale et soumises sur le terrain à l’autorité de la Puissance occupante, pourrait être illimité et incontrôlable. C’est paradoxalement la légitimité internationale qui sera mise au service de l’occupation israélienne, qui est par sa nature même, dépourvue de toute légitimité.
La résolution; un copier-coller du plan de paix de Donald Trump
En définitive, le CS n’a fait qu’entériner le ‘Plan d’ensemble’ proposé par le président américain sans se démarquer fondamentalement de ses moindres détails. Il est venu, à l’inverse, y attribuer une couverture internationale. Ce plan a été d’ailleurs annexé à la résolution et en représente une source d’inspiration et une référence majeure. Il s’articule autour de certains points rédigés sous forme de phrases concises et piégées préconisant en particulier que:
• Le Hamas et les autres factions acceptent de ne jouer aucun rôle dans la gestion des affaires publiques de Gaza, que ce soit directement, indirectement ou sous quelque forme que ce soit. Toutes les infrastructures militaires, terroristes et offensives, dont les tunnels et les installations de fabrication d’armes, seront détruites et ne pourront être reconstruites. Il sera procédé à la démilitarisation de Gaza sous la supervision d’observateurs indépendants.
• Gaza sera administrée à titre temporaire et transitoire par un comité ‘palestinien’. (Composé de Palestiniens qualifiés et d’experts internationaux), à caractère technocratique et apolitique, qui sera chargé d’assurer le bon fonctionnement des services publics et municipaux pour les habitants de Gaza. Ce comité sera placé sous le contrôle et la supervision d’un nouvel organe international transitoire, le « Conseil de paix », qui sera dirigé et présidé par le Président Donald Trump.
• “Israël n’occupera ni n’annexera Gaza’. La phrase la plus courte et la plus représentative de la volonté du peuple palestinien, n’a été entourée, toutefois, d’aucune garantie.
• ‘Nul ne sera contraint de quitter Gaza’: la deuxième phrase concise de ce plan d’ensemble ne parait pas relever d’un choix consenti des confectionneurs de la paix à Gaza, mais d’une réalité démographique incontournable, imposée par la volonté d’un peuple indéracinable.
• Le dernier point de ce plan confie aux États-Unis la mission d’instaurer un dialogue entre Israël et les Palestiniens leur assurant une coexistence pacifique et prospère. Or, on devrait signaler que ledit plan a passé sous silence le fait que cette coexistence ne devrait pas se réaliser au détriment d’une paix juste et équitable qui garantira au peuple palestinien un droit inconditionnel et absolu de créer un État indépendant et souverain et de s’autodéterminer.
Au total, le texte de la résolution manque de clarté et souffre d’ambiguïtés. Il établit une paix précaire et aléatoire démentie par les opérations militaires conduites jusqu’à ce jour par Israël contre les palestiniens et des conditions de vie désastreuses auxquelles ils sont soumis, témoignant de la volonté délibérée de destruction du groupe palestinien en tant que tel. De plus, le passage d’une phase à une autre de ce plan de paix étant piégé et dénué de garanties fiables. Amnesty réclame, pertinemment, que si les personnes souffrent moins de morts immédiates avec la diminution des bombardements, elles n’en continuent pas moins de subir une mort lente et calculée. L’intention génocidaire continue à animer l’esprit et les politiques des décideurs israéliens, aggravée d’un désengagement international se manifestant par un relâchement de la pression imposée à Israël. Le grand absent dans ce plan de paix étant, au surplus, les droits du peuple palestinien marginalisés et relégués au second plan, voire à l’infini, alarmant d’un détournement délibéré de la légitimité internationale construite et acquise depuis la Nakba en 1948 vers une nouvelle légitimité entamée délicatement par la résolution 1803 tentant de bâtir une nouvelle Gaza dénuée de raison d’être et de résistance.
Najiba Ben Hassine
Enseignante universitaire en droit public
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