News - 09.09.2021

Ameur Horchani: L’hydraulicien

Ameur Horchani: L’hydraulicien

Par Mohamed Ennabli - Docteur ingénieur en hydraulique, formé à Grenoble au début des années 60, Ameur Horchani, ingénieur général, laisse après son décès le 5 août dernier, à l’âge de 83 ans, le souvenir d’un éminent spécialiste de l’eau, doublé d’un grand serviteur de l’État. Il intégra dès 1964 le ministère de l’Agriculture au sein duquel il fut secrétaire d’État en charge du secteur de l’eau, 17 ans durant, sans discontinuité, d’avril 1988 à août 2005. Hommage.

Au-delà de la perte d’un collègue, d’un ami de longue date, la disparition de celui qui, quatre décennies durant, a été l’une des figures marquantes des bâtisseurs de la jeune république, laisse un sentiment difficile à exprimer.

Si Ameur avait pleinement rempli sa longue vie professionnelle et les gouvernements successifs avaient été fort bien inspirés en lui garantissant le temps nécessaire lui permettant de mener à bien son ambitieux programme, car le travail à effectuer était loin d’être banal. Il était, au contraire, vital pour le développement économique et social, dans ce pays en état de stress hydrique frisant la pénurie.

Il était aussi prenant, car pesait sur les épaules des hydrauliciens une très lourde responsabilité.

Placide, mais imbu d’une sérénité que lui conférait sa solide formation dans le domaine, Si Ameur avait le don de rassurer ses collègues par la justesse de son jugement et sa profonde connaissance des spécificités du pays. Il était leur référence en ce domaine changeant où rien n’était définitivement acquis.

La crue exceptionnelle, soudaine, inattendue, dévastatrice !

La sécurité des barrages à garantir avant tout, et celle de la population ainsi que de leurs biens. Nuits blanches et sueurs froides.

Il fallait avoir des nerfs solides et beaucoup de lucidité pour faire la part des choses. Il fallait de l’énergie pour insuffler le supplément d’âme nécessaire à l’équipe qui l’entourait et atténuer la pression qui oppressait les uns et les autres.

Si Ameur avait ces qualités, outre la droiture et la sagesse qui incitaient les jeunes à réfléchir.

C’était aussi un homme du Djérid, c’est-à-dire de vaste culture. Parlez-lui du pays profond, il vous décrira, avec force détails, l’histoire et même la généalogie de toutes les tribus constituant le substrat humain des régions. Evoquez Ibn Khaldoun et il vous dévoilera, contre toute attente, tous les aspects négatifs et cachés de la carrière et de la personnalité du grand homme.

Si Ameur, la communauté de l’eau du pays te doit beaucoup. Tu n’as guère couru derrière la vanité des honneurs pour privilégier le noble métier d’hydraulicien car c’était là que s’exprimait ta dignité d’ingénieur au service de l’Etat, au-dessus de toute autre considération. Le credo de tout haut fonctionnaire qui se respecte.

Comment, dans un contexte où la compétition pour l’eau s’accentue, concilier les usages, anticiper les conflits, garantir la conservation de la ressource et maîtriser les risques, lesquels peuvent avoir pour origine des aléas naturels ou résulter de l’action de l’homme en relation avec les modes de gestion et d’emploi de la ressource ? Tel était le défi à relever.

Certes, la Tunisie a toujours su, à travers les siècles, tirer le meilleur parti des faibles ressources dont le ciel l’a parcimonieusement dotée. En témoignent les nombreux vestiges qui résistent encore au temps et Si Ameur vous entretiendra, des heures durant, du génie d’Ibn Chabbat et de la complexité des calculs sur lesquels il s’appuya pour assurer, en toutes saisons, une répartition équitable de l’eau des oasis.

Seuls trois grands barrages avaient été édifiés durant la période coloniale. Une quarantaine d’autres l’ont été après l’indépendance dans les principaux bassins versants du Nord et du Centre, outre quelque 1250 barrages et lacs collinaires, afin de satisfaire les besoins de la population qui s’urbanisait, du tourisme qui se développait, des périmètres irrigués qui s’étendaient et des zones industrielles dont le nombre augmentait.

Il fallait investir et entreprendre malgré le regard de bailleurs de fonds soupçonneux, moyennement rassurés par ces jeunes cadres encore inexpérimentés, mais dévoués à la cause publique, décidés à exercer pleinement leurs prérogatives et pressés d’inaugurer les ouvrages stratégiques planifiés.

Peu de gens, à vrai dire, avaient conscience des charges qui pesaient sur les responsables de ces chantiers vaillamment lancés par le regretté Lassad Ben Osman en particulier. Si Ameur était son cadet. Il avait avec lui des atomes crochus, et c’était avec lui qu’il avait déployé toute l’étendue de son art et de ses capacités, de son expérience et de son sens de l’Etat.

Outre la disponibilité en eau régulée qu’il était censé assurer, tout grand barrage se devait aussi de prévenir les inondations. Les obstacles ne manquaient pas, d’ordre institutionnel, juridique, organisationnel, environnemental, social et, par-dessus tout, technique: l’envasement à prévenir en particulier dont on ne maîtrisait, souvent, ni l’origine ni l’évolution à long terme et qui abrégeait la vie des retenues.

Mille difficultés, donc, d’adaptation aux contraintes du terrain à surmonter. Mille préoccupations quant à l’impact des aménagements prévus, sur le plan tant social qu’environnemental. Mille précautions à considérer quant aux injonctions des bailleurs de fonds. Malgré tout cela et au-dessus de tout cela, le devoir de trancher au nom de l’Etat, dans l’intérêt bien compris de tous.

Sur ce plan, Si Ameur fut l’homme de la situation, à la hauteur des enjeux.

Ces enjeux étaient d’abord techniques, ayant trait aux surélévations devenues nécessaires, aux évacuateurs de crues, aux dérivations d’oueds, aux dépôts solides, à la qualité de l’eau.

Ils étaient aussi stratégiques:                                                                                                                                                                      

D’une part, pour conserver la capacité des barrages à maîtriser les crues malgré l’envasement, car les meilleurs sites sont irremplaçables. 

D’autre part, pour assurer, à l’échelle de l’ensemble du territoire, une démarche cohérente de planification, avec le souci de l’équité dans la distribution de la ressource dans la mesure où 10% de l’écoulement total ne concernent que 2% du territoire (et 90% de l’écoulement que 50% du territoire). Cette situation, comparée à la distribution géographique de la population et des besoins en eau, a rendu nécessaire le transfert d’eau entre bassins.

Ce furent les plans directeurs du secteur de l’eau à l’horizon 2030 qui déterminèrent les projets de barrages, d’ouvrages de transfert inter-bassins, de conduites d’eau potable, de périmètres irrigués, de stations de dessalement, et dont Si Ameur fut le maître d’œuvre.

Cette forte mobilisation des ressources en eau du pays, par les grands barrages, a très largement contribué à atténuer les aléas des grandes sécheresses et les aménagements des périmètres publics irrigués ont garanti que le panier de la ménagère soit toujours dignement garni.

Cela a été mené avec le souci permanent de rechercher le juste équilibre entre les bénéfices économiques nationaux attendus de ces plans et les impacts sociaux et environnementaux locaux qu’impliquent les aménagements faits.

Améliorer la gestion opérationnelle des barrages. Promouvoir l’ingénierie des aménagements hydrauliques. Prévoir les adaptations nécessitées par le changement climatique. Autant de préoccupations prégnantes que Si Ameur n’a cessé d’inculquer à ses collaborateurs. Et à ce titre, ils ne lui doivent que de la reconnaissance.

Repose en paix l’Ami ! Le pays saura se souvenir de toi.

Mohamed Ennabli   
Ancien ministre de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement

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