News - 23.08.2021

En hommage à Ameur Horchani, le 5 août : Journée nationale pour l’eau en Tunisie ?

En hommage à Ameur Horchani, le 5 août : journée nationale pour l’eau en Tunisie ?

Par Chadli Laroussi - En ce 5 août 2021, annonçant le décès de Ameur Horchani, Leaders écrit : «L’actualité voudra que le jour-même où le président Kais Saïed sonne l’alerte du stress hydrique, la Tunisie perde l’un de ses illustres hydrauliciens Ameur Horchani. Docteur ingénieur hydraulique et expert international en eau, il avait été Secrétaire d’Etat chargé des Ressources hydrauliques pendant 17 ans. Ameur Horchani est l’un des pionniers de l’hydrologie en Tunisie, mais aussi dans le monde arabe et en Afrique et a contribué à fonder les stratégies de l’eau en Tunisie.».

• Seuil de pauvreté en eau : moins de 1000 m3 par habitant et par an.
• Seuil de pénurie en eau : moins de 500 m3 par habitant et par an.

Hasard ou destinée que la disparition de Ameur Horchani coïncide avec le jour où la question de l’eau est érigée en priorité nationale ?

Ayant constaté déjà qu’au cours des six dernières années :

La Tunisie a enregistré 5 années de sécheresse aigue qui risquent de se répéter fréquemment à l’avenir sous l’effet des changements climatiques et

Qu’au cours de ces 5 dernières années, les ressources en eau en Tunisie ont chuté en deçà de la moyenne de 420 m3 par habitant qui est déjà inférieure à la moitié du seuil de pauvreté hydrique,

J’avais alors lancé, sur Leaders, le 31 mai 2021, un appel de détresse pour alerter sur la menace d’une grave crise de l’eau en Tunisie sous le titre : «le À vau l’eau de l’eau en Tunisie»... à l’image d’ailleurs du «À vau l’eau de la société»(1)!

Partageant la même passion pour l’eau, les chemins de mon collègue et ami Ameur Horchani et le mien ont convergé au ministère de l’Agriculture depuis les années 1970 sous la férule de notre illustre aîné Lassaâd ben Osman.

Né à Degache, à quelques encablures de la ville de Tozeur, Ameur Horchani, à l’image de son célèbre aïeul  Ibn Chabbat el Touzri, allia la science à la culture.

Aussi, nos discussions convergent-elles souvent sur la spécificité tunisienne dans son rapport avec l’eau. Nous rappelions à nos élèves qui sont aujourd’hui à la commande dans le domaine de l’eau, ce que disait à ses élèves ce jeune professeur recruté au collège Sadiki, fraîchement débarqué de Paris au début du siècle dernier pour enseigner l'histoire des sciences. Comparant les réalisations d'Ibn Chabbat à ceux des savants européens à la veille de la révolution industrielle, il affirmait en substance: «Les lois de Newton établies en 1687, celles de Buller en 1755, de Bernoulli en 1760, de Poiseuille en 1840, de Stokes en 1845 et de Darcy en 1856 sont venues bien plus tard confirmer ce qu'avait établi Ibn Chabbat el Touzri dans les années 1300.»(2)

Ainsi, «le Djérid avait donné à l'humanité le premier ingénieur hydraulicien des temps modernes... qui avait su, par une gestion minutieuse des ressources en eau du Djérid, vaincre l'aridité du Sahara et transformer ses dunes de sable incultes en un immense verger verdoyant.» Puis grâce à son sens de l’équité, élevé à la dignité de Cadi pour «juger les délicats litiges sur le partage des eaux dans ces régions désertiques où le droit à l'eau prime le droit à la terre, cet éminent savant conçut un cadastre inédit. Ainsi, au cadastre romain des propriétés foncières dans les régions agricoles du Tell au nord et des Steppes au centre, il ajouta le cadastre de l'eau dans les oasis du Sud. Nettement plus sophistiqué, ce nouveau cadastre permettait de déterminer la part d'eau réservée à chaque propriétaire de palmeraie, non seulement en fonction de la superficie à arroser, mais également en fonction du jour de l'année au cours duquel l'eau était livrée et du moment exact de sa livraison, selon que c'était avant ou après le lever du soleil.»(3)

Sur le chemin de son illustre aïeul, Ameur Horchani allia la science à la culture. Ainsi, quand je lui avais demandé de rédiger la préface du manuscrit de mon prochain livre sur l’eau en Tunisie, il l’a fait de bonne grâce. Pour honorer sa mémoire, voici dans ce qui suit quelques extraits de ce qu’il a écrit.

« ...Le culte de l’eau inscrit dans l’ADN du Tunisien fait partie intégrante de notre patrimoine culturel. En témoignent l’expression maë essabil, l’eau sur le chemin de tout un chacun ou l’eau fournie par les midhas des mosquées pour assurer aux croyants les ablutions avant la salat, la prière qui constitue l’un des piliers de la religion musulmane. En attestent également les Bassins aghlabides édifiés en l’an 961 pour satisfaire les besoins en eau potable de la ville de Kairouan, alors capitale de l’Ifriquia.

Et bien avant cela, en témoignent les multiples Temples des eaux érigés dans notre pays pendant la période préislamique. Ainsi en est-il des ouvrages hydrauliques qui ont parsemé notre pays à l’époque Romaine, comme en témoignent les vestiges encore présents à ce jour de l’aqueduc de Carthage qui véhicule, déjà en l’an 123, l’eau des hauteurs de Zaghouan jusqu’à Carthage sur une centaine de kilomètres...

Au lendemain de l’indépendance, forte de cette longue tradition dans la gestion de ses ressources en eau, la Tunisie a su adapter les percées techniques apportés par les colons français en matière de mobilisation et d’exploitation des ressources en eau par l’implantation de la technologie des grands barrages et de forages profonds. Ainsi, en digne héritière du savant Carthaginois Magon, qui a mis les fondements de l’agriculture méditerranéenne, la Tunisie abrite depuis 1898 la première Grande école de formation d’ingénieurs agricoles du continent africain. Les ingénieurs tunisiens formés dans ce haut lieu des sciences et techniques, outre leurs collègues formés dans de prestigieuses écoles et universités étrangères, ont su marier les techniques traditionnelles de maîtrise des eaux aux technologies les plus avancés issus de la révolution industrielle et de la révolution informatique à l’heure actuelle....


Mettant l’homme au centre de ses préoccupations, la Tunisie, au lendemain de son indépendance, a pris conscience de l’importance de l’eau dans la réalisation de ses plans de développement socio-économique. En effet, la généralisation de l’enseignement et de la santé pour tous, érigée en priorité nationale par Bourguiba, premier Président de la jeune République Tunisienne, passe nécessairement par la mise en place d’une infrastructure hydraulique qui soit en mesure de distribuer l’eau potable aux écoles et aux dispensaires qui ont essaimé dans toutes les régions du pays...

Partageant la même passion pour cette ressource si rare et si chère qu’est l’eau en Tunisie, Chadli Laroussi expose dans cet essai sa vision pour une gestion rationnelle de ce patrimoine vital garant d’un développement durable de notre pays. J’espère que le lecteur y trouvera les informations utiles pour comprendre le cycle de l’eau en Tunisie et pour favoriser la contribution citoyenne de chaque Tunisien à améliorer notre gestion de ce bien précieux que nous a légué la nature et dont nous avons la responsabilité de le préserver pour le restituer à nos enfants aussi pur que nous l’avions reçu. »

Ameur Horchani Ancien
Secrétaire d’Etat aux ressources hydrauliques

Puisse la Tunisie, qui vient de perdre son hydraulicien prodige Ameur Horchani en ce 5 août 2021, faire du 5 août la journée nationale de l’eau en Tunisie ?

Ainsi les Tunisiens auront un rendez-vous annuel pour évaluer la contribution de tout un chacun, État et citoyens, à la préservation et au développement de cette ressource vitale : L’eau.

Chadli Laroussi

(1) https://www.leaders.com.tn/article/31959-le-a-vau-l-eau-des-societes-a-la-fin-des-siecles

(2) https://www.pressreader.com/tunisia/le-temps-tunisia/20161030/281552290409515

(3) https://www.editions-harmattan.fr/livre-un_prenom_pour_exister_hommage_au_peuple_laureat_du_prix_nobel_de_la_paix_2015_chadli_laroussi-9782343086316-50201.html