News - 15.02.2021

Covid-19 - La communication dans la tourmente de la pandémie (I): De la communication mobilisatrice à la démobilisation

Covid-19 - la communication dans la tourmente de la pandémie I: De la communication mobilisatrice à la démobilisation

Par Habib Mellakh - La communication est le nerf de la guerre dans la gestion de toutes les crises et bien évidemment dans la conduite de la pandémie de la covid-19. Ce constat pourrait passer pour un truisme si notre vécu ne démontrait pas qu’il est indispensable d’avoir à l’esprit une telle évidence.

Dans le contexte de la pandémie, la communication gouvernementale et les prestations des médias ont connu des hauts et des bas. Elles ont souffert, particulièrement après le retour en force de l’épidémie, de grandes défaillances, à l’origine, pour une part importante, de la faible adhésion des citoyens au protocole sanitaire recommandé. La communication gouvernementale et la communication médiatique ont certes montré leur inefficacité dans la lutte contre  la covid-19 comme dans de nombreux pays mais nous ne devons pas nous situer par comparaison pour légitimer l’échec de notre stratégie de communication dans la lutte contre la covid-19.

Le chemin de sortie de l’épidémie est encore long mais nous pouvons espérer voir la lumière au bout du tunnel dans les meilleurs délais grâce à une meilleure communication. Malgré les mauvais plis qui ont été pris par les citoyens et les mauvais exemples donnés par  les responsables politiques et les politiciens de tous bords, irrespectueux du protocole sanitaire qu’ils violent ostensiblement, il est encore temps pour le gouvernement  et les médias de rectifier le tir grâce à une nouvelle stratégie de communication à même d’obtenir le ralliement d’un nombre très important  de Tunisiens aux mesures de lutte  contre l’épidémie, décidées par le gouvernement.

De la communication mobilisatrice à une communication a minima, appropriée à la cohabitation avec le virus

Le gouvernement d’Elyes Fakhfakh a été omniprésent dans les médias depuis le début de la pandémie jusqu’à la fin du déconfinement, le 14 juin 2020. La lutte contre la covid-19 ainsi que la préservation de la santé et de la vie des Tunisiens sont dans notre jeune démocratie une protection et un droit garanti par la constitution. Elles  sont devenues, pendant cette période, une priorité absolue au détriment de l’économie et ce  malgré les risques d’aggravation de la crise économique en raison de ce choix.

Le chef du gouvernement a tenu des conférences de presse périodiques auxquelles ont participé les membres du gouvernement concernés par la lutte contre la pandémie,  pour présenter et expliquer les mesures prises à chaque rebond épidémique.  Le ministre de la santé, Abdellatif Mekki et la directrice de l’Observatoire national des maladies nouvelles et émergentes, Nissaf Ben Aleya, porte-parole officieux puis officiel du ministère de la santé publique au gré des vents et des opportunités,  ont organisé des points de presse quasi quotidiens  au sujet de l’évolution de la situation épidémiologique. Ils ont ainsi réussi  mobiliser et à impliquer  la société civile et une partie non négligeable de la population dans la lutte contre la propagation du coronavirus. Le monde a été le témoin d’une mobilisation tunisienne  exceptionnelle de ressources humaines et financières pour ce faire.

Enthousiasmés  par l’enjeu et confiants dans la bonne volonté des responsables et leur capacité à bien gérer les deniers publics,  les Tunisiens, toutes catégories confondues, ont fourni au fonds 18-18 des dons avoisinant les 200 millions de dinars. Des étudiants inscrits dans des écoles  d’ingénieurs et de jeunes médecins ont conçu et fabriqué des visières de protection pour le personnel médical et des respirateurs pour les malades. Ils  ont permis, grâce à ce bénévolat  et cet élan de solidarité admirables, d’alléger les retombées de l’épidémie et de réduire sa propagation. Cette mobilisation exceptionnelle a suscité l’enthousiasme  des médias, des chroniqueurs et des hommes politiques qui n’ont pas hésité à recourir à l’hyperbole pour présenter la lutte contre le coronavirus comme une épopée et Nissaf ben Aleya, dont personne ne peut nier l’énorme travail, comme une héroïne. Continuant l’hyperbole et la métaphore, les partisans nahdhaouis du ministre de la santé, le prenant pour un chef de guerre, sont allés jusqu’à lui attribuer le grade de général. Mais cette vigilance et cette mobilisation n’ont vécu que l’espace d’une saison.

Nos héros proclamés (les mauvaises langues disent autoproclamés), fatigués et croyant ou faisant croire qu’ils avaient vaincu le maudit virus, ont dormi sur leurs lauriers dès le début de la saison estivale à la  suite de la démission du gouvernement Fakhfakh, devenu un gouvernement de gestion des affaires courantes. La communication en a pâti lourdement. Il n’y avait plus de points de presse quotidiens ni d’informations en temps réel sur l’évolution de la situation épidémiologique. Avec le gouvernement Mechichi et malgré la recrudescence de l’épidémie, les conférences de presse sur la situation sanitaire se font rares et les statistiques sur le nombre des cas détectés, des décès et des malades dans les services de réanimation ne sont communiqués qu’avec un décalage de deux, voire trois jours. Les responsables politico-sanitaires ne sont pas débordés par l’ampleur de la crise mais ils semblent avoir choisi  le mode de communication a minima, plus approprié à la nouvelle stratégie de cohabitation avec le virus.

Absence  d’une adhésion massive à la lutte contre le virus et prémices de la démobilisation

Les résultats positifs obtenus au printemps dernier par le gouvernement Fakhfakh sont avant tout la conséquence de la fermeture  précoce des frontières, du confinement obligatoire des Tunisiens de retour de l’étranger, du confinement total anticipé et de la mobilisation exceptionnelle à laquelle les médias ont participé. Mais ces mesures radicales ne peuvent pas cacher le revers de la médaille. Les plans draconiens adoptés par notre pays n’ont pas reçu l’adhésion massive des citoyens malgré un effort de communication louable des responsables politico-sanitaires et à leur tête Nissaf Ben Aleya, constamment invités sur les plateaux de télévision, pour faire connaître  la maladie. Des violations nombreuses du confinement des personnes, du confinement total et des gestes barrières ont en effet été constatées, particulièrement dans les quartiers populaires  où la promiscuité et la sur-occupation des logements  ont favorisé ces infractions. Il y a eu deux Tunisie: une Tunisie qui croit au pouvoir de la science et qui s’est impliquée avec beaucoup d’enthousiasme dans la lutte contre le coronavirus et une Tunisie démunie et peu instruite, fataliste et qui exprime, par des manifestations nocturnes organisées dans les quartiers populaires, son hostilité à la science et au pouvoir qui la défend. Cette Tunisie réfractaire affichait ostensiblement son fatalisme par des scènes de prière sur les toits des maisons sans aucun respect de la distanciation physique.

De telles scènes prouvent que le gouvernement a été souvent incapable d’obtenir par  la force des arguments scientifiques le respect des mesures prises. C’est pourquoi il a recouru,  pour ce faire et, particulièrement pendant la première vague, à l’argument de la force et à des mesures coercitives.

Une communication angoissante et accablante

Pour forcer les citoyens à respecter les règles sanitaires,  le gouvernement a fait également appel,  à l’image de nombreux pays,  à la peur  et à la culpabilisation. Il a joué sur notre peur de la mort et sur la culpabilisation de  ceux qui violent les mesures barrières, considérés comme des vecteurs potentiels de transmission de la maladie. Il a oublié que les démunis préféraient mourir du coronavirus plutôt que d’une faim certaine. Il a aussi perdu de vue le fait que le sentiment de culpabilité ne pouvait troubler la sérénité de ceux qui ne croient qu’au pouvoir divin et qui nient le pouvoir de la science  ou ébranler  la  quiétude de ceux pour lesquels le laxisme ne constitue en aucun cas une menace pour la santé de leur entourage  et qui croient dur comme fer que les mesures gouvernementales sont disproportionnées par rapport à la menace sanitaire jugée exagérée, voire fictive.

Jouant sur la peur et la culpabilisation, la communication gouvernementale, relayée par la communication médiatique,  est parfois effrayante et accablante. Au printemps dernier, les médias ont relayé, sans prendre aucun recul, les responsables politiques qui brandissaient le spectre du protocole de l’inhumation covid dans le but de convaincre de la nécessité du respect des mesures sanitaires de prévention de la covid-19. Des messages angoissants promettaient aux morts atteints de la covid-19 une pratique funéraire qui interdit à la famille l’organisation de la cérémonie funèbre, impose une levée du corps à l’hôpital et un parcours funéraire qui conduit directement de l’hôpital au cimetière. Ces messages annonçaient que les défunts n’auraient pour linceuls que des sacs étanches, qu’ils n’auraient pas  de toilette mortuaire et que la cérémonie funéraire serait réduite à la présence de quelques parents.

Les  dispositions funéraires draconiennes ne permettent pas aux proches du défunt de faire leur deuil et aggravent la peine due à la disparition de l’être cher auxquelles ils ajoutent  un autre chagrin, immense, celui dû à l’impossibilité d’accepter ce départ. Le malade atteint de la covid-19 devient dans l’imaginaire collectif un pestiféré comme le prouvent les dispositions funéraires particulières qui lui sont réservées. Ces dernières ont favorisé chez les riverains des cimetières la psychose de la contamination par  le virus, à l’origine de leurs vives protestations et de leur opposition à l’enterrement de victimes décédée du coronavirus, comme au cimetière de Bougatfa à Bizerte en avril 2020. La perception négative de la maladie par le public a contribué au déni de plusieurs personnes contaminées, à une prise en charge tardive  du malade consécutive à ce déni, avec les risques pour la vie du contaminé et, à une plus large échelle,  la propagation du virus qui s’ensuit.

Le gouvernement  perd de vue que les messages phobiques ne sont pas toujours  efficaces, que la culpabilisation  n’aboutit pas toujours à la persuasion et ne motive pas systématiquement l’adoption de  la conduite préventive recommandée, que les comportements dictés par la peur ne perdurent pas  comme le prouvent les nombreuses violations lors de la première vague et le retour aux anciennes habitudes comportementales à partir de la première phase du déconfinement.

A suivre

Habib Mellakh

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