News - 05.09.2020

Riadh Zghal: Peut-on espérer un retour à la confiance en l’État et ses institutions?

Riadh Zghal: Peut-on espérer un retour à la confiance en l’État et ses institutions?

Par Riadh Zghal - Depuis que M. Mechichi a déclaré fermement son intention de constituer un gouvernement de compétences, nombreux sont les représentants de partis qui ont levé leurs boucliers l’accusant de non-respect de la volonté du peuple. Evidemment, cette notion de peuple pose problème lorsqu’on sait la forte proportion de ceux qui se sont abstenus de voter, l’éparpillement des votes exprimés sur tant de partis et l’absence d’une majorité qui aurait renseigné sur une réelle volonté populaire.

Mais le pays a-t-il vraiment besoin d’un gouvernement de compétences ? Sûrement si l’on en juge par la situation économique et sociale déplorable où il se trouve. Le processus démocratique a certes fait du chemin, mais tout le reste s’est dégradé depuis la chute du régime autoritaire : l’infrastructure, le pouvoir d’achat, l’économie nationale, les ressources financières de l’Etat, l’éducation, le fonctionnement des institutions… Qu’ont fait les politiques depuis 2011 ? Ils ont disposé de tous les pouvoirs, à commencer par la rédaction de la Constitution, la formation des gouvernements successifs, en plus du pouvoir législatif dont l’exercice a davantage servi à offrir un triste spectacle de débats souvent lamentables  qu’à voter des lois aidant à sortir le pays du marasme. Les gouvernements successifs, handicapés dans leur capacité d’agir dans un contexte de conflits sociaux et partisans, se sont davantage comportés en équilibristes, ménageant la chèvre et le chou, qu’en gestionnaires efficaces au plan économique et engagés, au plan politique, à asseoir l’Etat de droit, la bonne gouvernance et l’équité parmi les citoyens.

Ceci amène à se poser la question fondamentale : finalement le pays a-t-il besoin de plus de compétences pour gérer les affaires publiques que de professionnels de la politique ? Ou le contraire ?

En fait si les partis tiennent à tenir les rênes du pouvoir, c’est, nous dit-on, pour mettre en application leur programme. Cela suppose qu’ils ont une politique claire et élaborée. Ce qui est plutôt rare. On peut reconnaître certains partis à leur idéologie dont les racines remontent à des siècles passés. Mais de véritable vision de l’avenir du pays, de stratégie à moyen terme, de lignes directrices de l’action politique ? Que nenni. On peut donc avoir des responsables politiques sans référence à des principes clairs de gouvernance, sans méthodes élaborées de gestion de la chose publique, sans connaissance ni estimation des moyens nécessaires à  l’implémentation des esquisses de programmes ayant servi à leurs campagnes électorales. D’où l’instabilité politique qui a sévi voilà bientôt dix ans, les promesses non tenues faites par des gouvernements en mal d’assurer une paix sociale et refilées aux gouvernements successifs. La gouvernance du pays ressemble de plus en plus à du bricolage et la crise s’amplifie. Tout cela a généré une demande de révision du système politique afin de combler le déficit de volonté politique permettant l’instauration de l’Etat de droit et l’engagement des réformes nécessaires à la sortie de crise. L’autre demande alimentée par la défiance à l’égard des partis est celle d’un gouvernement de compétences.

Le diagnostic a été fait par plusieurs, les discours ressassés dans les médias n’attirent plus, il est temps d’agir plutôt que de gloser sur les querelles interminables entre hommes et femmes politiques en compétition pour le pouvoir. Face à ce besoin urgent d’une politique de redressement de tous les secteurs de la vie dans le pays, voilà que des représentants de divers partis promettent de rejeter un éventuel gouvernement qui sera orienté davantage par les besoins de sortie de crise que par des intérêts partisans. On peut toutefois craindre qu’il s’agisse de mettre la charrue devant les bœufs si le débat porte davantage sur le profil des gouvernants que sur les lignes directrices des politiques à mettre en place.

La démocratie se traduit par une institutionnalisation de la compétition politique. Les groupes constitués en partis sont en compétition dans leur quête de contrôle du pouvoir décisionnel et l’incarnation de la souveraineté. Or l’incarnation de la souveraineté est une histoire de légitimité. En ce moment et au jour d’aujourd’hui, où la confiance dans les partis qui ont donné un piteux spectacle de leur état à travers leurs joutes au sein de l’ARP et les réseaux sociaux, cette légitimité manque considérablement à tous. Et pour enfoncer le clou davantage, on est passé des joutes verbales à une véritable inquisition prônée par des députés qui tirent à boulets rouges sur toute velléité de réforme touchant les intérêts de certains et chaque pas vers l’instauration de l’Etat de droit, quitte à gripper les rouages de la gouvernance et aggraver la crise dont souffre déjà le pays.

Les dérives des luttes entre partis qui manquent de légitimité vu la proportion de ceux qui ont voté pour eux par rapport à l’ensemble de la population, la nécessité de trouver des solutions à la crise grave qui sévit dans le pays, tout cela porte à croire qu’un gouvernement constitué de compétences s’impose. Cela veut dire une équipe qui se positionne hors des conflictualités partisanes. Une équipe qui dispose d’une vision globale pour orienter les décisions fondées sur une capacité d’identifier les problèmes, de les hiérarchiser, d’en identifier les sources, de trouver les méthodes et les ressources pour les attaquer avec efficacité, mais pas seulement. On a besoin d’une équipe gouvernementale qui trouve et mette en place les leviers du développement économique et social, capable de mobiliser les moyens pour implémenter sa politique et, surtout, capable de susciter la confiance et l’adhésion du plus grand nombre aux décisions à prendre. Lorsque l’adhésion prend place, elle élimine sinon réduit les effets du climat de guerre politicienne, de revanche et de haine dominant actuellement et nourri par les querelles entre partis. Bien plus, elle crée un changement d’attitude, favorise les changements et la contribution des citoyens et des structures de la société civile à la réalisation des objectifs et des programmes établis pour la sortie de crise. On a besoin d’une équipe gouvernementale qui travaille avec synergie et non en silo –chacun dans son département, sa spécialité–; une équipe qui se préoccupe de communication, de pédagogie ; une équipe qui croit en la transparence de l’information comme pare-feu contre l’opportunisme et l’esprit de rente ; une équipe qui soit sensible à l’élasticité des relations sociales, qui entretient l’esprit démocratique, qui dirige le pays autant par la loi que par les valeurs, qui n’ignore pas le lien entre les structures sociales et les structures psychiques qui orientent le comportement des citoyens car la crise n’est pas seulement économique...Si ces conditions de l’efficacité gouvernementale sont réunies, alors on pourra espérer un retour à la confiance en l’Etat et ses institutions et dans la réalisation d’autres pas sur le chemin de la démocratie délibérative et participative.

Riadh Zghal