Blogs - 05.03.2020

Hédi Béhi: Pourquoi être plus royaliste que le roi?

Hédi Béhi: Pourquoi être plus royaliste que le roi ?

Ils n’ont  rien appris, ni rien oublié. Les tenants de ce qu’on appelait le panarabisme nous reviennent par la grâce des élections et surtout du système électoral des plus gros restes, cantonnés dans leurs certitudes, comme si de rien n'était, comme s'il n’y avait pas eu la guerre des Six-Jours en juin 1967, ce conflit provoqué par Nasser qui représente sans doute la plus grande catastrophe que les Arabes aient jamais connue, bien plus que la chute de Grenade, ou l'invasion de Baghdad par les Mongols.

Voici donc ces hérauts du nationalisme arabe sans peur et sans reproche de retour sur la scène politique qui se rappellent à notre mauvais souvenir. Toujours à la recherche d’un thème mobilisateur, ils ont focalisé sur la normalisation (ettatbii) avec  «l’entité sioniste». C'est le terme à la mode, qui résume toutes les infamies, le chiffon rouge des nationalistes arabes. Il suffit de l'agiter pour les faire sortir de leurs gonds. On veut criminaliser la normalisation, mais où commence-t-elle ? Où s’arrête-t-elle ? En quoi consiste-t-elle ? Pour faire un exemple, ils ont cru trouver une victime expiatoire en la personne de la tenniswoman Ons Jabeur, qui venait de l’emporter sur une joueuse israélienne, la seule victoire arabe contre Israël depuis 60 ans. Mal leur en a pris. Ons ne s'est pas laissé compter. En revanche, la seconde cible de cette chasse aux sorcières,  le ministre le plus en vue du gouvernement sortant, René Trabelsi, un Tunisien juif qui incarne la Tunisie éternelle, une Tunisie plurielle, tolérante n'a pas été reconduit cans le nouveau cabinet, le parti nationaliste Echaab s’y étant opposé. L’un de ses dirigeants avait même adressé un ultimatum au nom de son parti au chef du gouvernement. «C’est lui ou nous». De toute évidence, c’est sa qualité de juif qui faisait problème à leurs yeux. Il faut appeler un chat, un chat. Cela s’appelle de l’antisémitisme.

Ainsi, il Suffit d’être juif pour qu’on doute de votre sentiment d’appartenance, quels que soient vos mérites, vos états de services. Apparemment, nos nationalistes arabes n’ont jamais entendu parler de Georges et Gladys Adda, Albert Bessis, Gisèle Halimi. Sait-on qu'il y avait des juifs parmi les dirigeants du Destour qui ont été internés à Kébili en 1952 pour faits de résistance,  que sous le protectorat, les juifs et les musulmans vivaient en bonne intelligence,malgré quelques dérapages, que les mariages mixtes entre musulmans et juives étaient plus nombreux que ceux entre Tunisiens et Françaises, que le Yom Kippour était une journée fériée. En Israël même, les nouveaux historiens israéliens Shlomo Sand, Benny Morris, Tom Séguev et bien d’autres ne cessent de remettre en question l’historiographie israélienne officielle, les conditions de l’exode des Palestiniens en 1948. Parmi la diaspora juive, il y a des inconditionnels d'Israël, mais aussi de brillants intellectuels, comme Edgar Morin, Stéphane Hessel, Noam Chomsky ou l'immense Jean Daniel qui ont pris des positions courageuses dans ce conflit ?

On veut criminaliser la normalisation avec Israël comme si elle était la panacée pour les Palestiniens, la priorité des priorités pour les Tunisiens, comme si on avait besoin d’un texte coercitif pour ne pas nous y adonner. Pourquoi se montrer plus royaliste que le roi, faire tout ce tapage comme si on cherchait à enfoncer des portes ouvertes ? Pour jouer aux héros ? Pour se singulariser des autres pays arabes qui ont préféré observer le silence sur ce fameux «Deal du siècle» ou tout simplement pour faire diversion face aux difficultés domestiques ? On dit qu’il faut mener la politique de ses moyens. En bonne logique, notre pays en butte à une crise économique sans fin n’a aucun intérêt à disperser ses efforts, d’autant plus que cette criminalisation de la normalisation avec Israël dont notre président en fait une affaire personnelle, personne ne nous l’avait demandée, ni la Ligue arabe, ni même l’Autorité palestinienne. En un mot comme en mille, arrêtons-nous de jouer les redresseurs de torts, de regarder dehors alors que la maison Tunisie brûle.

Hédi Béhi