Opinions - 09.07.2019

Taoufik Habaieb: De la lucidité

Taoufik Habaieb: De la lucidité

Cartes rebattues, brides abattues, électeurs rabattus... A quelques jours du dépôt des candidatures aux législatives, dès ce 22 juillet, la Tunisie s’installe dans le chamboule-tout. Face aux partis fissurés, tétanisés, un jeunisme aventurier, nourri comme eux tous de populisme, s’élance hardiment, à la conquête du pouvoir, au nom de l’antisystème et du dénonce-tout.

De la surenchère, sans promesse crédible, n’émergent ni idées porteuses, ni têtes dignes de confiance. Pour la Tunisie et les Tunisiens, il n’y a point d’intérêt réel. Seule l’ambition dévorante s’installe en moteur de carrière, de captage d’avenir et d’usurpation du pouvoir.

La confiance est rompue, totalement perdue. Les nouvelles valeurs garantes de son rétablissement sont difficiles à définir. Personne ne s’en soucie pour le moment, tous braqués sur l’investiture des listes. La bataille est âpre. Les coups bas, les manœuvres et les pressions s’intensifient. L’essentiel pour eux est de figurer, et en bonne position, sur une liste.

Comme si la démocratie se limitait à candidater et à obtenir l’aval d’une enseigne politique.

Dans le magnifique ciel bleu azur de l’été tunisien, l’orage est menaçant. Tout ne tient qu’à un fil ténu. Si les forces armées et de sécurité interne, au prix de martyrs et de blessés, d’engagement stratégique et de déploiement opérationnel, tiennent la sécurité du pays entre nos voisins en ébullition, la classe politique, elle, est aux abonnés absents. Qui se soucie réellement des risques et dangers qui nous guettent? Tous se défaussent sur ces vaillants Tunisiens en uniforme qui font du combat le sens de leur vie, et de la victoire, l’ultime consécration, ne redoutant pas le sacrifice pour la patrie.

L’unique discours des politiques est fait de guéguerres, d’invectives, de scissions, de combines, d’argent et de pouvoir. Ni charisme, ni leadership, ni valeurs, ni sens de l’honneur chez de nombreux prétendants, les urnes risquent, à ce rythme, de laisser passer des tocards. Comme si la Tunisie était stérile, incapable de placer aux commandes ses meilleurs enfants.

Comme si la démocratie était une fabrique de médiocratie.

Qui arrêtera l’afflux d’argent sale, endiguera les fake news, s’opposera aux manipulations médiatiques et fera barrage aux algorithmes de la dictature des réseaux sociaux? Ne comptez ni sur les instances de régulation, ni sur les institutions appropriées: la loi de la jungle risque de sévir. La fameuse charte de déontologie politique, prônée par Youssef Chahed, ne sera au mieux qu’un vœu pieux consigné dans un document voué aux archives, sans la moindre chance d’être appliquée et respectée.

En ces temps de discordes, d’illusions et de politique de la terre brûlée, les tentations d’inféodation à l’extérieur, d’abreuvement en devises étrangères et de complicité avec les nantis les plus accablés ne relèvent pas de la théorie du complot, mais de la triste réalité.

L’obsessionnelle course au pouvoir, sans la moindre légitimité autre que celle de vouloir  forcer les urnes, ne reconnaît ni scrupules, ni garde-fous, ni raison. Remporter un siège au Bardo ou  encore plus accéder à la magistrature suprême s’érigent en instinct de survie, plus qu’inné, acquis et ravageur.

Face à l’aveuglement dévastateur de ceux qui n’incarnent aucune aptitude reconnue, la sanction sera fatale. Rarement en 3 000 ans d’histoire, contre vents et marées, la Tunisie s’est résignée en proie facile pour les voraces. L’ADN tunisien est fait de résistance face aux vautours, de résilience rapide pour forger un nouvel avenir et de détermination affirmée à imposer la raison d’être contre la folie des grandeurs.

La lucidité est de rigueur. Lieu de rencontre entre hauteur de vue et perspicacité du jugement, cette lumière de l’âme doit guider— et le prouver— ceux qui veulent se mettre au service de la nation. Les discours truffés de promesses seront inaudibles. Ce sont des actes déjà accomplis qui en donnent les gages.

Dans ce capharnaüm politique où tout se brouille, s’emballe et se négocie, souvent à vil prix, la clarté de vision, la sagesse du raisonnement et la sérénité de l’attitude sont les plus recherchées par les Tunisiens. Président de la République, chef du gouvernement, députés, dirigeants de partis politiques et d’organisations nationales, prétendants aux courses électorales, médias, société civile, instances de régulation et d’élections, institutions appropriées et autres vigies gagneraient à pratiquer tous cette indispensable lucidité.

Seule la clairvoyance, en toute humilité et abnégation, reconstruira la Tunisie. Celle que nous chérissons: dans la grandeur, la stabilité et la prospérité. Tout le reste est littérature.

Taoufik Habaieb