News - 13.05.2019

Yassine Brahim: 3 Days in Washington...

Yassine Brahim: 3 Days in Washington...

Juin 2013 était ma première visite politique dans la capitale fédérale américaine, Washington DC, avec cette année-là Meriem Bourguiba, petite-fille du père fondateur de cette nation et membre du Conseil national de Afek Tounes. Lors de ce premier séjour, nous avions été honorés de participer à une réception organisée par l’ambassadeur M’hammed Chleyfa à la résidence de Tunisie... où était née Meriem, lorsque son père «BB junior» était ambassadeur à DC.

Si Mohamed Malouche, établi aux Etats-Unis depuis longtemps et qui nous avait organisé cette visite, nous avait fait prendre conscience à quel point cette capitale est importante sur le plan politique. Un grand merci à notre ambassadeur officieux permanent!

Tout d’abord, en politique, les personnes qui influencent sont aussi importantes que celles qui décident. Les think tanks, au sein de la capitale des Etats-Unis, sont des organisations fortement influentes. Ils regroupent souvent des anciens de l’administration, notamment le Département d’Etat (ministère des Affaires étrangères), des anciens membres de gouvernement, américain ou étranger, et des chercheurs spécialisés sur des sujets tels que la sécurité, la politique étrangère, le terrorisme, l’économie, etc. Les journalistes éditorialistes, comme partout dans le monde, jouent aussi un rôle en termes d’influence.

Ensuite, l’Administration américaine, notamment au Département d’Etat et à la Maison-Blanche (surtout à l’époque d’Obama pour cette dernière), suivait d’assez près l’évolution de la transition en Tunisie. Le Trésor américain aussi, surtout que la Tunisie a fait appel au marché avec la garantie du gouvernement des Etats-Unis et a fait appel à deux programmes du FMI, dont les Etats-Unis sont le premier actionnaire, sans parler du support de la Banque mondiale, que ce soit pour des crédits liés à des projets d’infrastructure ou du support au déficit budgétaire durant les années difficiles. Ces deux institutions ont leur siège à Washington.

Le Congrès et le Sénat américains, les deux chambres, ont des comités qui suivent la politique étrangère sur les pays et il est important de les rencontrer pour parler de la Tunisie, attirer leur attention sur les challenges que nous vivons durant cette transition et leur faire prendre conscience de l’importance de leur soutien à notre pays.

Enfin, notre diaspora dans ce pays et dans cette capitale nous fait honneur. Entre les consultants de haut vol et les cadres des entreprises privées et ceux de la Banque mondiale, une visite à Washington est toujours une opportunité de voir que l’élite du pays n’a rien à envier à ce que produit de mieux le monde en termes d’expertise technique et managériales. Je suis donc revenu en 2014 en tant que leader de parti, puis en 2015 et 2016 en tant que ministre (du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale), puis de nouveau en tant que politicien en 2017, 2018 et en ce début de mois.

Dès 2017, avec le changement politique aux Etats-Unis, nous avons vite ressenti un moindre intérêt pour la Tunisie à la Maison-Blanche. Nous n’avons pas été surpris de découvrir que la nouvelle Administration a tenté deux fois de réduire l’accord d’appui financier sous forme de dons conclu avec l’administration précédente. Heureusement que les chambres s’y sont opposées et ont validé la préservation de ces accords, que ce soit sur la partie économique ou sur la partie sécuritaire.

Tom Friedman, l’éditorialiste du New York Times que nous avions rencontré il y a quelques années et de nouveau lors de cette visite, avec Si Taoufik Habaieb cette fois, a rappelé à maintes reprises que son pays devrait regarder de plus près les aides et les dépenses concernant les pays de la région Mena. Il est outré des dépenses militaires consenties depuis des années avec un résultat mitigé pour les peuples concernés et l’image des Etats-Unis, alors que le soutien à un pays comme la Tunisie qui s’engage réellement dans la démocratie est négligeable en termes de proportion. Le Département d’Etat, administration que nous ressentons un peu secouée avec le nouveau pouvoir, continue à suivre le dossier tunisien d’assez près et vu les mouvements en cours dans la région, l’évolution de la transition en Tunisie reste une référence de premier ordre.

J’ai ressenti cependant l’année dernière et cette année un début de «désintérêt» par rapport à notre pays. La transition commence à paraître un peu trop longue. D’abord les think tanks. Ne voyant pas d’évolution notable, il y a de moins en moins de production de «policy papers» sur la Tunisie, de moins en moins de conférences. Les sujets abordés sont parfois de second ordre. La seule bonne nouvelle concernant toute la région Mena, c’est que les islamistes n’ont plus la cote qu’ils avaient les premières années du «printemps» arabe.

Ensuite les organismes financiers. Il y a un écart entre les positions officielles de ces derniers et les vraies pensées de leurs experts, voire responsables. L’économie tunisienne ne décolle pas car son modèle étatiste montre désormais régulièrement ses limites. Tout le monde en est conscient à Washington, que ce soit à la Banque mondiale ou au FMI. Les projets avancent trop lentement avec la bureaucratie et la corruption. Les experts le ressentent désormais. Le port de Radès, le poumon de notre économie qui est une économie de flux, en est une illustration désespérante. Notre compagnie aérienne, moteur clé du tourisme et des mouvements de nos compatriotes résidant à l’étranger, les deux premières ressources en devises du pays, est une deuxième illustration de la fin du modèle étatiste. Sans parler de certaines autres entreprises publiques... 

Les programmes du FMI imposent certes des matrices pour mettre la pression et faire bouger les choses, mais le cap sur le moyen et le long terme du gouvernement n’est pas visible. J’ai assisté cette année à la conférence organisée par le Département Mena de la Banque mondiale, présidée par un superbe compatriote, Si Ferid Belhaj, qui portait entre autres sur les entreprises publiques. Au sein du panel, dont faisait partie Mme Olfa Soukri Cherif, députée indépendante représentant la Tunisie, et vice-président du réseau parlementaire global, avec des ministres d’Egypte et de Jordanie, le PDG de l’Office chérifien des phosphates, M. Mustapha Terrab, a particulièrement brillé. Il nous a exposé comment il a été appelé pour redresser cette entreprise publique marocaine et la réussite de sa mission, les chiffres parlent d’eux-mêmes, que ce soit en termes de chiffre d’affaires, de résultat ou encore d’emplois directs ou indirects créés.

Je suis intervenu pour le féliciter et constater effectivement que les voies de redressement des entreprises publiques existent à travers l’investissement sur le capital humain venant du secteur privé. Nous l’avons fait en Tunisie avec Si Slim Chaker (Allah Yarhmou) pour les banques publiques en 2015 et 2016. En injectant de l’argent et surtout un management de qualité sélectionné par appel d’offres. Les résultats de ces banques se sont bien améliorés depuis. Attention cependant, une petite crainte de retour en arrière que nous commençons à percevoir malheureusement ces derniers temps. Nous avons aussi enclenché un mouvement en validant au sein du plan stratégique 2016-2020, voté à l’ARP, le principe de la haute fonction publique pour augmenter les capacités d’exécution de notre administration, mais nous percevons une lenteur, voire une non-volonté d’exécution à ce jour.

Notre économie reste encore fortement dépendante de l’administration et des entreprises publiques. Une économie de flux dont la logistique, surtout portuaire, reste l’une des moins performantes de la zone. L’Etat actionnaire, comme l’a si bien dit M. Terrab, doit jouer son rôle et injecter les ressources financières et humaines pour transformer ces entreprises. S’il n’a pas les ressources notamment financières suffisantes, comme c’est le cas en ce moment en Tunisie, il doit arbitrer pour le faire pour celles qui ont le plus large impact social et environnemental, comme la Steg ou la Sonede ou encore le Groupe chimique. Au-delà, l’Etat ne doit pas hésiter à privatiser les entreprises qui opèrent dans des secteurs concurrentiels comme les banques ou le transport aérien ou maritime. Il doit se concentrer sur la sécurité, l’éducation, la santé, le transport urbain ou encore l’infrastructure.

Quel est le rôle de l’Etat dans une économie sociale de marché? Tel sera le sujet clé de la prochaine campagne où l’amélioration sensible de la prospérité économique du Tunisien doit être l’objectif premier du prochain mandat. La réussite de notre transition démocratique dépendra de la vitesse avec laquelle nous connecterons notre pays, enfin, au monde économique moderne.

Yassine Brahim

Ancien ministre, président du parti Afek Tounes