Opinions - 02.04.2019

Taoufik Habaieb: Nos “si chers’’ partenaires

Taoufik Habaieb: Nos “chers’’ partenaires

L‘Algérie commence un long chemin. Inévitablement semé d’embûches et de soubresauts. Il la conduira irréversiblement vers la démocratie et la prospérité. Dans cette éprouvante démarche, le peuple algérien n’a de leçons à recevoir de personne. La lame de fond si puissante en est garante pour qu’il trouve lui-même sa propre voie. Le démantèlement du système et la réappropriation de son propre destin paveront sans doute le chemin vers l’avènement de nouvelles institutions. Les forces nouvelles porteront alors des dirigeants nouveaux.

Ce qui se passe et se passera en Algérie concerne de près la Tunisie. Il changera la donne dans la région tout entière, voire juste en face, en Europe. Voisin immédiat, partageant de longue date une fraternité sans faille, la Tunisie ne peut mieux espérer à ses côtés une Algérie démocratique, stable, sécurisée et prospère. L’Europe, la France en tête, s’emploie surtout à préserver ses intérêts. En effet, en proie à des séismes profonds, elle a la tête ailleurs.

Brexit deal or not deal, les élections européennes, les 23 - 26 mai prochain, couvent une fulgurante montée de la droite sur fond de populisme et de nationalisme. Le vieux continent se fissure. L’Allemagne, par la voix d’Annegret Kramp-Karren (AKK), nouvelle cheffe du CDU, et très probable héritière d’Angela Merkel à la Chancellerie, implore une nouvelle renaissance européenne, appelant la France à céder à l’Europe son siège au Conseil de sécurité de l’ONU.

La sino-mondialisation, qui vient de rallier l’Italie comme douzième pays européen à l’initiative des Routes de la Soie (One Belt, One Road), se déploie. Deuxième économie mondiale,  la Chine impose désormais sa puissance technologique. Recevant le président Xi Jinping, Emmanuel Macron a dû s’entourer, à l’Elysée, de la chancelière Merkel et du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, dans un ultime exercice tentant de montrer que «la naïveté européenne face à l’appétit chinois est révolue». La commande de 300 Airbus, si mirobolante, refroidit les ardeurs.

Le tout technologique favorisant la Big Tech et une nouvelle économie accélère la naissance d’un nouveau monde qui a longtemps tardé à poindre. Les nouveaux maîtres de l’horloge ne considèrent ni les valeurs, ni l’éducation, ni le bien, cherchant uniquement à accaparer la suprématie. Les institutions de Bretton Woods (FMI, Banque mondiale...) sont leurs bras financiers exercés sur des pays comme la Tunisie. L’humanité et la planète risquent de devenir leur otage.

D’un simple tweet, reconnaissant la souveraineté  d’Israël sur le plateau syrien du Golan, le président américain Donald Trump livre sa propre version suprémaciste. Au grand mépris des résolutions de l’ONU et de l’indignation de la rue arabe. Que valent les protestations du Sommet arabe réuni à Tunis et à quoi aboutiront les démarches devant le Conseil de sécurité verrouillé par l’inévitable véto américain?

Dans ce tumultueux fracassement mondial, où en est la Tunisie? Entre enlisement économique, stagnation au mieux et miracle inespéré, le dysfonctionnement du système politique ajoute la confusion aux boulets déjà lourds à porter. Deux mots clés résument la situation des finances publiques piquant du nez : soumission aux bailleurs de fonds et soutenabilité de l’endettement. Nous connaissons bien le prix de cette cavalcade effrénée aux crédits extérieurs. Nos partenaires nous coûtent cher. L’incompétence et les errances des gouvernants s’y ajoutent.

Sans forcer dans l’optimisme, des solutions de sortie de crise sont possibles, au prix essentiellement d’une forte détermination commune et de sacrifices partagés par tous. Mustapha Kamel Nabli l’explique bien dans son nouveau livre: J’y crois toujours. Tant d’indicateurs sont recalculés à leur juste valeur, tant de fausses idées battues en brèche et tant de gisements dilapidés.

Toute l’effervescence actuelle en Tunisie, cloîtrée dans sa bulle, se résume au jeu des alliances, Ennahdha attisant les appétits des uns et des autres. A sept mois des prochaines élections, le climat est-il propice à un scrutin serein à même de hisser les meilleurs aux commandes ? Loin de la conception de programmes ne serait-ce qu’a minima, pour faire face aux contingences les plus pressantes, seule l’accession au pouvoir l’emporte. A tout prix. Chacun cherche son partenaire, ses partenaires, sacrifiant valeurs et engagement. Là aussi, le prix d’un partenaire sera lourd à payer par les Tunisiens.

A moins d’un sursaut salutaire, pour prendre nous-mêmes notre destin en main...

Taoufik Habaieb