News - 29.06.2015

Mustapha Kamel Nabli : Ce mal qui nous ronge, est-ce seulement le terrorisme?

Ce mal qui nous ronge, est-ce seulement le terrorisme?

Nous sommes de nouveau face à un massacre ignoble, qui a eu lieu cette fois-ci à Sousse, perpétré par les terroristes. Nous sommes choqués. Nous sommes furieux. Nous sommes tristes. Nous sommes désorientés.

Pourquoi au juste? Oui il y a bien sûr ces terroristes de chez nous et d’ailleurs qui nous veulent du mal, qui ont un plan de déstabilisation de notre Etat, de destruction de notre société et qui ont leurs desseins sur notre pays. Ils tuent nos soldats et nos agents de sécurité. Ils s’attaquent à nos hôtes et visiteurs. Ils s’attaqueront, comme le font toujours les terroristes, à notre population civile.

Ils sabotent notre économie et essaient de détruire nos institutions.

Tout cela est évident et contribue à nous mettre dans cet état d’anxiété et de tristesse. Ce danger est important et je n’ai nullement l’intention de le minimiser.

Mais est-ce vraiment cela qui est l’essentiel de ce qui nous met dans cette situation. Je pense que
non, et qu’il y a des raisons non apparentes plus profondes qui nous inquiètent. Et ces raisons sont en nous-mêmes, en notre société et nos institutions.

Il y a notre société qui a laissé et laisse encore se développer chez certains de nos jeunes une prédisposition à être facilement entraînés par les vendeurs de chimères, qui prétendent leur ouvrir une voie divine qui va les soustraire à leur réalité parfois misérable et surtout sans perspectives. Nous devons le reconnaître et agir pour aider notre jeunesse à résister et à rejeter ces commerçants de la mort et de l’illusion ! C’est par le contrôle strict du discours de la haine et de l’embrigadement dans les mosquées et dans les lieux publics. C’est par l’action culturelle et dans le système éducatif, et par la mobilisation de nos cadres et leaders religieux pour contrecarrer le discours obscurantiste, et promouvoir l’équilibre émotionnel des jeunes et renforcer leur rationalité et conscience sociale.

Mais il y a plus, beaucoup plus que cela. Ce qui nous met dans cette situation, c’est que nous avons ce sentiment diffus, qui nous ronge, que notre capacité pratique à faire face à ce fléau n’est pas à la hauteur des défis. Pourquoi?

Tout d’abord, notre système politique et son fonctionnement laissent à désirer. Bien que soutenus par une constitution qui a fait l’objet d’un large consensus et des élections qui ont été généralement et mondialement reconnues et jugées transparentes et équitables, nos gouvernants n’arrivent pas à gouverner. Les partis politiques ont perdu leurs bases et le degré de confiance qui leur est accordé par les citoyens est à un niveau des plus faibles parmi toutes les institutions du pays. Il y a manque de cohésion et excès de conflits internes et de tensions politiciennes. Nos politiques n’arrivent pas à donner une vision claire et cohérente sur la voie à suivre. Il y a un gouvernement qui peine à trouver ses marques, ses soutiens, sa cohésion et à projeter une vraie capacité à contrôler efficacement la situation. Il a bénéficié certes du plus large soutien des partis élus pour son inauguration, et pourtant il a du mal à trouver sa majorité pour faire passer ses projets de loi. C’est une alliance gouvernementale fragile et désunie. A cela s’ajoutent des relations souvent ambiguës et mal définies entre les trois principales composantes du pouvoir politique, à savoir le législatif, la présidence et le gouvernement. Nous avons du mal à déterminer où se trouve la responsabilité de l’orientation et du pilotage politique du pays. Le tout donne l’impression d’un pays mal gouverné, et d’un système politique grippé. Le manque de crédibilité est généralisé.

Il y a ensuite notre Etat et nos institutions étatiques qui sont affaiblis et ne fonctionnent pas comme il faut. On retrouve cela dans les différentes administrations, le système judiciaire, la sécurité, les collectivités locales, ou les entreprises publiques. Dans tous les domaines, les carences et les faiblesses sont légion et sont subies par le citoyen dans son quotidien. Cela se traduit par une détérioration des services publics en termes de qualité et de quantité.

Même nos institutions de sécurité subissent ces carences. Nos hommes et femmes de la sécurité intérieure et des forces armées qui sont au front, qui subissent les sacrifices les plus lourds, et déploient les efforts et l’action antiterroristes les plus méritoires sont handicapés dans leur action par les dissensions et les dysfonctionnements internes. Aussi notre système de sécurité fonctionne-t-il en deçà de ses possibilités dans la collecte de l’information et son analyse, dans le déploiement de ses ressources et dans son action sur le terrain pour affronter les terroristes.

Notre Etat est défaillant, et ne répond pas suffisamment à nos besoins et nos aspirations. Ces défaillances de notre système politique et de nos institutions étatiques font que le citoyen perd confiance, n’a plus de repères et se retrouve de plus en plus désoeuvré. Ce qui nous mène enfin vers le problème de nos relations sociales en tant que citoyens. Nous déclarons donner la plus grande priorité à la lutte contre le terrorisme. Nous le crions haut et fort. Mais nous agissons tout autrement et sans
aucun rapport avec cette priorité. Chacun a sa priorité : en tant qu’individus, en tant qu’organisations sociales, de groupes d’intérêts, de groupes politiques, des régions, ou autres. La priorité peut concerner l’obtention d’augmentations salariales, un emploi, des privilèges divers, ou bien des demandes souvent légitimes, et tant d’autres intérêts. Nous agissons dans notre quotidien avec peu de civisme, peu d’égards envers autrui, et peu d’intérêt pour la sauvegarde du bien public. Le laisser-aller de tout un chacun dans l’exercice de son travail et de ses fonctions est généralisé. La recherche de l’intérêt propre, souvent au mépris de la loi et de l’éthique, même si cela se fait au détriment de la communauté, est régie en valeur supérieure.

C’est une société qui n’est pas solidaire, qui n’a pas intériorisé l’existence d’un danger mortel qui nous menace tous. Nous n’arrivons pas à réaliser que l’on peut avoir raison individuellement, mais avoir tort collectivement!

C’est tout cela qui nous inquiète et  donne ce malaise généralisé. Nous savons, nous sommes persuadés, que nous pouvons battre les terroristes, et qu’ils n’ont aucune chance de soumettre et de terroriser la Tunisie et les Tunisiens qui ont toujours choisi la vie, la tolérance, le progrès et le futur. Et pourtant, nous ressentons que notre capacité à le faire est handicapée, que nous fonctionnons en dessous de notre potentiel!

Je suis persuadé que nous sommes capables de surmonter ces difficultés. Nous pouvons et nous devons nous ressaisir, pour reconstruire et rendre central notre attachement à la citoyenneté en principe et en pratique, dans notre discours et dans notre action quotidienne. Nous devons bannir le laisser-aller et l’incivisme, nous ériger chacun responsable des actions de l’autre. Nous devons redonner à nos institutions étatiques leur vigueur et les remettre au service du citoyen.

Nous pouvons et devons de nouveau restaurer la valeur travail pour sauver notre économie et notre Etat. Nous pouvons avoir chacun nos griefs et nos ambitions, et ressentir nos frustrations et nos difficultés.

Mais l’heure aujourd’hui n’est pas pour chacun de résoudre son problème individuel et de tirer l’avantage qu’il peut, souvent illusoire, mais de résoudre tous ensemble notre problème commun, qui est de préserver notre pays, notre société et notre Etat, sans lesquels les intérêts de chacun sont insignifiants.

Nous sommes en guerre, nous devons battre l’ennemi commun qui est le terrorisme. Nous devons agir comme en état de guerre, où le civisme, la citoyenneté, la cohésion et le travail dur sont les valeurs suprêmes. C’est le temps des sacrifices, par tous sans exception, pour la Tunisie. Nous n’avons pas besoin de changer notre style de vie, ni sacrifier notre attachement à la liberté chèrement acquise. Mais
nous avons besoin de changer d’attitude dans notre comportement quotidien à l’égard de la chose publique, le vivre-ensemble et notre détermination à sauver notre pays pour nous et pour les générations futures. C’est pour la Tunisie du progrès et de l’espoir pour laquelle tant de martyrs ont donné leur vie ; tant de penseurs, de poètes et d’artistes ont donné un sens et une identité unique ; et tant de patriotes et bâtisseurs ont consacré tous leurs efforts pour lui donner un Etat moderne qui la projette dans l’avenir. Nous avons la capacité de relever ce défi. Nous devons refuser d’être terrorisés. C’est nous qui pouvons et devons terroriser les terroristes. Bien sûr avec nos forces de sécurité et nos forces armées qui sont le fer de lance de cette guerre, mais nous devons surtout faire en sorte que chaque citoyen joue son rôle central, en étant solidaires et travailleurs. Le système politique et nos gouvernants doivent aussi être à la hauteur, en donnant la vision et l’exemple, en montrant de la détermination, et en rassemblant. C’est en traitant ce mal qui est en nous, en renforçant notre capacité et notre cohésion, que nous vaincrons le terrorisme!

Un corps sain et fortement immunisé, est capable inéluctablement de détruire tout virus intrus!

M.K.N

 

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