Opinions - 12.05.2014

Le mystère du gouvernement Jômaa et le dialogue national économique!

Un peu plus de 100 jours et le gouvernement Jômaa tâtonne toujours pour trouver une issue aux problèmes économiques actuels. La navigation à vue demeure encore présente et on se demande désormais si ce gouvernement a le courage de prendre des mesures sérieuses (mais aussi douloureuses) et si ce dernier possède de l’audace pour initier des réformes ambitieuses digne d’un groupe ministériel supposé apolitique.
Nous essayons à travers cette lecture de vérifier s’il existe un programme économique cohérent pour la nouvelle équipe dirigeante et s’il y a moyen de se rattraper et de redresser l’économie dans un proche avenir.

Existe-t-il vraiment un programme économique pour le gouvernement Jômaa?

Visiblement, dès le départ, le gouvernement actuel possédait un capital confiance non trivial, un environnement socio-économique relativement consensuel et une trêve médiatique appréciable lui offrant les conditions de réussite et d’excellence.

Cependant, aussi paradoxale que cela puisse paraître, les prémisses d’un manque de visibilité et l’absence d’un effort pédagogique dans l’élaboration d’un programme socioéconomique défendable se sont très vite apparues. Maints arguments peuvent conforter ce constat.

Exagération, catastrophisme et imprécision

Dès la prise de ses fonctions, le discours de ce gouvernement était caractérisé par l’exagération et le catastrophisme, les démarches étaient le plus souvent trébuchantes et les analyses adoptées dans le cadre de l’évaluation de la situation économique étaient incomplètes et superflues. Pratiquement, jusqu’aujourd’hui, aucun jugement objectif du bilan économique de la Troïka n’a été donné, aucun diagnostic compréhensif de la situation actuelle n’a été avancé et aucune projection visible d’un plan d’assainissement et de redressement économiques n’a été constatée (à part les 22 promesses annoncées). Des questions liées par exemple aux finances publiques, à l’emploi des dettes contractées, au secteur énergétique, au système bancaire...méritent toujours des réponses transparentes et convaincantes

Exclusion

Au lieu d’inviter ses compatriotes à débattre les problèmes de la patrie et avancer des solutions concrètes pour notre économie, ce gouvernement a choisi de composer, soit avec des étrangers qui n’ont pratiquement rien à voir avec les problèmes du pays (Eric Schmidt, Jean-Paul Betbèze, Jean-Hervé Lorenzi...), soit avec un cercle restreint d’experts et d’universitaires (1 expert et 6 universitaires)! Même le dialogue économique, programmé pour la fin du mois et supposé être une plateforme permettant de diagnostiquer la situation économique et de trouver des solutions concrètes et cohérentes, s’avère dès le départ biaisé vu la dominance du « politique », l’exclusion d’une bonne partie d’experts nationaux et la sous-représentativité de la société civile. 

Manque d’audace

C’est peut être ici l’argument le plus important; il s’agit d’un ralentissement dans l’application des mesures courageuses et d’une réticence à initier des réformes audacieuses donnant l’impression que ce gouvernement ne cherche qu’un replâtrage hâtif des défaillances de notre économie. Ce constat se trouve conforté par le fait que plusieurs mesures touchant la caisse de compensation, l’économie parallèle, la productivité, la compétitivité, le déficit commercial, le développement régional, etc et qui peuvent désormais être prises sans délais tardent encore à se mettre en place (on en reviendra).

Il n’est jamais trop tard!

Il est quasi-certain que la tâche est lourde vu la contrainte du temps, le cumul des problèmes économiques et la complexité du contexte international. En même temps, cela ne doit pas servir comme prétexte contre tout engagement et toute volonté de résolution des problèmes économiques de court terme et d’initiation des réformes importantes de moyen terme de la part de l’Etat. D’ailleurs, le «pré-dialogue économique» initié il y a quelques jours par le Centre d’Etudes et de Recherches Economiques et Sociales (CERES) et qui a réuni plusieurs experts et universitaires a montré que l’Etat pourra autant que faire se peut aller de l’avant pour trouver des solutions efficaces. Nous retenons ici deux approches touchant les domaines susmentionnés et pouvant frayer la voie à l’équipe dirigeante.

L’approche urgente

En urgence, quelques mesures pourront être prises. A cet égard, et concernant la «compensation», l’instauration d’une taxe sur les véhicules étrangers et d’un quota sur la consommation de l’énergie pour les non résidants, la modernisation du transport public, la classification des bénéficiaires en plusieurs catégories, le ciblage des produits alimentaires subventionnés, etc s’avèrent nécessaires.

Dans le cadre du dossier de «l’économie parallèle», des actions de contrôle des circuits de distribution, d’instauration des règles sécuritaires et de mise en place des équipes et des équipements de sécurité spécialisés sur les frontières, de création des zones franches et des box de change, etc se révèlent incontestables.

Au sujet de «la productivité et la compétitivité», des mesures telles que l’indexation d’une partie des salaires sur la productivité, l’assouplissement des procédures administratives, la révision du code d’investissement, la lutte contre la corruption, etc s’avèrent nécessaires.

Pour ce qui est du problème de «déficit commercial», un engagement vers la rationalisation des importations, l’application des «clauses de sauvegarde spéciales», la normalisation de l’activité d’exportations dans le bassin minier, etc se trouve être indispensable.

Enfin, et en liaison avec la problématique du «développement régional», des actes tels que la valorisation du secteur agricole, l’amélioration de l’exécution des projets d’investissement et l’identification des partenariats avec le privé sont nécessaires.

L’approche graduelle

Graduellement, un certain nombre de réformes et projets doivent se mettre en place. Dans ce cadre, l’idée d’une révision de la stratégie énergétique dans son ensemble (contrats de partage, énergies renouvelables...) est intéressante dans la mesure où elle amortie les pressions sur la caisse de compensation et elle permet une gestion plus alaise des finances publiques.

De même, le renforcement de l’intégration économique, en l’occurrence l’intégration maghrébine est indispensable pour autant qu’elle facilite la circulation des biens, des services, des personnes et des capitaux et qu’elle absorbe une bonne partie du trafic illégal sur les frontières.

Aussi, un projet de révision du système d’éducation et de formation, de refonte du système fiscal et d’amélioration de la gouvernance est irréfutable étant donné qu’il améliore les aptitudes productives des travailleurs et renforce les capacités compétitives des entreprises.

Similairement, l’idée d’une amélioration du climat des affaires, d’une diversification des marchés et d’un renforcement de la diplomatie économique s’avère indispensable dans la mesure où elle enrichit la balance commerciale et elle soutient les grands équilibres macroéconomiques.  

Enfin, un programme d’assainissement du climat social et d’insertion de la problématique du développement régional dans une logique d’aménagement du territoire apparait inévitable du fait qu’il renforce la croissance inclusive et réduit le fossé entre les régions.

Conclusion

Bien que la plupart des gouvernants au sein de l’équipe Jômaa ait un très bon parcours universitaire et/ou professionnel, ce gouvernement n’a pas jusqu’à présent impressionné l’élite, ni marqué le reste de la population, du moins sur le plan économique. Et pour cause, un manque de visibilité et de pédagogie dans l’élaboration d’un programme socioéconomique cohérent touchant les grands axes de l’économie tunisienne ainsi que la réticence à initier des réformes courageuses engageant toutes les forces vives du pays.
Vraisemblablement, il reste encore du temps pour appliquer des mesures urgentes et initier des réformes rassurantes. Toutes les mesures et réformes proposées supposent désormais une présence importante de l’Etat où le gouvernement pourra jouer le rôle d’un «rassembleur» unissant tous les acteurs économiques et sociaux et assurant une construction solidaire de l’avenir.

Aram Belhadj
Enseignant universitaire, FSEGN, Tunisie
Chercheur associé, LEO, France