Opinions - 17.12.2013

Une recette miracle pour que M. Mehdi Jomaa réussisse

Il fallait bien que l'échec des uns fût perçu comme le succès des autres; c'est une règle inévitable de la pratique politique à l'ancienne, plus que jamais en oeuvre chez nous. Car c'est au moment où un ordre ancien, quel qu'il soit bascule et entame sa chute, que l'on s'accroche aux vieilleries, profitant de l'intervalle séparant de l'arrivée d'un autre ordre, le paradigme nouveau.

Nahdha ne pouvait plus tergiverser; il lui fallait quitter le pouvoir après y avoir échoué à plate couture; elle devait toutefois sauver la face. De plus, il lui fallait un minimum d'assurance pour ne pas tout perdre, surtout ne pas devoir répondre des errements de trois années au pouvoir instrumenté à ses visées propres. Certes, elle tient toujours en réserve le credo démocratique et l'adhésion aux valeurs humanistes, mais elle n'en use qu'en dernier recours, sous la pression et en extrême urgence.

L'opposition la plus en vue ne pouvait pas ne pas accepter la sortie du parti majoritaire du pouvoir, même ainsi déguisée. Que l'on sache, le nouveau chef du gouvernement n'est pas membre du parti islamiste et n'est même pas un pratiquant religieux fervent. Certes, c'est risible pour un esprit démocratique d'en arriver à user d'un tel argument, mais il demeure fort significatif en un temps de confusion extrême des valeurs. Alors fallait-il faire montre de jusqu'au-boutisme? Assurément non, d'où la palinodie d'une abstention au choix final qui semble acceptation de la nouvelle donne, malgré tout et sauf surprise de dernière minute.

C'est qu'on attend — tout le pays attend — une véritable surprise de la part du nouvel élu. M. Mehdi Jomaa part en effet avec un a priori favorable, mais qui pourrait se retourner contre lui s'il ne veille pas à en user avec discernement. En l'occurrence, en un temps où, contrairement aux apparences, on veut croire encore aux miracles et on n'a que le choix de le faire; il est donc appelé à enchanter le pays. Or, il en a bien la capacité, les circonstances s'y prêtant à merveille. Je me permets de lui donner ici une recette miracle en trois points dont le bon sens, sinon la pertinence, se vérifie sur le terrain du point de vue d'une observation sociologique organique au long cours.

Rompre urgemment avec conformisme et le dogmatisme ambiants

Plus que jamais, il nous faut de l'originalité dans notre action publique, non seulement en politique, mais aussi dans la gestion économique et sociale de ce pays. En bon gestionnaire qu'il est, le nouveau chef du gouvernement sait à quel point on ne peut manager une équipe non motivée; que dire d'un pays qui a perdu toute confiance en ses dirigeants, et qui doute de son avenir, en désespérant même. Pourtant, il suffirait d'un rien pour que cela change du tout au tout, car les réserves de vitalité sont intactes. Nous le verrons plus loin en abordant l'imaginaire du peuple.

Aussi, il nous faut rompre très vite avec le dogmatisme ambiant, ce conformisme logique supposant un seul langage à tenir — celui de la langue de bois — et une seule politique à appliquer — celle du libéralisme le plus sauvage. Il nous faut user, en lieu et place, de la sincérité à outrance, dire les choses telles qu'elles sont, les montrer sous leur vrai jour, quitte à choquer, quitte à provoquer; le peuple n'attend que cela pour retrouver une certaine confiance perdue en ses élites. Il nous faut aussi un modèle socio-économique dont le centre de décision se situe hors de la capitale et des agglomérations huppées du littoral, en se diffractant dans tout le pays, créant des centres à l'intérieur, y compris et surtout dans les zones les plus défavorisées.

Haro donc sur le discours bêtifiant et lénifiant à propos d'une démocratie vidée de tout contenu, du prestige de l'État qui est nul en l'absence de dignité reconnue au plus humble des citoyens, ou encore d'une souveraineté nationale désormais réduite à un simple slogan en un monde mondialisé et interdépendant !

Mettre l'imagination au pouvoir   

Il est temps que l'on réalise que notre pratique politique manque d'âme faute d'imagination au pouvoir. Que l'expérience de M. Jomaa dans le secteur privé lui serve utilement, lui qui connaît l'importance de l'éclair fulgurant d'une imagination novatrice et innovatrice.

Qu'il n'oublie surtout pas qu'il dispose dans le génie tunisien, cette essence résumant l'être profond de tout un peuple, du simple hère au plus doué de son élite, un trésor de savoir-faire acquis grâce à un talent indéniable d'adaptation, parfois même excessive, à toute situation.

Jusqu'ici, le Tunisien continue de s'adapter à de mauvaises conditions; qu'elles changent vers le meilleur, et on retrouvera le peuple prêt à étonner son monde ! M. Jomaa, ne doutez donc pas un instant de l'intelligence de ce peuple, jouez-en, mettez-la de votre côté, jouez même avec; on étonnera alors véritablement le monde, car la Tunisie est bien capable, non pas d'imiter les autres, mais de leur fournir un modèle de gouvernance politique sui generis. C'est même en cela qu'elle excelle.

Coller à l'imaginaire du peuple

Pour ce faire, il est impératif de tenir compte de l'imaginaire de notre peuple, humble, mais matois et malicieux, de cette malice badine qui est la santé de l'âme. Qu'est-ce à dire sinon de répondre à ses attentes? Quelles sont-elles? Si on essaye de les réunir rapidement et concrètement, quittant les sentiers battus des slogans creux, nous les réunirons en trois points à forte charge symbolique et pratique.

1 - L'horizontalité du pouvoir économique et politique avec une décentralisation accrue et de véritables pouvoirs reconnus aux régions et aux localités. On le voit, au plus fort de la crise, le peuple s'en sort; certes, très difficilement, mais il s'en sort en bricolant sa vie; d'où ce secteur économique informel qu'on dénonce et qui se révèle être une soupape de sécurité. C'est également et surtout grâce à des solidarités anciennes, traditionnelles, enracinées localement, qu'il arrive non seulement à s'en sortir, mais même à continuer à satisfaire son désir de profiter de la vie, servir une âme hédoniste quant au fond. Aussi faut-il passer dans l'urgence d'une démocratie représentative qui n'a plus de sens ¬— et ce même en un Occident en pleine crise — vers une démocratie participative où la société civile aura un rôle majeur à jouer dans chaque localité. On l'a vu récemment avec le cas de Gabès; c'est le sens incontournable de l'histoire. Ce ne sont donc pas des élections nationales qu'il importe de réaliser au plus vite — et surtout pas au scrutin anonyme de liste —, mais bien des élections municipales au scrutin uninominal où chacun connaît personnellement son élu qui doit être continuellement comptable de son action devant ses électeurs par le biais d'instances de proximité dotées de pouvoirs et de compétences.

2 - La dépollution du langage politique en traçant des lignes sûres d'orientation véritablement démocratique. Il faut d'urgence suspendre toutes les lois liberticides, y compris celles qui se prétendent fondées en termes religieux, une religion souvent mal interprétée, caricaturée et violée (je vise plus particulièrement ici les lois punissant l'incroyance, l'atteinte au sacré et à la liberté privée et de conscience). Pour cela, des signaux forts doivent être envoyés sans plus tarder à la société et au monde afin de ne pas laisser place au moindre doute; or, on sait à quel point celui-ci mine la plus sûre des volontés. Que le consensus soit donc obtenu pour insérer incontinent dans la constitution ces marqueurs incontestables de la modernité démocratique que sont : l'abolition de la peine de mort, la totale liberté de conscience en décriminalisant toute atteinte au sacré, qu'il soit en conviction ou du fait des mœurs, et en incriminant plutôt tout anathème pour incroyance ou athéisme. Ainsi et ainsi seulement aura-t-on plus de chances de susciter la confiance de part et d'autre sur les intentions des uns et des autres et d'ancrer la Tunisie dans une nouvelle modernité politique.
3 - En un univers mondialisé où les souverainetés nationales n'ont plus de sens sans imbrication étroite dans l'interdépendance, la Tunisie ne saurait échapper à son ère géopolitique. Et celle-ci est forcément de dépendre de la sphère d'influence occidentale, sinon politique, du moins économique. Or, il serait illusoire, sinon criminel, de vouloir imposer à la Tunisie pauvre de relever du système capitaliste sans une compensation sérieuse aux nécessaires sacrifices sociaux, et ce par l'imbrication concomitante dans le système politique démocratique de l'Occident. La Tunisie est aux portes de l'Europe, elle en est même plus proche que les pays de l'Europe de l'Est, étant en quelque sort déjà économiquement et informellement membre de l'Europe. Toutefois, dans l'immédiat, cela n'a que des désavantages. Il faut donc que, de part et d'autre, qu'on saute le pas: la Tunisie demandant son adhésion à l'Union européenne et celle-ci, comprenant enfin son intérêt stratégique sur le long terme, l'acceptant ou prenant l'initiative de le proposer. Dans cette attente, impérativement, notre pays doit innover diplomatiquement en réclamant la transformation du visa actuel obsolète et criminogène en visa biométrique de circulation, ne serait-ce que pour barrer la route aux extrémistes exploitant à fond la désespérance de notre jeunesse privée d'espoir du fait de la quasi-impossibilité pour elle de bouger, voir du monde et concrétiser en projets prometteurs les rêves dont sa tête déborde.

Voilà succinctement quelques mesures urgentes et d'envergure à prendre immédiatement ou de nature à alimenter une sérieuse réflexion; elles seraient autant d'électrochocs désormais nécessaires pour sortir de l'inertie morbide et mortifère qui caractérise aujourd'hui notre classe politique. Et c'est d'autant plus ravageur que le peuple, dans cet âge postmoderne qui est le sien, étant une ère des foules, des communions émotionnelles et des sens exacerbés, s'apprête à fêter l'anniversaire d'une révolution qui tarde à donner fruits. Car si le peuple a fait sa révolution, la classe politique tarde à faire la sienne; et celle-ci est mentale.

M. Mehdi Jomaa, c'est ce qu'attend le peuple de vous; enchantez-le en réenchantant la Tunisie et le monde; vous en êtes bien capable !

Farhat Othman
 

Tags : Mehdi Jomaa   Tunisie  
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6 Commentaires
Les Commentaires
radhia - 17-12-2013 12:25

toujours ce mot Enahdha a échoué, regardons devant nous et si vous insister pour regarder derrière vous il suffit une action qui émerge et c'est d'avoir céder la place sans passer par une élection qui l'a porté au pouvoir, seulement pour réussir la transition dans la paix, un exemple à méditer pour beaucoup de partis dans le monde et surtout pour l'auteur de cet article

berger - 17-12-2013 14:22

A force de vous suivre à travers vos écrits ici, on fini par connaitre votre monde dans lequel vous vivez, et vous avez parfaitement raison d´y être. Je me permets toutefois de faire une Remarque qui exprime un état de chose que je connais assez bien. Vous dites que la jeunesse tunisienne ou partie de de celle-ci est en quelque sorte empêché de bouger et d´aller voir le monde par je ne sais qui. Eh ben selon mes propres observations et expériences. le tunisien ne fréquente pas du tout l´étranger et surtout pas les habitants du pays dans lequel ce tunisien s´y trouve. S´il est ouvrier dans ce pays, quel qu´il soit, il fait ce qu´on dit en France à savoir "boulot, m2tro, dodo, et si il est étudiant c´est la même chose "étude, métro, dodo. Je n´ai jamais vu un tunisien et même un arabe en ville pour ne pas dire la nuit dans un bar. Comment croire que ses gens cherchent à connaitre les étranger ou à découvrir la vie des autres. Cela, je ne l´ai jamais vu. Les tunisiens quand ils sortent dans un café ils vont ensemble; et ses observations se sont déroulés sur plusieurs années et dans plusieurs pays. C´est ma conviction que le tunisien en général ne connais pas l´occident ,peut être à travers les livres. Je vois aussi ce que vous dites vous même sur cet Occident n´est pas correct. L´occident pour lui la vie est un jeu qu´il doit tout faire pour le gagner. "to be or not to be"Tout autre attitude est une pure illusion. Il y a des écrivains et penseurs qui disserte sur la condition humaine en général, mais pour l´essentiel tout le monde est content de la vie ici, le reste c´est du travail pour le travail. Je répète le tunisien ne connais pas l´Occident et ne voudrait pas le connaitre ;son intérêt est ailleurs, et ce n´est Même dans "l´imaginaire" dont vous parlez. On devrait créer de bonnes conditions de vie , de travail, et de bien être pour la jeunesse en Tunisie, il n y a pas et il n´y aura pas d´autres moyens .

Moumen - 17-12-2013 22:12

Excellent article. Une vision juste de ce qui peut faire la Tunisie de sa crise actuelle. Si nos politiques veulent inscrire le nom de la Tunisie dans l'histoire universelle en lettres d'or,c'est le chemin à suivre.

bergere - 18-12-2013 04:33

berger faux et archi faux ;quand je voyage je m 'interesse aux gens du pays à leur histoire etc quand à l 'Occident et à à La france en particukier en particulier;je la connais mieux que beaucoup de francais son histoire du sacre de rheims à l 'époque comtemporaine.Des luttes des Canuts à la lutte des sidrurgistes des lipps d 'henri Martin;à la Commune en passant par son expéditions d Egypte;ses régions des basques et de leur piment d espelettes à la Bretagne son gout du large ses problemes de peche son agriculture intensive; ses algues vertes et enfin ses bonnets rouges.du larzac et de sa lutte ou Bové s'est fait constuire sa maison écolo;de Marseille et des luttes entre Menucci ghali les guérini.des Cévennes et leur désertifications du Var et de son rcisme etc un atalogue à la Prevert et ne généralisez pas .

Loukil Mohamed - 18-12-2013 11:23

Si MJ est une aubaine pour cette intelligence Tunisienne qui n'a pas besoin de copier mais d'innover. Si MJ est appelé a remettre la Tunisie dans son Authenticité c'est ne plus avoir peur du danger et récupérer la confiance qui s'est délabrée depuis ce fameux 23 octobre qui a livre ce beau pays a des apprentis sorciers qui manquent de ces Savoir Être et Faire . Cette confiance entre citoyens et gouvernants est la clef qui ouvre l'impossible a un autre POSSIBLE.

berger - 20-12-2013 01:47

A bergère. Merci de votre communication.D´abord j´ai toujours écrit , en general, sachant bien que je ne peux pas connaitre tout le monde. En tout cas c´est très bien que vous voyagez pour connaitre le pays dans lequel vous vous trouvez. Mais je maintien ce que j´ai dit à propos des contact direct avec les gens du pays, en dehors des heures de travail ou étude. C´est là qu´on connait les gens vraiment , c´est ce qu´on appelle la vie en société. Moi j´ai en tête cet aspect là,la vie en société d´après moi c´est là qu´on connait les gens comment ils vivent réellement en famille, avec leurs amis, ce quíls pensent du travail, de la société et aussi ce qu´ils pensent du monde et pour quoi pas des arabes , d´autres choses encore.Il m´est arrive de recevoir des visites de la Tunisie, et crois- moi eh bien personne n´a envie de quitter mon appartement,et ils n´expriment meme pas le besoin de voir ceci ou celà du pays. Et ca ne m´étonne pas du tout, quand j´ai très jeune mon père m´empêchait de sortir la nuit, et meme le jour, de frequenter qui je veux etc.. allons vous avez oublier les traditions du pays ou quoi? Moi je voulais dire qu´il ya encore beaucoup de choses à faire. Moi je suis en tout cas convaincu de c e que je dis, je l´ai vu aujourd´hui, je l´ai vu hier. Moi je parle de la vie SOCIALE, c´est ce qui va se passer justement une fois la Tunisie entre réllement dans la démocratie.Dans une démocratie c´est tout à fait normal de vivre en société. Je m´excuse mais si tu ne sait pas ca c ést que tu ne sais pas encore la différence entre la démocratie et la dictature.Enfin je ne généralise pas. Moi j´ai fais ma révolte en Tunisie quand j´avais 18 ans contre les traditions familiales ainsi que contre l´ordre établi en tunisie. Pour moi la frequentation d´étranger, en tunisie et á l´étranger c´est une chose normale depuis longtemps mais je suis pas le seul bien sûr.

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