Opinions - 19.06.2013

Régimes de change et « Guerre des monnaies »: Qu'en est-il du dinar tunisien?

La dépréciation récente du dinar (1 euro = 2,133 dinars) a alarmé les autorités monétaires tunisiennes et suscité un vif débat au sein de la classe politique. La violence du débat est à la mesure des fortes dépréciations successives de ces dix dernières années : en effet,   nous sommes passés de 1,1 dinar pour 1 euro en 2001 à 2,133 dinars pour 1 euro aujourd’hui, soit une dépréciation de plus de 50% en 12 ans.

Si certains hommes d’affaires (industrie du textile, industrie électrique ou encore le secteur du tourisme, …)  se frottent les mains car une dépréciation du dinar ne peut qu'améliorer leur compétitivité-prix et ainsi stimuler davantage leurs exportations, un vent de panique a, au contraire, soufflé sur d’autres secteurs, concentré sur le marché national, gourment en matières premières et en technologies, très dépendant donc des fluctuations des prix et du taux de change du dinar.

Nous proposons ici de présenter succinctement, sous forme d’un tableau, les différents régimes de change afin d’éclairer le lecteur non initié aux sciences économiques sur la détermination des taux de change et la complexité du système monétaire international. Ensuite, nous montrerons comment les grands pays industrialisés se livrent à une véritable « Guerre monétaire » à coup de dévaluations compétitives. Enfin, nous analyserons les raisons de la dégradation du taux de change du dinar et effets sur la sphère productive.

1/ Les différents régimes de changes

Régimes de change

régime d'arrimage ferme (change fixe)

Régime d'arrimage souple (intermédiaire)

Régime de change flottant

Mécanismes

et

fonctionnement

La valeur d'une monnaie, exprimée en devises, est toujours la même.

 

Elle est fixée par les autorités publiques, et la banque centrale intervient sur le marché monétaire pour maintenir la parité fixe (cours pivot). Des modifications du cours pivot (dévaluation ou réévaluation) peuvent toutefois être autorisées sous certaines conditions.

 

Deux possibilités sont offertes aux pays qui optent pour ce régime de change :

 

1/ Dollarisation intégrale : Le dollar donne cours légal à la monnaie d’un autre pays (comme le Panama, solution extrême).

 

2/ Système de caisse d’émission (en anglais currency board) : la banque centrale doit conserver des avoirs extérieurs d’un montant au moins égal à la monnaie locale en circulation et aux réserves bancaires (cas du peso argentin de 1991 à 2001 ou encore de Hong Kong).

 

La valeur d’une monnaie exprimée en devises, peut varier par rapport à la monnaie d’ancrage dans une fourchette étroite (plus au moins 1%) ou large (plus au moins 30%). La banque centrale intervient pour maintenir la valeur de la monnaie dans les limites autorisées.

 

La Chine: depuis juillet 2005 le yuan est ancré sur un panier de devises (dollar, euro, yen, …). Ce sont toujours les autorités chinoises qui définissent le taux de change officiel, ce qui laisse toujours une interrogation sur la composition du panier de devises. Les pays développés accusent la Chine de ne pas jouer le jeu des changes flottants pour maintenir sa devise sous-évaluée afin de favoriser ses exportations.

 

Autres exemples de pays: Russie, Algérie, Argentine, Iran, etc. 

La valeur d’une monnaie exprimée en devises dépend de l’offre et de la monnaie sur le marché monétaire.

 

Le change euro/dollar est un taux de change flottant.

 

Exemples de pays : les Etats-Unis, Zone euro, la Suisse, le Brésil,...En fait, presque tous les pays industrialisés et émergents.

 

 

Avantages

Il suppose une politique budgétaire et structurelle solide et une faible inflation. Il offre plus de certitude concernant la tarification des transactions internationales.

 

Ce régime accorde aux pays une marge de manœuvre au niveau de la politique monétaire, pour faire face aux crises conjoncturelles.

Une politique monétaire indépendante.

Inconvénients

Un tel régime n’a pas de politique monétaire indépendante : le taux de change et le taux d’intérêt sont liés à ceux du pays de la monnaie d’ancrage.

 

Vulnérable à l’égard des crises financières. Le pays peut être contraint de dévaluer fortement sa monnaie, voire même d’abandonner l’arrimage. 

Risque de spéculation


En 2008, le FMI recensait  48 pays avec un régime de change fixe (arrimage ferme) et 60 pays avec un régime intermédiaire (arrimage souple) et 79 pays avec un régime de taux flottant. Ces derniers sont en net progrès depuis le début des années 1990.

2/ «Guerre des monnaies»

Une mésentente profonde domine les relations internationales au sujet de la parité de leurs monnaies respectives. Le duel Etats-Unis - Chine mais aussi Europe - Etats-Unis ou encore Europe-Chine, sans oublier celui du  Japon-Corée du sud : chacun des pays accuse l’autre de sous-évaluer sa monnaie pour en tirer des avantages d’ordre concurrentiel. En somme, il s’agit d’une guerre économique de dimension monétaire : la dépréciation du taux de change est un outil monétaire pour gagner en termes de compétitivité-prix.  Cet outil peut aider ponctuellement un pays pour stimuler ses exportations et résorber ainsi son déficit commercial ! Le risque réside dans la généralisation de la même politique de dépréciation ou de dévaluation compétitive. Les chinois sont passés maître en la matière. Les déficits commerciaux en 2010 de l’Union Européenne et des Etats-Unis avec la Chine s'élevaient respectivement de 168,8 milliards d’euros et 205 milliards d’euros.

Les pays riches accusent donc les pays émergents, plus singulièrement la Chine, de sous-évaluer leur monnaie (intervention sur le marché de change, accumulation des réserves –voir le graphique- et hausse du taux d’intérêt) pour favoriser leurs exportations. Une telle politique monétaire est de nature aussi à limiter les importations des pays émergents auprès des pays occidentaux.

Graphique 1 : Classement des pays selon leurs réserves en or et devises

Source : CIA, World Facthook, janvier 2009.

Le graphique 2 montre que les Etats-Unis usent aussi de cette arme monétaire pour booster leurs exportations. Aussi, entre janvier 2006 et janvier 2013, le dollar s’est fortement déprécié vis-à-vis des principales monnaies internationales à l’exception de la livre Sterling (7% au profit du dollar). Ainsi, nous pouvons constater  une appréciation du Franc Suisse par rapport dollar de près de 43%,  d’environ 37% du Yen japonais, de 30% et 11% pour respectivement le Yuan chinois et l’euro.

Graphique 2

3/ Taux de change du dinar et ses effets sur la sphère productive

3.1/ Comment se détermine le taux de change du dinar ?

Sur le site de la banque centrale tunisienne (BCT) on peut lire le paragraphe suivant : « Le taux de change du dinar tunisien (TND) est déterminé sur le marché interbancaire. Dans ce cadre, les banques de la place s’échangent les devises entre elles ou avec la clientèle à des cours librement négociés. Le rôle de La Banque Centrale de Tunisie consiste à intervenir pour réguler la liquidité sur le marché en cas de déséquilibre entre l’offre et la demande des devises sur ce marché ». En clair, la BCT ajuste son taux de change de référence sur la base du taux de change moyen sur le marché interbancaire et non en fonction d’un panier fixe de monnaies. Elle intervient sur le marché de change lorsque les cotations de marché subissent des fluctuations importantes par rapport au fixing quotidien.

La BCT peut donc intervenir pour soutenir le dinar comme elle peut faire le choix de le laisser se déprécier ! En principe, pour le défendre la BCT est obligée de débourser des devises en le rachetant; ce qui aggrave davantage nos réserves en devises! Nos réserves, le 16 mai 2013, étaient de l’ordre de  10449,4 millions de dinars, soit l’équivalent de 96 jours d’importation, selon les données de la Banque centrale (voir le site).

Le professeur Chedly Ayari, gouverneur de la BCT, explique  la dégradation du taux de change du dinar par « (…) la très forte demande en devises durant le mois d’avril, d’un montant de 350 millions d’euros. De grandes compagnies devaient procéder à des transferts en devises de gros montants, (…) ». Sauf que les « transferts en devises de gros montants » par les grandes compagnies  entre avril et juin sont un phénomène habituel, chaque année.

La chute était, hélas, prévisible! D'ailleurs, d'ici décembre, à notre avis, elle se poursuivra pour atteindre 1 euro = 2,5 dinars. Plusieurs raisons expliquent notre pessimisme : d’abord, l’absence d’une volonté politique réelle pour éradiquer la violence, sans oublier le moral en berne des Tunisiens.  Le manque d’attractivité de l’économie tunisienne pour les investissements directs Etrangers (IDE) à cause de l’insécurité et l’insuffisance des recettes touristiques ne font qu’alourdir la note. A cela s’ajoute le manque des transferts des Tunisiens résidents à l’étranger en raison notamment de la crise européenne qui malmène leurs pouvoirs d’achat.  L’ensemble de ces facteurs se traduisent par des carences chroniques en réserve des devises. Et ce sont ces réserves qui normalement sont censées -comme nous l’avons vu plus haut- permettre à la BCT de défendre le dinar sur le marché monétaire. Malheureusement, notre institution d’émission ne dispose pas aujourd’hui de moyens ni d’armes nécessaires pour défendre notre monnaie nationale.

3.2/ Les effets d’une dépréciation du dinar sur la sphère productive

La dépréciation (ou dévaluation) d’une monnaie entraîne une baisse du prix des exportations et mécaniquement une hausse de celui des importations. La courbe en J nous apprend que, dans premier temps, la structure des échanges (c’est-à-dire les quantités échangées) restant la même, la balance courante se dégrade. Puis les changements de prix ont des effets sur les quantités exportées, qui augmentent, et sur les quantités importées, qui diminuent. Alors la balance courante s’améliore.

Hélas, trois fois hélas, la réalité est plus amère  que ça ! Deux conséquences majeures :
- Une inflation importée en raison de la hausse des coûts de la facturation des matières premières, des produits semi-finis et des technologies indispensables pour nos entreprises (biens d’équipements, pièces de rechange,…) ;
- Et une augmentation du service (des intérêts) de la dette extérieur : 60% de la dette tunisienne est libellée en euro.    
En général,  les travaux des économistes sur les effets de la baisse des taux de change sur les soldes des balances commerciales ont montré que ces effets sont variables dans le temps et selon la qualité du tissu industriel.

Ezzeddine Ben Hamida
Professeur de sciences économiques et sociales



















 

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4 Commentaires
Les Commentaires
Charfi Marrakchi Fatma - 19-06-2013 17:31

Par souci de rigueur scientifique, je voudrai attirer votre attention sur le fait que l'effet courbe en J n'est pas systématique. Autrement dit toute dépréciation (dévaluation) d'une monnaie ne pourrait avoir un impact positif sur la balance commerciale que si la somme des élasticités de la demande à l'importation et de la demande à l'exportation est en valeur absolue supérieure à l'unité. Sans cette condition la dépréciation aura un effet négatif sur la balance commerciale car l'effet prix l'aurait emporté sur l'effet volume. Dans le même sens quand vous dites "La dépréciation (ou dévaluation) d’une monnaie entraîne une baisse du prix des exportations" les prix dont il s'agit sont les prix exprimés en devises étrangères qui devraient augmenter les quantités exportées et non en monnaie locale (et là nous faisons référence à l'élasticité demande à l'exportation que j ai évoqué plus haut). Finalement quand vous dites :"En général, les travaux des économistes sur les effets de la baisse des taux de change sur les soldes des balances commerciales ont montré que ces effets sont variables dans le temps et selon la qualité du tissu industriel", je vous rappelle que vous n'êtes pas entrain d'étudier le cas général mais du cas de la Tunisie et nous économistes on connait l'impact de la variation du taux de change sur la balance commerciale et je vous renvoie à l'article suivant : Euro/dollar : Quelle stratégie de change pour la Tunisie ? Fatma Marrakchi Charfi Article publié dansla Revue de l’OFCE n°108, janvier 2009, pp. 85 - 114

Mohamed DJERBI - 21-06-2013 08:51

Excellent exposé, mais notre dinar est condamné à rester toujours petit et insignifiant. Les dépréciations par rapport au dollar et à l'euro seront continues en raison de la structure de notre économie. L'examen de la balance commerciale regime général fait ressortir un énorme déficit résultant de fortes importations face à de maigres exportations. La balance commerciale du régime off shore fait ressortir quant à lui un excédent assez conséquent de nature à diminuer fortement le déficit de la balance du régime général. Au niveau de la balance des paiements, nous trouvons également que le tourisme contribue pour une part importante dans les entrées de devises en Tunisie. Quelle que soit la personne à la BCT, aucun remède ne peut être apporté. Notre économie est fortement dépendante des entreprises off shore, totalement exportatrices et du tourisme de masse. Les entreprises off shore et totalement exportatrices sont chez nous pour la main d'oeuvre bon marché qu'elles trouvent. A chaque augmentation substancielle de salaire, elles brandissent la menace de partir en raison de la baisse de la compétitivité du salarié tunisien. Comme nos dirigeants d'hier étaient incapables de trouver une solution au chômage, ils finissaient par déprécier le dinar pour annuler la hausse des salaires. Nos dirigeants actuels ne peuvent rien faire comme ceux qui les ont précédé, pire poussés par des revendications sociales hors limite provoquées par les partis d'opposition dans leurs surenchères pour faire tomber le gouvernement, en réalité pour ruiner le pays, ont cédé eux aussi aux augmentation des salaires. Depuis toujours quand le tourisme manquait, le gouvernement faisait baisser le cours du dinar, diminuait les taxes aéroportuaires et le prix du kérosene pour les avions charter afin de rendre le séjours bon marché. Aujourd'hui, face à une économie européenne en crise où les gens projettent de moins en moins de passer des vacances à l'étranger, on ne peut en Tunisie que proposer des prix au rabais pour les ramener chez nous. Le rabais sera accordé à travers la dépréciation de notre dinar. Cette dépréciation profitera aux entreprises off shore ayant accordé des augmentations de salaires et ainsi ce qui a été donné par une main, sera repris par l'autre. L'UE étant notre premier partenaire économique et doit le rester, il n'est pas normal que notre monnaie s'apprécie par rapport au dollar et que nos importations aillent ailleurs facilement. L'observation du marché des biens de consommation fait ressortir une abondance de marchandises importées de toute sorte proposées à crédit ce qui veut dire n'ayant pas une véritable demande solvable et qui ont participé à creuser le trou du déficit et à la dépréciation de notre pauvre dinar. Le gouverneur de la BCT a il y a quelques mois mis des restrictions sur le financement de certains produits de luxe, je ne sais pas si ces restrictions sont appliquées ou non. Nos banques occupées par leurs profits, accordent crédits et facilités à des commerçants qui spéculent contre notre dinar, oubliant au passage que si un jour l'économie fait faillite, eux aussi feront faillite et seront des proies faciles pour les étrangers. Je lance un appel à nos politiciens et syndicalistes de cesser de jeter de l'huile sur le feu en arrêtant la surenchère, de pousser les gens à travailler, à revoir un modèle de développement économique qui nous permettrait d'être moins dépendant aussi bien du tourisme que des entreprises off shore et du coup de certaines parties étrangères. A nos banque de n'accorder de facilité qu'à ceux qui contribuent à faire des créations d'emplois et de valeurs ahoutées en Tunisie

Mohamed Abdennadher - 21-06-2013 16:54

La dévaluation aura des effets néfastes sur la détérioration des termes de l'échange de notre balance commerciale et sur l'économie tunisienne en général.La dévaluation rend les produits tunisiens destinés à l'exportation moins chers et donc plus compétitifs. Mais du même coup, la valeur des produits importés augmentent en conséquence. Or, l'économie tunisienne est fortement importatrice de biens d'équipement et de biens intermédiaires qui entrent dans le processus de production industrielle. Ces biens ont la caractéristique d'avoir une propension à augmenter en valeur supérieure à celle des autres produits (matières premières et produits de consommation courante) qui sont l'apanage des exportations tunisiennes. En définitive, la dévaluation va avoir des effets qui peuvent être immédiats dans la relance des exportations. Mais, comme la base économique du pays est assez faible, notre industie peu diversifiée et peu performante et qui porte essentiellement sur la production de produits banalisés et de faible valeur ajoutée et soutiennet peu la concurrence, la courbe ascendante du volume des exportations va vite trouver ses limites puis entamer une chute et les effets positifs de la dévaluation se délayer et notre balance commerciale déjà déficitaire au départ se creuser davantage.Ainsi, la dévaluation quelle soit officielle ou officieuse ne doit pas de raison d'être. La valeur de notre monnaie ne doit être ni trop forte ni trop faible, il faut trouver le juste équilibre. Il faut surtout s'orienter vers la production de produits haut de gamme, à fort contenu technologique et à forte valeur ajoutée. En plus, il va falloir procéder à la redynamisation de notre économie et oeuvrer pour des solutions profondes (nouvelle stratégie industrielle, innovation technologique, spécialisation et redéploiement industriel)et la question de la dévaluation devient secondaire et ne se pose même plus.

Ali Chebbi - 23-06-2013 22:35

Quelques réactions dans l'article suivant: http://www.espacemanager.com/macro/depreciation-du-dinar-mesures-regulatrices-et-strategies-de-reformes.html

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