News - 27.01.2013

Peut-on encore sauver la presse régionale ?

Un à un, les quelques rares titres de la presse régionale se sabordent en silence, dans l’indifférence. Le doyen, Al Canal (Bizerte), fondé en 1967,  Al-Ribat (Sousse), Sabra (Kairouan) et bien d’autres se résignent à cesser de paraître. Seuls quatre titres résistent encore : La Gazette du Sud et Chams Al Janoub (Sfax), Le Miroir du Centre (Sidi Bouzid) et Al Jazira (Djerba). Un cinquième journal se lance courageusement à Sousse, Akhbar al Sahel. Les tirages sont très réduits, les recettes publicitaires justes de quoi survivre et les difficultés sont multiples. Le contenu rédactionnel s’en trouve pénalisé. Leurs directeurs viennent de lancer un véritable cri d’alarme dans une lettre adressée aux autorités. Faute d’une prompte réponse, leurs publications, alors qu’elles sont appelées à se rénover, risquent de disparaître. Qui aura alors le courage de reprendre le flambeau ?

C’est sans doute une double peine que subit la presse régionale ! D’abord, celle de la presse écrite, en Tunisie comme dans le monde, avec la désaffection des lecteurs et annonceurs et la montée des coûts de production et de diffusion. Mais aussi, l’étroitesse du marché local, dans les régions et le désintérêt général. Pourtant, les grandes villes, notamment Sousse et Sfax, avaient connu, depuis le début du siècle dernier, une presse locale bien florissante. Journaux des communautés étrangères et presse tunisienne militante, les titres étaient prisés jusqu’aux premières années de l’indépendance. Depuis lors, les nouvelles publications ont dû s’armer de courage et de patience pour continuer à paraître. Le modèle économique était fondé essentiellement sur les subventions des autorités régionales, l’appui des entreprises et la publicité des entreprises publiques octroyée parcimonieusement par l’ex-ATCE. Avec la révolution, tout cela a dû changer. Pionnier de cette presse régionale d’après-indépendance, Ali Baklouti résume bien la situation. Son mensuel en langue française, La Gazette du Sud, édité à Sfax et qui boucle ce mois de janvier sa 36e année, arrive difficilement à équilibrer ses comptes. Avec un tirage moyen de 2 000 exemplaires et  1 500 abonnés, son chiffre d’affaires annuel est de
70 000 D. Les recettes publicitaires n’en représentent que 20 000 D. «Nous nous trouvons confrontés à tous les problèmes à la fois, explique-t-il à Leaders. D’abord, au niveau rédactionnel: raréfaction des plumes francophones et absence d’engouement des jeunes pour la presse écrite. Pour ce qui est des annonceurs aussi. Ils sont rares dans la région et ceux qui sont établis dans la capitale ne s’intéressent pas aux publications de l’intérieur du pays. Et enfin, l’étiolement du lectorat francophone». Son mensuel en langue arabe Chams Al Janoub s’en sort un peu mieux. Le tirage s’élève à 3 000 exemplaires et le nombre des abonnés est de près de 2 500. Le chiffre d’affaires moyen est de 130 000 D dont 30 000 en recettes publicitaires. Mais, on est loin d’une situation prospère.

Une même détresse

Sur les pas d’Ali Baklouti, Mahmoud Horchani s’était lancé dès 1981 dans la publication, à partir de Sidi Bouzid, de son mensuel en langue arabe Miroir du Centre. Au bout de 32 ans de persévérance, il risque de mettre fin à cette aventure. «Sans subventions régionales et publicité publique nationale, dit-il à Leaders, nous nous trouvons asphyxiés. Avant, c’était la dotation de soutien du conseil du gouvernorat et les abonnements d’honneur qui nous permettaient, avec les insertions de l’ATCE, de boucler nos comptes et de dégager de maigres marges. Aujourd’hui, tout cela nous fait défaut». Pour Horchani, aucune lueur d’espoir ne pointe pour le moment à l’horizon, sauf si le gouvernement se décide à accorder une aide appropriée à la presse régionale. L’expérience de Lotfi Jeriri, fondateur en 1980 du mensuel Al Jazira à Djerba est édifiante. Dès le départ, il a compris que la vocation de son journal est de se concentrer sur l’actualité de l’île et son patrimoine, en prenant la défense de ses causes et célébrant les réussites de ses enfants. En choisissant un format tabloïd, moins onéreux que les magazines avec couverture en couleur sur papier couché, il a réduit les coûts d’impression. Le tirage moyen s’élève à 7 000 exemplaires, dont près de 3 000 servis à des abonnés et le chiffre d’affaires s’établit à près de
80 000 D, réalisé quasiment à parité entre publicité et abonnements.

«Nous n’avons pas de difficultés particulières pour la rédaction, nous dit-il. Le journal compte, depuis sa création, essentiellement sur l’élite locale. Tous ceux et celles qui peuvent enrichir le journal ont été admis en tant que chroniqueurs. Ils sont charmés de pouvoir s’exprimer sur les affaires concernant leur région, leur cité. La rédaction complète le reste. Mais, c’est le manque d’insertions publicitaires qui nous plombe. Avant, nous avions une part acquise d’avance de publicité gouvernementale. Notre journal jouissait de l’équivalent de 800 DT de publicité mensuellement de la part de l’ATCE. Mais depuis que cette institution n’est plus, nous avons dû redoubler d’effort et en même temps limiter les frais: pas plus de 16 pages dont -obligatoirement- 6 de pub. Autrement, l’équilibre financier n’est plus assuré ».  «Notre point fort commercial, ajoute-t-il, ce sont les abonnements. Notre journal est principalement celui de Djerba. Les Djerbiens sont partout aussi bien dans les quatre coins du pays qu’à l’étranger. Ils se sont toujours fait un devoir de s’abonner à Al-Jazira pour être constamment au courant des nouvelles de leur île. Nous comptons 2 800 abonnés dans l’ensemble de la Tunisie, essentiellement à Djerba, Tunis et le Nord-Est (Le Kef, Jendouba, Bizerte). Nous avons aussi des lecteurs intéressants en France (79), en Allemagne,  en Suisse, en Australie, au Canada, aux USA, en Autriche, en Arabie,à Bahreïn…».

Tout un dispositif d’appui est nécessaire

Quand on demande à ces patrons de presse quelles sont leurs revendications, ils répondent tous d’une même voix: «mais d’abord, auprès de qui ? Avons-nous un interlocuteur à même de nous écouter?». «Depuis début 2011, explique Jeriri, l’indemnité gouvernementale à la presse régionale a été interrompue, l’ATCE dissoute et diverses instances régionales et locales (les municipalités entre autres) soumises à des contraintes dont la presse régionale serait la dernière. Donc, notre seule revendication est qu’on nous laisse travailler. Le fait que le gouverneur de la région alerté par la délégation spéciale de la municipalité de Djerba-Midoun intente un procès contre le journal pour avoir dénoncé la vente aux étrangers de terrains agricoles sur l’île interdits de vente aux non-Tunisiens, n’augure rien de bon quant à la relation qui doit régir les rapports entre l’autorité et la presse régionale. Et puis, il y a cette circulaire du Premier ministre qui interdit aux instances régionales de s’abonner aux périodiques régionaux. Cela fait un manque à gagner énorme pour nos entreprises et ne facilite pas la tâche des responsables régionaux qui doivent connaître les préoccupations et autres problèmes de leurs concitoyens et lire la réalité de leur région».

Le dossier est en fait plus compliqué. Adossé à celui de l’ensemble des médias et du système de l’aide de l’Etat, il mérite un traitement en profondeur. Pour préserver la presse régionale en tant que média de proximité et d’expression locale, un régime préférentiel doit lui être réservé, qu’il s’agisse de fiscalité, d’aide à l’achat du papier et au recrutement des journalistes, de publicité publique nationale et locale et d’abonnements à souscrire par les institutions publiques. Cet appui pourrait s’inscrire dans le cadre d’un cahier des charges précis et relever de l’autorité de la nouvelle instance en charge des médias qui sera créée. Il est clair que sans soutien public, point de presse régionale indépendante et de qualité. Mais qui s’en préoccupe pour le moment. Dommage ! 

 

Vous aimez cet article ? partagez-le avec vos amis ! Abonnez-vous
commenter cet article
1 Commentaire
Les Commentaires
kallel - 28-01-2013 07:37

Vos concurrents l'on sans doute bien compris: il faut être présent sur internet :)

X

Fly-out sidebar

This is an optional, fully widgetized sidebar. Show your latest posts, comments, etc. As is the rest of the menu, the sidebar too is fully color customizable.