Opinions - 06.12.2012

Non au partenariat pour l'immobilité avec l'Union Européenne !

Mais que fait la diplomatie tunisienne? Où est le génie populaire dans l'action de notre ministère des Affaires étrangères? Ainsi après avoir accepté le strapontin pour un soi-disant statut avancé — alors que les autorités européennes étaient prêtes à offrir à la Tunisie de Ben Ali tous les avantages d'un État membre à l'exclusion de celui de l'adhésion — voilà notre pays qui accepte de négocier la conclusion d'un illusoire partenariat pour une prétendue mobilité qui ne sera, sans conteste, que de l'immobilité !

Les pourparlers qui commencent aujourd'hui avec l'Union Européenne sont une preuve supplémentaire de l'inanité de l'action diplomatique actuelle de la Tunisie en direction de l'Europe tout autant que de sa vacuité de tout sens moral, ayant lieu à la veille de la célébration d'une révolution que l'on s'accorde à considérer comme un modèle du genre et qui mérite, de ce fait, plus d'égards de la part du partenaire historique de notre pays. Mais, voilà ! ces égards, si on peut y prétendre, il faut bien les réclamer. Or, nos diplomates ne semblent savoir qu'être aux petits soins des caprices de leurs partenaires, oubliant qu'ils sont censés représenter un peuple qui a fait l'histoire. 

Où est passé donc l'esprit de la révolution quand on s'apprête à signer avec le partenaire européen un accord supplémentaire restreignant les libertés des Tunisiens en attentant encore plus à leurs droits? Quelle aberration de vouloir incarner la diplomatie du pays de la Révolution tout en acceptant sans broncher la vision manichéenne d'une politique migratoire européenne aveugle et insensée? Une politique qui érige la sécurité en dogme absolu sur l'autel duquel toutes les valeurs sont sacrifiées, tout en violant les conventions internationales et sans nécessairement servir les intérêts supposés poursuivis ni sur le court ni sur le long terme.
Qu'on en juge !

Les négociations sur ce prétendu partenariat pour la mobilité tendent à traiter exclusivement, moyennant des dispositions accessoires et de pure forme sur la mobilité, des questions de sécurité et de contrôle des frontières. L'ambition affichée est de développer une approche sécuritaire avec la collaboration active de la Tunisie dans le cadre de l’agence Frontex pour le contrôle des frontières et la migration clandestine. Le tout sans considération aucune pour les causes réelles des flux migratoires ou pour les droits des migrants et encore moins pour le respect, la protection et la promotion des droits de l'Homme.

Avec un pareil partenariat, s'il devait se conclure, la Tunisie s'engagerait à une « gestion intégrée » des frontières et des flux migratoires ainsi qu'à la réadmission des migrants en situation irrégulière provenant de son territoire ou supposés en provenir, y ayant transité.

Notre pays se verrait également amené à continuer de criminaliser l'émigration irrégulière et de la pénaliser, et ce en flagrante contradiction avec le Pacte international des Nations unies sur les droits civils et politiques du 16 décembre 1966 signé par notre pays le 30 avril 1968 et ratifié le 18 mars 1969.

Mais que proposerait l'Union Européenne en contrepartie? Des vétilles ! Juste la promesse (qui n'engage, comme on le sait, que la partie qui y prête foi) d'un assouplissement des formalités d’octroi des visas de court séjour et, éventuellement, l'accès à de nouvelles filières bien hypothétiques de migration de travail si des besoins venaient à être identifiés par les États membres. Autant dire qu'il ne s'agit que de réalisations renvoyées aux calendes grecques.

Aussi, rien n'est prévu sur de réelles possibilités d'emploi en Europe ou des facilités sérieuses pour cette matière capitale qu'est le regroupement familial. Rien non plus sur les garanties de respect des droits des migrants, réfugiés et demandeurs d'asile qu'ils soient tunisiens ou de passage par la Tunisie et appelés à y être rapatriés en Tunisie manu militari, sans autre forme de procès.

Le comble de l'aberration est qu'un tel accord est envisagé en l'absence actuellement, dans notre droit positif, d'un système véritable de garantie en Tunisie de l'asile et plus généralement des droits des réfugiés et des étrangers sur le territoire national. 

Nous exhortons donc nos diplomates de ne pas suivre leurs collègues européens dans leur égarement, d'être fiers d'appartenir à un pays dont le peuple a réussi une révolution exemplaire et d'en profiter pour rappeler à leurs valeurs nos partenaires par trop souvent pédants et suffisants à la mesure de l’omission de nos propres valeurs.
L'occasion ne saurait être ratée et notre diplomatie, au nom du peuple tunisien, se doit d'appeler l'Europe à la promotion et au respect des droits de l’Homme dans une nouvelle politique de voisinage. Celle-ci doit favoriser la libre circulation des ressortissants des pays partenaires en phase de transition démocratique dans le cadre d'un visa biométrique de circulation respectueux des intérêts des uns et des autres. Et ce dans l'attente d'une intégration plus grande entre démocraties des deux rives de la Méditerranée.

Nobel oblige, l’Union Européenne a le devoir d'agir sérieusement en vue de promouvoir la paix en Méditerranée et cela passe par la révision inéluctable de sa politique migratoire devant se transformer en un instrument d’appui au processus démocratique en cours en Tunisie. Car, celui-ci n'a de chance réelle de réussir que moyennant un appui courageux et conséquent de l'Europe dont l'un des aspects les plus porteurs, eu égard à sa symbolique, est la liberté de circulation entre la Tunisie et l'Europe comme préalable à une future et inévitable adhésion.

Notre diplomatie serait donc bien inspirée de suspendre toutes les négociations actuelles avec l'Europe dans le domaine migratoire et de lier la levée du moratoire à instaurer en l'objet à la question de la libre circulation de ses ressortissants et ce comme revendication majeure de son peuple.

En argument de pression, elle aura intérêt à oser cesser de coopérer avec les autorités européennes pour les expulsions de ses ressortissants vers son territoire tout en étant plus agressive, par l'intermédiaire de ses représentations diplomatiques et consulaires, dans la défense des intérêts des migrants tunisiens et la manifestation de son opposition à leur détention. Comme cela s'était fait un temps alors que la Tunisie relevait encore d'un régime de dictature.

Et pour conforter cette attitude de principe, le ministère des Affaires étrangères doit agir pour obtenir, sur le plan national, la ratification de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, signée à New York le 18 décembre 1990 et entrée en vigueur le 1er juillet 2003 (ratifiée pourtant par l'Égypte et le Maroc en 1993, la Libye en 2004, l'Algérie et la Syrie en 2005). De même doit-il obtenir l'abrogation, pour sa violation caractérisée des conventions internationales, de la loi organique n° 2004-6 du 3 février 2004 relative aux passeports et aux documents de voyage qui criminalise les migrants (cette loi, qui a modifié la loi n° 75-40 du 14 mars 1975, réprime les Tunisiens qui franchissent clandestinement les frontières sans documents de voyage et les non Tunisiens qui rentrent clandestinement pour vivre et travailler en Tunisie).

Le département des Affaires étrangères pourrait aussi avoir la bonne idée d'impliquer la société civile dans une réflexion sur de pareilles questions, notamment celle de la dépénalisation de l’entrée et du séjour non autorisés sur le territoire tunisien. Ainsi administrerait-il la preuve de sa totale adhésion à l'esprit démocratique soufflant dans le pays, puisque de telles questions concernent notre peuple au premier chef.

Cette consultation permettrait, de plus, d'aboutir à mettre une pression qui serait utile sur l'Europe pour l'amener à ratifier la Convention internationale précitée sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille puisque, à l'instar de la Tunisie, aucun pays européen ne l'a ratifiée à ce jour, ce qui pénalise fortement les familles tunisiennes immigrées en Europe.

Agissant de la sorte, notre diplomatie enverra assurément au peuple le meilleur des messages disant que les apparences sont trompeuses et qu'elle est bien en phase avec sa révolution. Dans le même temps, elle adressera un signal fort à ses partenaires européens qu'ils doivent sans tarder engager la réflexion inévitable pour la réforme de leur approche sécuritaire de gestion des flux migratoires d'un autre temps. 

Alors, Monsieur le Ministre des Affaires étrangères, oserez-vous écouter la voix de la raison, celle de votre peuple qui vous rappelle que sa révolution était d'abord une exigence de dignité? À la veille du second anniversaire du Coup du peuple tunisien devenu un modèle du genre, lui offrirez-vous ce cadeau? Pratiqueriez-vous enfin une politique originale à la mesure du génie de votre pays?

Farhat OTHMAN

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