Opinions - 10.03.2011

Mon ami Khemaïs Chammari

Le mardi 8 mars 2011 marquera  la vie politique tourmentée de Khémais Chammari. Il venait d’être nommé ambassadeur auprès de l’UNESCO., et s’apprêtait  à quitter Tunis pour Paris. Habituellement soumis à  des humiliations notamment celle de la fouille au corps qu’il subissait régulièrement à l’aéroport  de Tunis Carthage, il me téléphone, ce matin, du salon d’honneur pour m’annoncer son départ.

Quelle revanche pour cet homme considéré hier encore comme l’ennemi public du régime par le gouvernement et le Président déchu. Il n’allait pas tarder à acquérir le qualificatif  de « bête noire de Ben Ali », qualificatif amplement mérité à en juger par l’histoire suivante que j’ai vécue.

Ben Ali en visite d’Etat en France, en 1997, s’était appuyé, en plus du personnel de l’ambassade sur une armada sécuritaire et politique qui l’accompagnait pour diffuser une image de la Tunisie destinée à le valoriser. Il bénéficiait pour ce faire de moyens financiers énormes dilapidés en quelques jours. En face de cette conjonction administrative et financière s’est dressé un homme volontaire utilisant sa plume, son téléphone, tapotant son computeur. C’était Khémais Chammari en décrivant la Tunisie dans sa réalité socioéconomique et politique, en intervenant à la télévision et en dévoilant le rôle des « sept familles », il a convaincu la totalité des journalistes français du bien-fondé de ses arguments, D’où l’irritation de Ben Ali qui s’en est plaint au Président Jacques Chirac pour lui demander d’agir auprès de la presse !!!

Connaissant Khémais Chammari depuis 1982 lorsqu’il est devenu membre du Comité Directeur de la Ligue Tunisienne pour la défense des Droits de l’Homme (LTDH), cet épisode ne m’a pas étonné outre mesure. Secrétaire général en 1985 de la LTDH dont il a assuré efficacement l’organisation, il s’est  opposé la même année aux conceptions conservatrices, islamistes notamment, dans le domaine des droits de la femme, du combat pour l’égalité et plus généralement de l’interprétation de la Charia et de la sécularisation du droit . Deux années plus tard, malgré les risques majeurs de la situation, il  dénonçait publiquement les cas de torture et de morts suspectes dans les locaux de la police. C’est pour toutes ces raisons que Khémais Chammari a été arrêté en avril 1987 et remis en liberté plus de 20 jours après, suite à une mobilisation des défenseurs des droits humains tant en Tunisie qu’à l’étranger dont Mme Marie Claire Mendès France Entre 1990 et 1991, il n’a pas hésité à partir à Genève, pour se familiariser et mieux maîtriser les mécanismes internationaux de promotion et de protection des Droits de l’Homme et depuis lors, il exercera les fonctions d’Expert consultant indépendant. Ses activités ont été récompensées en 1990 par le Prix International de la Commission Consultative Française des Droits de l’Homme et en 1997par le Prix International des droits de l’Homme de la ville de Nuremberg en Allemagne.

Il doublait son militantisme d’une activité d’opposant politique, un opposant légaliste, authentique. Son engagement explique son élection en qualité de représentant du Mouvement des Démocrates Socialistes (MDS)  à la Chambre des députés en 1994. Il n’y restera pas longtemps. En effet et dès le lendemain des résultats des élections, il n’a pas arrêté de clamer qu’il est un député dépité et de dénoncer  l’hégémonie du parti au pouvoir  les pratiques mafieuses et  la volonté de Ben Ali de faire des partis d’opposition une opposition faire-valoir et alibi. En 1996, il sera déchu de sa qualité de député par le parlement suite à une condamnation à 5 ans  d’emprisonnement à la suite d’une affaire montée de toute pièce par le pouvoir.

 Je me souviens parfaitement de la visite de Tania Mathews journaliste-écrivain accompagnée du conseiller politique de l’Ambassade américaine, venue me demander de prévenir Khémaïs Chammari qu’il était menacé de mort et qu’il lui fallait quitter la Tunisie de toute urgence. C’était en juin 1997. Khémaïs s’exilera dès lors en France jusqu’en février 2004.
Il effectuera alors pour le compte de la Commission Européenne de Bruxelles de nombreuses missions en Afrique pour élaborer, dans plusieurs pays, un plan national de promotion des Droits de l’Homme., au Congo, en Mauritanie, en Côte d’Ivoire, au Tchad, au Maroc. Toujours dans le domaine des Droits de l’Homme, il  est membre fondateur du Réseau Euro Med des Droits de l’Homme (REMDH), et de la Fondation Euro Med de soutien aux défenseurs des Droits de l’Homme (FEMDHD).

Dans son exil parisien, il continue à être suivi par la police de Ben Ali, aussi avait-il le souci de s’assurer de la sûreté des lieux de rendez-vous qu’il donne à ses amis. Il était par dessus tout constamment préoccupé par la situation de son pays mais, n’ayant pas perdu sa générosité viscérale, il continuait à aider tous ceux qui venaient lui décrire leur situation, souvent moins préoccupante que la sienne.
Rentré en Tunisie en 2004, il connaîtra un harcèlement quotidien. Plusieurs agents civils étaient  chargés de surveiller son appartement, interdisant par moment son accès à certains visiteurs, réclamant à d’autres leur identité. Tout était fait pour décourager Khemaïs à poursuivre ses activités. Parallèlement, et jusqu’à la chute du régime Ben Ali, il a été l’objet de la part de certains journaux caniveaux , Eshourouk, Elhadeth  Koul Ennass inféodés au Ministère de l’Intérieur et à la demande de Abdelwaheb Abdallah, ministre conseiller de Ben Ali, d’une d’une compagne de diffamation téléguidée qui n’a pas ménagé ses termes en s’attaquant à sa famille et qui l’a traité de traitre à la patrie et l’a menacé de mort.

Notre ami n’a jamais cédé à toutes ces menaces incessantes ni à la peur. Il est resté égal à lui-même, en menant ses deux activités de militant et d’opposant .dans la plus grande transparence et sans jamais les confondre. Dans son combat, il a trouvé l’appui et le soutien constants d’Alya son épouse, elle-même, militante renommée des Droits de la Femme. Elle lui a toujours été d’un sage conseil.

Politologue avéré, il s’est attaché ces derniers mois à fédérer les partis d’opposition sur des questions de l’heure
Maître dans l’art de la communication, il a su créer autour de lui un réseau d’informateurs et de journalistes nationaux et étrangers qui constituent un centre d’information et de données exceptionnel. Ses exposés et ses écrits sont appréciés pour leur style alerte, vif, précis enrichi de nombreuses références bibliographiques utiles, fruit d’une mémoire gigantesque. Nous en avons nous-mêmes profité en lui demandant de relire nos articles et d’y apporter si besoin les corrections nécessaires.

Nous attendions, impatients ses visites régulières au cours desquelles il nous donnait le pouls de la situation, toujours accompagné de sa sacoche noire, il nous confiait des documents variés, des notes, des interventions de sa main grâce auxquelles nous n’avons jamais ignoré l’état de dépravation dans laquelle nous entraînaient le dictateur, sa famille, ses proches et toute une légion d’organismes destructeurs.

Maintenant il a le cœur léger. Sa Tunisie est libre.

Nul doute que ses nouvelles fonctions l’ont déjà accaparé et que des projets, des réalisations foisonnent dans sa pensée toujours guidée par son insatiable besoin d’action.

Quand prendra t-il le temps de livrer à la postérité ses cinquante années de vie politique et sociale pour la Tunisie ?
 

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16 Commentaires
Les Commentaires
Riahi Mohamed - 10-03-2011 23:46

Enfin la Tunisie dignement représentée dans un organisme international. Je commence à entrvoir la veritable image de la Tunisie démocratique représentée par un de ses enfants qui se sont sacrifiés pour la démocratie et les droits de l'homme depuis leur prime jeunesse que j'ai bien connu et respecté même si je n'ai pas toujours partagé ses idées. J'espère que les prochaines nominations dans les postes diplomatiques iront dans le même sens pour confirmer cette nouvelle image démoctratique et revolutionnaire de notre Tunisie bien aimée

Amel - 11-03-2011 06:44

Est-ce etre nomme ambassadeur est une recompense? Quel gachis!!

MEMMI Youssef - 11-03-2011 09:17

Merci Mr SAADEDDINE ZMERLI pour ce très bel Hommage à ce PILIER de la TUNISIE qu'est Mr KHEMAIS CHAMMARI.

Abderrahman - 11-03-2011 15:25

J'etais agréablement surpris de cette nomination j''ai entendu ses discours enflammés à la rue Essadkia les années 63 et depuis il n'a cessé de militer en faveur des droits de l'homme Félicitation et bon courage si Khmaiés

Abid Fathi - 11-03-2011 16:02

Tous les tunisiens attachés à la liberté et à la démocratie connaissent ce grand militant des droits de l'homme.En reconnaissant son combat et ses qualités le gouvernement provisoire l'a désigné ambassadeur de la Tunisie auprès des instances onusiennes à Genève.C'est la moindre des devoirs envers lui.Mais toujours,et surtout pendant cette période de notre jeune révolution,on aura besoin de ses précieux conseils qui nous aideront à démasquer ses soit disant leaders qui se disent les porte parole du peuple.

MIDASSI - 11-03-2011 17:39

Enfin une reconnaissance de vos qualités de défenseur des déroits de l'homme. Je me rappele bien que je vous ai rencontés à Milan en 1976 lors d'une conférence en faveur de la Palestine.

Abdelli - 11-03-2011 18:17

A l'équipe de rédaction : le peuple Tunisien est devenu allergique à toutes sortes de Leaders synomnyme de diactateurs ... Changer au moins votre titre, puisque vous censurez ce que je pensais être un espce de liberté...avez vous peur de mes avis sur ceux dont vous mettez en avant sur vos pages ... En tous cas, vous êtes vous aussi libre mais naif celui qui croit que vous n'êtes pas comme pendant l'ancien régime, vous applaudissez à tout ce qui bouge, vous constituez des réseaux ( c'est clair dans l'article bidon de "Mon ami... Chammari" ... allez vous rétablir les mêmes que at-tjammou' et ben Ali... déjà pour les élections de ceux que vous pensez être "bons" pour la Tunisie en lieu et place des Tunsiens.. on vous combattera aussi.

Bahia Jemail - 11-03-2011 23:15

Oui Belle revanche ! Juste une pensée à feu Hichem Gribaa qui a passé sa vie à rêver la Tunisie d'aujourd'hui.

mahmoud Bédoui - 12-03-2011 09:26

Un grand ami et un militant très lucide Cette nouvelle nomination me remplit de joie mais aussi de grande tristesse. En effet, contrairement à ces faux leaders qui se montrent maintenant les concepteurs de la révolution, Khamaïs reste égal à lui-même et aurait pu faire plus par ces moments de courses imbéciles de ces partis politiques burlesques. DOMMAGE POUR NOUS TOUS

ali - 12-03-2011 17:51

Depuis quand devenir ambassadeur est une recompense? Laissons la diplomatie aux diplomates s'il vous plait.

Neila Haddad - 12-03-2011 19:45

j'ai été très contente de la nomination de Khémais CHAMARI comme Ambassadeur de Tunisie à l'UNESCO. Il est important que la Tunisie soit représentée par un tunisien qui a de grandes valeurs morales et surtout par un homme de principe qui croît réellement à la démocratie et aux libertés, comme Khémais, contrairement à l'ancien ambassadeur qui à maintes fois a renversé "la veste" Je souhaite à Kantéhémais succès dans ses nouvelles fonctions et bonne s

ABDOU - 12-03-2011 21:50

AVEC TOUS MES RESPECTS POUR MONSIEUR CHAMMARI, CE DERNIER EN TANT QUE GRAND MILITANT DES DROITS DE L'HOMME N'AURAIT PAS DU ACCEPTER CETTE MISSION EN USURPANT AINSI UN POSTE QUI REVIENT DE DROIT AUX DIPLOMATES DE CARRIERE QUI ONT SOUFFERT DE LA MARGINLASATION ET DES FRUSTRATION LE LONG DU REGNE DU PRESIDENT DECHU

Emir - 12-03-2011 21:59

Paradoxalement la révolution de la jeunesse en Tunisie a débouché au retour des retraités sur la scène politique. A ce rythme la moyenne d'age des décideurs politique en Tunisie sera de 60 à 70 ans

Hedi Mzali - 13-03-2011 02:22

Cher Khemais, toutes mes felicitations de te savoir libre et representer la Tunisie. J'espere que bientot nous te verrons dans le nouveau gouvernement en Juillet pour tes taches plus globales sur le terrain en Tunisie ou il y a beaucoup a faire..

Larif - 15-03-2011 16:20

Un tel combattant aurait mieux fait de rester à Tunis et de continuer à mener le combat pour la justice et la démocratie chez lui maintenant que rien n'entrave ses actions et de laisser ces postes d'ambassadeurs à ceux qui leur reviennent de droit, en plus on a de bons médecins chez nous.

FADILA - 17-03-2011 17:45

En quoi CHAMMERI est-il supérieur, moralement, au félon MEZRI, personne n'oublie que K.CHAMMERI fut un député dans le parlement de BEN ALI, et que MEZRI on représentant dans divers organismes.En politique, on est toujours rattrapé par son passif historique, il ne faut jamais essayer de cacher le soleil avec un tamis.

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